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En novembre 2024, quarante ans après l'ouverture des premiers centres de rétention ...
Une frénésie de reconduites à laquelle tous les moyens sont donnés
Une frénésie de reconduites à laquelle tous les moyens sont donnés
5373 migrants placés en rétention dont 3680 reconduits en 2009, pour un centre de rétention administrative (CRA) de 38 places. Une moyenne annuelle de 15 arrivées et de 10 départs quotidiens. Voici, pêle-mêle, quelques uns des chiffres-clés de la rétention en Guyane, qui en disent long sur un système qui semble, à première vue, bien huilé. Une vraie machine à reconduites. Ces chiffres, exceptionnels comparés à ceux des centres de rétention métropolitains, ont été rendus possibles par la mise en place d’un dispositif législatif d’exception, justifié par le législateur par la nécessité de lutter contre une immigration clandestine particulièrement importante en Outre mer.
Ces dérogations prévoient, pour les plus notables, que le recours contre les mesures d’éloignement est non suspensif[1] et que les interpellations peuvent s’effectuer sans motif et sans réquisition du procureur dans la plus grande partie fluviale et routière de la Guyane[2].
Le nombre phénoménal de placements en rétention reflète-t-il réellement une politique de contrôle efficace de l’immigration ? Le caractère exceptionnel de la législation en place porte-t-il vraiment les fruits attendus ? Au-delà des paillettes aux yeux que peuvent représenter ces chiffres impressionnants, on constate d’une part, que ces méthodes sont fortement préjudiciables aux droits de l’Homme et d’autre part, que l’envergure des reconduites est artificielle car ces chiffres sont biaisés.
Une politique attentatoire aux droits de l’Homme
Les conditions d’interpellation et de rétention des retenus ainsi que la situation administrative des retenus ne font que très rarement l’objet d’un contrôle judiciaire. En effet, afin de pallier à l’absence de recours suspensif, le législateur a cru bon de permettre la saisine du juge administratif au moyen du référé suspension, saisine d’urgence permettant en théorie de saisir le juge dans un délai réduit. Or, en pratique, si les référés-suspensions sont effectivement pris en compte par le juge administratif dans un délai allant de 24 heures à plusieurs semaines, en fonction de l’atteinte aux droits invoquée, la durée moyenne de maintien au CRA d’un retenu est d’environ 24 heures. Les possibilités de saisine du juge administratif sont donc extrêmement réduites.
Le contrôle de la légalité de la procédure de placement en rétention des retenus et du respect de leurs droits pendant la durée de leur maintien au CRA est assuré par le juge des libertés et de la détention (JLD). Or, seuls les retenus présents au CRA plus de 48 heures sont amenés à être présentés au JLD. La courte durée de maintien en rétention prive, de fait, une large majorité des retenus d’un contrôle du juge. Faute d’un contrôle efficace du juge, les possibilités de libération passent majoritairement par un recours gracieux, effectué auprès de la Préfecture. Cette même Préfecture qui a ordonné le maintien en rétention et la reconduite à la frontière.
Ainsi, La Cimade intervient à de nombreuses reprises auprès de la Préfecture, en faveur de retenus légalement protégés contre la reconduite[3] (parents d’enfants français, arrivés en France avant l’âge de 13 ans…). Certains de ces retenus portent sur eux, lors de leur interpellation, tous les documents justificatifs de leur protection et sont malgré tout emmenés au CRA.
Les interpellations massives s’arrangent en général mal avec une prise en compte appliquée et individuelle des droits de chacun.
