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La semaine des rescapés de l’Ocean Viking

19 novembre 2022

Les personnes rescapées de l’Ocean Viking ont vécu une semaine éprouvante, de la Zone d’Attente à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Récit à plusieurs mains d’un parcours déshumanisant, par des témoins cimadiens de Toulon, d’Aix-en-Provence et de la région Sud-Est

Etape N°1 – A l’intérieur de la zone d’attente : une demande d’asile fondée ou infondée ?

Dans la base navale, après que le préfet a créé une zone d’attente (ZA), les personnes majeures débarquées de l’Ocean Viking ont été emmenées puis enfermées. Les mineurs isolés bénéficient d’une prise en charge hôtelière à Toulon.

A Giens, la présence policière est massive : autant de policiers que d’étrangers, aussi bien autour qu’à l’intérieur de la ZA. L’ambiance y est calme mais l’inquiétude se lit sur les visages des étrangers présents qui essaient de tuer le temps dans une toute petite cour en contrebas des installations de la protection civile entre des logements dont certains sont transformés en bureaux. Il n’est pas possible d’échanger avec eux à cause de la barrière de la langue.

À peine débarqués, immédiatement parqués et sans cesse surveillés, après un long périple et une errance en mer pleine de dangers, d’angoisse, d’attente et d’incertitude, ces femmes et ces hommes, parfois accompagné.e.s d’enfants, sont directement soumis à une série d’interrogatoires et de contrôles.

L’OFPRA est à ce stade chargé de rendre un avis sur le bien-fondé de la demande d’asile au ministère de l’Intérieur, qui se prononce sur l’entrée en France au titre de l’asile. Les entretiens s’enchainent, toutes les 30 minutes.

Lorsque nous avons pu pénétrer dans la zone d’attente le lundi 14 novembre après-midi, la plupart des entretiens avaient déjà été menés, les derniers ont été finalisés dans la soirée. Nous avons pu assister à 9 d’entre eux. Il est interdit pour tout observateur de prendre des notes mais nous gardons en mémoire quelques éléments importants :

  • La trentaine de personnes qui attendent les derniers entretiens sont assis sur des chaises à l’extérieur, dans un lieu à part et ils sont appelés au fur et à mesure de l’après-midi, dans le calme. Les entretiens auxquels nous avons assisté se sont passés dans une chambre du centre de vacances dans une confidentialité totalement respectée. Nous savons notamment par nos partenaires de l’Anafé que cela n’avait pas été le cas la veille.
  • Les traductions sont assurées par téléphone avec un matériel pas toujours adapté. Les difficultés pour joindre l’interprète, les éventuels problèmes de réseaux sont autant d’obstacles supplémentaires au bon déroulé des entretiens, qui s’en trouvent nécessairement raccourcis.
  • Certaines personnes auditionnées semblaient en difficulté psychique : agitation nerveuse, tremblements, difficulté à respirer, état de stress au moment d‘évoquer certains évènements, ce qui se comprend aisément.
  • Lors de chacun des entretiens auxquels nous avons pu participer, l’officier de protection a expliqué l’objet de ces échanges ainsi que les suites de la procédure : si la personne est admise sur le territoire, elle se voit délivrer un sauf conduit de 8 jours, lui permettant d’aller déposer sa demande de protection. Si au contraire son entrée sur le territoire est refusée, elle peut exercer son droit de recours auprès du tribunal administratif dans un délai de 48h. Les personnes acquiescent. Nous nous interrogeons pourtant sur la réelle compréhension de tout cet imbroglio juridique, dans un délai si bref et des circonstances si particulières.

Nous en sommes témoins : l’enfermement de ces personnes après leur immédiat débarquement, la rapidité des dispositifs de tri et de sélection, sans parler de la brutalité administrative avec laquelle elles sont traitées sont insupportables.

Etape N°2 – Au palais de justice, à l’extérieur de la zone d’attente

A l’issue de la première étape de ce parcours du combattant, une soixantaine de personnes a été admise à pénétrer sur le sol français pour y déposer une demande d’asile. Des bus les ont conduits dans des structures d’hébergement autour de Marseille, où elles devraient pouvoir bénéficier d’un accompagnement pour leur demande d’asile.

Les autres, maintenues en zone d’attente, doivent être présentées au juge des libertés et de la détention (JLD), garant de la régularité des procédures.

Ce jour-là, le tribunal de Toulon est entouré de plusieurs dizaines de cars de police, des centaines de policiers sont présents pour escorter et encadrer les déplacements. Des passants s‘étonnent : des gros bonnets de la drogue ou de dangereux terroristes seraient-ils jugés ce jour à Toulon ?

Nous sommes choqués de la disproportion des moyens utilisés et de l’acharnement politico-judiciaire contre ces hommes et ces femmes qui ont seulement tenté de rejoindre une terre d’accueil au péril de leur vie.

A l’issue de cette journée, les juges de première instance ont procédé à de nombreuses libérations, mais le parquet a systématiquement fait appel. Celles et ceux dont le maintien en zone d’attente a été confirmé ont pour la majorité exercé leur droit au recours.

