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Centre de la Chapelle : face à l’accueil défaillant, la solidarité s’organise

7 avril 2017

Annoncé comme une solution face aux campements « indignes », censé permettre un accueil inconditionnel et des réorientations immédiates, le « camp humanitaire » de porte de la Chapelle est le théâtre de nombreux dysfonctionnements. Les personnes ne devaient y rester que quelques jours, le temps d’être réorientées vers d’autres dispositifs d’hébergement, mais ces derniers sont saturés. Beaucoup se retrouvent à la rue. Témoignages et scènes d’actions solidaires.

Près du camp, un groupe d’hommes d’une cinquantaine d’année cherchent à se procurer tentes et couvertures. Venus du Koweït et d’Iraq, ils sont en France depuis quelques semaines. À force de passer leurs nuits sous une pluie glaciale, certains sont tombés malade. Seuls trois d’entre eux ont pu obtenir une place dans le camp et lorsqu’ils ont demandé l’admission de leurs camarades, tout ce qu’on leur a répondu « c’est qu’il n’y aura pas d’entrée durant le week-end ! » s’étonne Sélim*. Ceux qui dorment à présent au chaud ne sont pas rassurés pour autant, mal accompagnés, très peu d’informations leur sont distillées.

Le cœur à l’ouvrage

À quelques mètres de là, sous le pont longeant le boulevard Ney, des hommes se tirent doucement hors des couvertures. Ils se sont installés entre les pierres visant à dissuader leur installation d’infortune. Ils observent l’agitation autour d’eux. Le son des outils des « pierreux » raisonne. Ces « gens de pierre, hommes et femmes de métiers, tailleurs de pierre, graveurs, sculpteurs » sont bien décidés à déplacer ces rochers pesant leur poids de cynisme. Ils ont entamé ces heures de labeur le 25 février, suite à un appel lancé sur Facebook sous le nom de Cœur de pierres et solidaire auquel ont répondu des personnes venues de toute la France.

Djamal ayant constaté la présence de la presse ces dernières semaines ne décolère pas « Pourquoi témoigner si après rien ne change pour nous… » Il égrène le nom de ceux qui se sont succédés au poste de ministre de l’intérieur ces dernières années. « Le monde entier sait ce qu’il se passe vraiment, qui croit encore aux belles paroles des politiques ? »

 

Fraternité. Ces blocs de pierres synonymes du rejet des personnes migrantes se recouvrent des mots qui reflètent la volonté de celles et ceux qui souhaitent plutôt bâtir la solidarité, l’accueil et l’hospitalité. © Célia Bonnin, mars 2017.

 

Une main seule ne peut applaudir

Comme un écho à ses questionnements, sous les mains des tailleurs, la devise républicaine apparaît sur les blocs de pierre. On y lit aussi Welcome refugees. Un groupe de jeunes exilés approche et discute avec celle qui œuvre sur l’une des inscriptions, puis l’un d’eux se joint à elle pour graver « En mémoire de ceux qui ne sont pas arrivés ». Symbole fort pour dénoncer les agissements de l’État, cette initiative vise aussi à interpeller celles et ceux qui tous les jours, à pieds ou au volant de leur voiture passent à proximité de ces campements, à faire prendre conscience des histoires et du courage que porte chaque personne migrante.

Peu à peu ces pierres forment des cercles, puis les tailleurs en polissent les surfaces. « On risquera moins de se blesser la tête » approuve Mohammad. Son sourire est grave. « Il y a un proverbe arabe qui dit : une main seule ne peut applaudir. On a tous besoin des autres. » Il confie qu’il a fui la région du Darfour au Soudan et raconte le désert libyen, puis la mer qu’il a traversée. Tombé à l’eau, il a eu la chance de s’en sortir. Après un temps passé en Italie, il est, depuis le premier jour cette année, arrivé en France. « Je ne comprends pas que l’on traite de cette façon des personnes qui demandent juste un peu de protection. » Il dessine de ses doigts le toit d’une maison « qu’on nous laisse au moins la construire… ».