De fait, les nombreuses libérations ordonnées par le JLD révèlent que la procédure de placement en CRA est bien souvent bâclée : procès verbaux stéréotypés et pré-rédigés, notifications et explications des droits du retenu effectuées en cinq à dix minutes, interprètes absents, délais de transfert exorbitants des retenus jusqu’au CRA, absence de notification des audiences…
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a rendu des recommandations en ce sens concernant le CRA de Rochambeau, dans son avis n°2008-86 du 1er décembre 2008, en énonçant que « la Commission recommande de rappeler aux OPJ de la police aux frontières, mais aussi aux procureurs sous la direction desquels ils agissent (…) qu’en matière de lutte contre le séjour irrégulier, le nombre de reconduites effectuées ne doit en aucun cas nuire à la qualité et à la régularité des procédures ».[4]
Des chiffres biaisés qui révèlent l’inefficacité de la politique migratoire
Une très grande majorité des retenus présents au CRA puis reconduits sont de nationalités brésilienne et surinamaise. De 2004 à 2008, les chiffres de la police aux frontières montrent que les ressortissants brésiliens et surinamais forment à eux seuls près de 90% des retenus reconduits[5]. En 2009, plus de 50% des retenus avec lesquels La Cimade s’est entretenue étaient de nationalité brésilienne.
La présence massive de ces nationalités au CRA s’explique d’une part, par la proximité géographique du Suriname et du Brésil, qui permet des reconduites quotidiennes pour le Brésil et quasi quotidiennes pour le Suriname, d’autre part, par l’existence d’un accord de réadmission entre la France et le Brésil, qui permet aux autorités françaises de reconduire « sans formalité » les retenus de nationalité brésilienne présents en Guyane.
Bien que le Suriname n’ait pas ratifié l’accord de réadmission prévu avec la France, les reconduites en bus jusqu’à la frontière surinamaise suivies de la traversée en pirogue du fleuve frontière s’effectuent sans laissez-passer, c’est-à-dire sans document de voyage établissant officiellement la nationalité surinamaise des reconduits.
En ciblant l’interpellation des ressortissants brésilien et surinamais, la police aux frontières s’assure donc d’un nombre record de reconduites, quitte à biaiser ses méthodes en ciblant les interpellations.
Si les reconduites sont bien réelles, en revanche, contrairement à ce que l’envergure des chiffres pourraient laisser penser, elles sont loin d’assurer un départ sans retour des retenus sur le sol français. La proximité des frontières avec les pays d’Amérique du sud permet au contraire un retour rapide des personnes reconduites, parfois le jour même ! 59 % des retenus ayant été maintenus au CRA sont déjà connus des services de police[6]. Cela signifie qu’un migrant est susceptible de se faire reconduire plusieurs fois et que la majorité des reconduites enregistrées ne concernent finalement qu’un nombre réduit de personnes. Les chiffres de reconduites sont donc artificiellement gonflés.
On peut dès lors s’interroger sur la crédibilité des chiffres présentés par la police aux frontières et sur l’intérêt de poursuivre ces reconduites fantoches.
De même, un grand nombre de retenus sont placés en rétention sans qu’existe de réelles possibilités de reconduite effective. Il en va ainsi, notamment, des ressortissants guyaniens et chinois qui, faute de disposer d’un passeport sur eux lors de l’interpellation, ne sont pas reconnus par leur consulat et ne peuvent se voir délivrer un laissez-passer, ce qui fait alors obstacle à leur reconduite.
Alors même que l’impossibilité de les reconduire s’impose aux services de police ou de gendarmerie dès l’interpellation, les personnes sont tout de même placées au CRA, y sont maintenues entre un et deux jours, puis sont libérées. Ces migrants sont enfermés sans intention de poursuivre la reconduite. Ils seront donc comptabilisés comme « interpellés puis placés en CRA ». Encore plus de chiffres, mais aucun résultat. La politique de l’absurde.
La reconduite des enfants mineurs avec leur parent retenu est encouragée par la préfecture et la police aux frontières. Certains diront qu’il s’agit là d’une démarche humaniste et que la place d’un enfant est auprès de son parent.
