Les politiques migratoires interdisent à ces personnes de travailler tout en érigeant le travail, notamment dans les métiers en tension, comme un des principaux critères de régularisation. Les politiques de lutte contre l’immigration créent ainsi une main d’œuvre à bas coût, disponible, corvéables et peu vindicative, cible de certains employeurs qui n’hésitent pas à s’affranchir du code du travail. Nombre de personnes étrangères dépourvues de titres de séjour et d’autorisations de travail, sont prêtes à tout pour obtenir un emploi leur permettant de survivre et d’espérer de meilleures conditions de vie mais aussi de s’intégrer à la société française. L’irrégularité administrative et le risque d’expulsion vers leur pays d’origine les contraignent bien souvent à vivre cachées, à accepter les travaux les plus difficiles et dangereux et à s’y maintenir en raison de la difficulté à accéder à d’autres emplois.
C’est parmi ce public de travailleurs extrêmement vulnérables que le producteur de tomates de la Sarthe recrutait sa main d’œuvre de 2019 à 2024. Certaines des personnes victimes d’exploitation par le travail, accompagnées par La Cimade, étaient présentes sur le territoire français depuis très peu de temps au moment de leur embauche, ne maîtrisant pas ou très peu la langue et encore moins la législation relative au travail.
En abusant de leur vulnérabilité, l’employeur a soumis ces travailleurs et travailleuses à des conditions de travail indignes, dégradantes, humiliantes et dangereuses pour leur santé. Non déclarées et dissimulées, ces personnes faisaient aussi l’objet de cris, d’injures et de représailles de la part de leur employeur, et travaillaient quotidiennement entre 10 et 16 heures pour une rémunération horaire allant de 3,50 à 8 euros. Elles étaient parfois privées d’accès aux toilettes, et souvent soumises à des retenues sur leurs paies. Aucune protection ne leur était fournie pour les protéger des produits phytosanitaires dangereux pour la santé. Ce qui a d’ailleurs provoqué chez certains travailleurs des brûlures et des problèmes respiratoires.
La peur des représailles, de la dénonciation de leur situation administrative ou le risque de perdre leur seule ressource financière a fait taire toute réclamation et revendication durant de nombreuses années.
C’est en 2023 que La Cimade de l’Orne a été interpellée par deux salariés étrangers, puis par un médecin généraliste, un délégué syndical de la CGT et une inspectrice du travail permettant de dévoiler ces pratiques illégales. Grâce à leur coopération, les faits ont été dénoncés, des enquêtes ont été diligentées dans cette entreprise, et les travailleurs ont été accompagnés dans leurs démarches administratives et judiciaires.
Les faits dénoncés ont été qualifiés de traite d’êtres humains par les autorités judiciaires ce qui a permis aux plaignant.es d’obtenir un titre de séjour temporaire le temps de la procédure judiciaire[1].
Ce travail commun a abouti à la tenue d’une audience, largement médiatisée, au tribunal correctionnel du Mans le 10 juin 2024 durant laquelle La Cimade est intervenue à la demande de l’avocate de plusieurs victimes en tant qu’amicus curiae. Il s’agissait d’éclairer la Cour sur la vulnérabilité des personnes étrangères sans papier qui, dans la sphère professionnelle, sont particulièrement exposées à des traitements relevant de traite d’êtres humains.
Dans son délibéré, rendu le 7 juillet, la Cour a condamné l’exploitant pour les faits de travail dissimulé et de rétribution inexistante ou insuffisante de personnes vulnérables mais l’a relaxé des faits de traite d’êtres humains. Le maraicher a interjeté appel de sa condamnation, et les victimes aussi afin de faire reconnaitre la traite. En cas de condamnation définitive de l’auteur pour traite d’êtres humains, les personnes victimes se verraient délivrer une carte de résident[2].
Même si peu de poursuites aboutissent à des condamnations[3], la situation d’exploitation dénoncée dans la Sarthe est loin d’être isolée comme en témoigne le procès des « vendanges de la honte » qui s’est tenu le 19 juin dernier au tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne. De nombreuses personnes étrangères sont victimes des politiques migratoires qui les placent dans une situation de dépendance et de vulnérabilité sur le marché du travail et les privent des protections prévues par le Code du travail.
La Cimade demande la régularisation large et durable de toutes les personnes étrangères, notamment pour les protéger de situation d’exploitation par le travail.
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[1] Art. L425-1 CESEDA « L’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu’il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention » vie privée et familiale » d’une durée d’un an. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable.
Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites. »
[2] Art. L425-3 CESEDA « L’étranger mentionné à l’article L. 425-1 se voit délivrer, en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, et sous réserve de la régularité du séjour, une carte de résident d’une durée de dix ans. »
[3] MIPROF La traite des êtres humains en France : le profil des victimes accompagnées par les associations en 2023 p.20
35 % des affaires issues d’un dépôt de plainte ou d’un signalement ont été poursuivies.
Auteur: Région Normandie