Le parcours semé d’embûches ne s’arrête donc pas là : prochaine étape, la Cour d’appel d’Aix en Provence.

Etape N°3 – A la Cour d’appel d’Aix

La Cour d’Appel d’Aix a eu à examiner près de 100 dossiers, sur deux jours. Une vingtaine de militants de la Cimade se sont relayés pour assister à ces audiences, manifester leur solidarité et leur opposition à cette politique d’exclusion.

L’organisation semble très complexe pour les greffiers, magistrats et avocats. Les audiences commencent avec plusieurs heures de retard, dans des conditions scandaleuses. Les dossiers des personnes de même nationalité sont présentés à la chaine et traités de manière collective ; les interprètes, parfois contactés par le biais du téléphone portable de l’avocat général mis en haut-parleur, ne traduisent qu’une partie infime des débats. Une petite fille de six attend patiemment sa maman, au milieu de tous ces adultes qui ne semblent même pas s’émouvoir de sa présence.

Voici l’extrait d’un texte qui en dit plus sur les audiences en Cour d’Appel : Au fond du couloir sombre une porte vitrée de carreaux teintés. Nous entrons. C’est un bureau aux murs occupés par de vieux recueils de droit reliés cuir. Autour de la table ovale : la juge, l’avocate générale, un policier de la PAF, la représentante de la préfecture, et l’avocat. La greffière sur une autre table, devant un écran d’ordinateur. Nous restons debout tassés contre le mur. Les deux chaises vides, en retrait du bureau, attendent les personnes. Deux migrants entrent serrés entre deux policiers. Comme tous les autres, ils sont habillés de survêtements usés, de chaussures de sport ou de claquettes de piscine. Ce sont les seuls à porter un masque. Tout le monde est à sa place. La juge décroche le téléphone et parle à l’interprète. Le haut-parleur est branché. Elle demande au premier de se lever et de se rapprocher du téléphone. Bengali ou ourdou ? L’échange est difficile à cause du masque et de la mauvaise qualité de la ligne. Le jeune signe en bas de la page que lui présente la greffière. La juge demande à l’avocat de ne pas tout plaider à nouveau si ce sont les mêmes arguments que les cas précédents. Lui ne l’écoute pas et déroule son argumentaire : nullité pour dépassement des 24 heures, absence de téléphone dans les locaux de la zone d’attente. L’avocate générale conteste l’annulation en arguant la difficulté matérielle d’organiser tous ces entretiens en 24 heures. La PAF : rien à ajouter. La préfecture : demande l’annulation du jugement de première instance qui libérait monsieur de la zone d’attente. L’interprète traduit. Le jeune migrant se relève, serrant fort sa pochette plastique qui contient ses papiers et une barre de céréales au chocolat. La juge donne le dossier de papier jaune à la greffière qui le glisse sur la pile des dossiers précédents. Elle demande à l’interprète de rester en ligne car le second doit parler dit-elle « le même langage ». Elle ne sait pas dire « ourdou ».

A l’issue de cette journée éprouvante, les magistrats confirment les ordonnances de libération des premiers jours. Les personnes devraient être acheminées à leur tour vers des structures d’hébergement.

Etape N°4 – Et après…

A ce jour, il semblerait qu’une dizaine de personnes soient encore enfermées en zone d’attente parce qu’elles attendent d’être présentées dans les prochaines heures à la cour d’appel d’Aix en Provence ou parce qu’elles n’ont pas exercé de recours contre les décisions défavorables des juges de première instance.

La Cimade, ses partenaires associatifs et les avocats restent mobilisés et prêts à introduire les ultimes recours devant le tribunal administratif.

Notre vigilance portera également sur l’effectivité du droit des personnes à déposer leurs demandes d’asile.

 

Pour finir sur une touche poétique, un texte de Marie Lindemann :

Les calculs sont pas bons

Après trois semaines en haute mer où vous avez failli crever,
Croyez pas qu’on va si facilement permettre à 234 migrants de s’installer.
Pour les milliers de réfugiés d’Ukraine, on était prêt, on avait dis oui.
Mais ça n’a rien à voir, c’est quoi que vous n’avez pas compris ?

A peine débarqués et déjà en zone d’attente, enfermés
Et on vous dit que votre droit d’entrée, il va falloir le gagner.
Il annonce même des chiffres et parle de 44 renvois
Euh Gérald, t’emballe pas, t’oublie un petit truc, ça s’appelle la loi.

A la Cour d’appel, aujourd’hui, difficile de parler de vraie justice
Pas la peine de s’étendre : en un mot, un supplice.
J’ai bien noté qu’on avait tout de même pensé à vous masquer
Sûrement pour mieux cacher vos visages, plus vite les oublier.

Moi je n’oublierai pas cette petite fille de six ans
Qui attendait si sagement, auprès de sa maman.
Alors évidemment, comme souvent j’ai crié et pleuré 
Mais tant mieux : il ne faut jamais, à tout ça, s’habituer !

 

Auteur: Région Sud-Est

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