Le problème demeure cependant que le retenu ne souhaite bien souvent pas partir avec son enfant, notamment parce que le retour sur le sol français s’effectuera dans les jours qui suivent sa reconduite et que des membres de la famille peuvent assurer la garde temporaire. En outre, l’autre parent présent en Guyane et également responsable légal de l’enfant, non retenu au CRA et parfois en situation régulière en Guyane ne souhaite pas forcément que son enfant quitte le sol français.
Les délais de reconduite étant extrêmement courts, la préparation du départ se fait alors bien souvent en catastrophe, avec des bagages réduits au minimum et donc sans réelle préparation au départ, ce qui peut porter à conséquence lorsqu’il s’agit d’enfants en bas âge.
La CNDS[7] a, sur ce point, recommandé que l’assignation à résidence soit favorisée afin de prévenir la précipitation du départ et l’entrée au sein du CRA des enfants.
Le CRA de Rochambeau n’est pas habilité à accueillir des enfants. Or, La Cimade a constaté à deux reprises en 2009 la présence d’enfants au sein du CRA, amenés au parent retenu préalablement au départ.
Une politique migratoire qui accentue les inégalités entre retenus et banalise le sort des migrants
Dans son rapport 2008-9bis sur les conditions de rétention à Cayenne-Rochambeau, suite à ses déplacements en Guyane et à Mayotte, la CNDS recommandait la suppression du cadre législatif dérogatoire en Outre-mer. Elle relevait que ces dérogations, mises en place « au motif que la pression migratoire y serait plus forte qu’en France hexagonale », ne faisaient en fait « qu’accroitre les inégalités de droits et de traitement entre les personnes retenues. »
Outre le fait que la politique migratoire ayant cours en Guyane ne remplit pas, dans les faits l’objectif annoncé de lutte contre l’immigration importante, elle se révèle fortement attentatoire des droits des migrants. De façon plus sournoise, elle installe un sentiment grandissant d’acceptation généralisée du sort des migrants. Car si les chiffres avancés par la police aux frontières sont a priori importants, cette frénésie de reconduite semble être paradoxalement bien intégrée dans le paysage guyanais.
La rapidité et l’inutilité des reconduites banalisent fortement les allers et retours des migrants reconduits et les rendent ainsi largement « acceptables ».
Les retenus refusent bien souvent de faire valoir leurs droits ou leur protection contre la reconduite car une reconduite sous 24 heures suivie d’un retour sera, à court terme, plus satisfaisant que d’utiliser des moyens de recours qui les feraient rester plus longtemps enfermés au CRA et pour une issue incertaine.
Les services de police et de gendarmerie ainsi que la population semblent partager ce sentiment d’inutilité des moyens mis en œuvre, aux vues des retours rapides des migrants. Puisque le point de reconduite est proche et puisque le retour sur le sol français sera rapide, l’enfermement qui entoure la reconduite ainsi que la reconduite elle-même apparaissent alors sans importance.
Ainsi, l’absurdité de la politique migratoire en Guyane focalise la problématique des migrants sur la banalisation de l’enfermement ; et cela au dépend d’une prise de conscience généralisée de toute la violence de l’enfermement et du traumatisme que peut constituer une vie passée à fuir et à reconstruire, dans laquelle l’enfermement est totalement intégré.
Au-delà du non respect des droits migrants, le pire serait donc peut être que tout ceci se déroule dans l’indifférence générale.
Lucie Curet, La Cimade
Accompagnatrice juridique au CRA de Rochambeau
(janvier 2009 – juin 2010)
[1] Article L. 514-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d’asile (Ceseda).
[2] Article L. 611-10 du Ceseda.
[3] Article L.511- 4 du Ceseda
[4] Rapport n° 2008-86 du 1er décembre 2008.
[5] La Semaine Guyanaise n°1338, « Étrangers illégaux de Guyane : tous les chiffres depuis 6 ans », p.11
[6] La Semaine Guyanaise n°1338, « Étrangers illégaux de Guyane : tous les chiffres depuis 6 ans », p.11
[7] Rapport n° 2008-9bis du 1er décembre 2008.
Auteur: Service communication
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