Présence solidaire

L’heure du déjeuner approche, une femme accompagnée de son fils apporte un plat à partager. Dans ce quartier les distributions de nourriture sont quotidiennes et certains habitants se sont regroupés en collectifs. « Depuis l’ouverture du camp, nous nous relayons tous les matins pour qu’ils aient un petit déjeuner » explique Eveline, une membre du collectif Solidarité migrants Wilson. « On discute, parfois on met un peu de musique, c’est important pour nous. C’est aussi pour essayer d’en faire des moments d’échange que l’on est là » insiste Félix, bénévole lui aussi.

Malgré les dissuasions, ils maintiennent leur présence. « Il semble que les migrants gênent dès qu’ils deviennent trop visibles. Pour la mairie et la préfecture, il fallait faire place nette, analyse Antoine Decourcelle, chargé des questions asile à La Cimade Île-de-France. Cet objectif n’est pas atteint, la pression est maintenue sur les migrants et leurs soutiens ». Aux uns, les évacuations, les vols de couverture, les obligations de quitter le territoire français (OQTF), l’enfermement en centre de rétention administrative, la violence de la police. Aux autres, des intimidations lors des distributions de nourriture ou encore des amendes pour stationnement gênant. Samedi 25 mars la dernière action des tailleurs de pierre a elle aussi été interrompue par la police, mais ils ne comptent pas abandonner ce beau chantier.

 

* À la demande des personnes rencontrées, tous les prénoms ont été modifiés.

 

 

 

Photographies : © Célia Bonnin, mars 2017.

 

Derrière la façade : le contrôle et le tri

Le fonctionnement opaque et dérogatoire du camp de la porte de la Chapelle laisse craindre que « sa fonction première soit de pouvoir empêcher le dépôt des demandes d’asile » dénonce Antoine Decourcelle. En effet, le préfet de police et le ministère de l’intérieur, qui ont co-réalisé ce projet avec la mairie de Paris, ont imposé la création du centre d’examen de situation administrative (CESA). Sans que les personnes puissent manifester leur intention de demander asile, leurs empreintes sont relevées et comparées aux relevés du fichier européen Eurodac au vu de l’application du règlement « Dublin ». Si le résultat est positif (90 % des cas en février 2017), la préfecture de police met en œuvre des procédures de réadmission. « Pour le ministère, il est hors de question de disperser vers le dispositif pour demandeurs d’asile les gens qui relèvent de cette procédure. L’État souhaite les avoir à proximité en les orientant principalement vers des centres d’hébergement d’urgence de la région parisienne (CHU), où ils seront assignés à résidence, pour pouvoir les expulser vers le pays d’Europe responsable de leur demande d’asile » analyse Antoine Decourcelle. Tout refus de passage par le CESA se solde par une fin de prise en charge immédiate. Le centre Hidalgo se révèle être ainsi un sas, un centre de tri des personnes migrantes, plus qu’un centre d’accueil.

 

 

> Voir le reportage photographique de Célia Bonnin dans son intégralité.

> Lire le texte de La Cimade Île-de-France publié le 9 mars 2017 : Le côté obscur du centre Hidalgo.

> Découvrir l’appel du 8 mars 2017 des migrants du CHUM de Champcueil en Essonne. Les témoignages des personnes qui sont finalement réorientés vers d’autres dispositifs sont parfois très alarmant : l’accompagnement administratif et social, mais aussi la qualité de l’hébergement ou la situation sanitaire sont dénoncés.

> Comprendre le désarroi des équipes salariées du gestionnaire du camp relayé par la section syndicale de Sud santé sociaux. Celle-ci vient de publier une lettre ouverte adressée au président d’Emmaüs solidarité et à son conseil d’administration. Le syndicat déplore la qualité de l’accompagnement et la gestion du site qui se confond avec les prérogatives de la préfecture de police. Il s’inquiète pour les migrants et pour les salariés : tension quasi permanente, pénibilité, problème de sécurité et demande le retrait définitif du dispositif « contraire à l’objet social de l’association ».

 

 

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Rime Ateya

 

 

Auteur: Service communication

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