Ecoutez-moi, j’ai quelque chose à dire.
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Constats alarmants et propositions concernant la situation des exilé.e.s sur le Littoral de la Manche et de la Mer du Nord
Calais, le 15 janvier 2018
LETTRE OUVERTE A MONSIEUR EMMANUEL MACRON, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Monsieur le Président de la République,
Nous avons appris votre venue à Calais le 16 janvier prochain. La situation alarmante dans laquelle survivent les hommes, femmes et enfants exilés bloqués à la frontière franco-britannique mérite toute votre attention, et votre venue est une marque d’intérêt évidente. Mais celle-ci ne saurait avoir de sens que si elle avait pour objectif d’impulser une politique d’accueil radicalement différente.
Aujourd’hui, à la frontière franco-britannique, plus de 900 personnes survivent dans des conditions diverses, mais toutes plus indignes les unes que les autres.
Il est déplorable que dans un pays aussi riche que le nôtre, où « plus personne ne devait dormir à la rue à la fin de l’année dernière », nous ayons besoin de la solidarité et de la mobilisation de dizaines d’associations et de centaines de bénévoles pour que des personnes accèdent à un repas et à de l’eau potable, ou à un duvet, une bâche et une couverture de survie pour ne pas mourir de froid. Il est encore plus intolérable que dans un pays comme le nôtre ces mêmes personnes soient pourchassées, leurs abris et effets personnels détruits. Il est insupportable qu’elles aient, en plus de cela, à subir de la violence physique, parfois de la part des passeurs et autres trafiquants d’êtres humains, mais trop souvent de la part des forces de l’ordre.
Monsieur le Président, porter une autre politique, c’est, d’abord et avant tout, regarder la réalité en face. La politique d’inhospitalité que vous menez actuellement n’est pas différente de celles de vos prédécesseurs. Elle s’en distingue simplement par sa dureté et prolonge 25 années d’échec.
Pourquoi cet échec ? Parce que les gouvernements successifs, et y compris le vôtre, persistent à ne pas voir que Calais et plus largement le littoral de la Manche et de la Mer du Nord, verront toujours arriver des personnes souhaitant pour de bonnes ou de mauvaises raisons se rendre en Grande Bretagne. Vous persistez à penser que rendre les conditions de vie plus dures dissuadera ces personnes de venir à Calais, comme si elles ne venaient que pour quelques douches ou un abri de fortune. Vous persistez à ne pas voir que de nombreuses personnes ont des raisons valables de se rendre en Grande Bretagne, qui les empêcheront de changer leur projet migratoire ; et que d’autres, perdues, cherchent une échappatoire aux règles iniques du règlement Dublin.
Votre venue, Monsieur le Président, est une occasion pour faire cesser les situations indignes qui règnent à cette frontière, pour redonner force et vigueur à nos valeurs, pour impulser une politique d’hospitalité.
Un gel des démantèlements
Cette nouvelle politique ne sera crédible que si un gel des démantèlements de camps, campements et squats est prononcé tant que des solutions pérennes et adaptées ne sont pas mises en place.
L’objectif principal de cette politique doit être de promouvoir des solutions d’accueil dignes dans tous les lieux où (sur)vivent des exilés de passage, en prenant en considération les spécificités locales et en s’engageant à soutenir les élus locaux hospitaliers. Ces lieux d’accueil peuvent éventuellement et très ponctuellement prendre l’aspect de camps de réfugiés pour répondre à l’urgence humanitaire et mettre à l’abri l’ensemble des personnes présentes. Cependant, des solutions d’accueil à long terme doivent être enfin soutenues et mises en œuvre. Les associations intervenant sur les camps d’exilés de passage proposent depuis longtemps un projet d’accueil digne appelé « Maison du migrant ». Votre venue est l’occasion de vous proposer de relancer un dialogue entre les associations et les pouvoirs publics interrompu au printemps 2014 en raison de la destruction violente de campements.
Une politique respectueuse des droits des personnes
Plus largement, c’est le respect du droit qui est nécessaire.
Il n’est pas admissible que quotidiennement les associations en contact direct avec les exilés reçoivent des témoignages, quand elles n’en sont pas témoins directs, de violences des forces de l’ordre. La lutte contre ces violences doit être une priorité. Cela passe par des sanctions contre leurs auteurs.
Il n’est plus admissible de laisser des mineurs vivre seuls sans une protection adaptée.
Il n’est pas admissible que les effets personnels (couverture, duvet, etc.) des exilés soient systématiquement détruits ou confisqués.
Monsieur le Président, vous devez mettre fin aux violences à la frontière franco-britannique.
Une autre politique migratoire
Mais la présence d’exilés bloqués à la frontière ne cessera que si la Grande-Bretagne, la France et l’Union européenne remettent enfin en cause les politiques migratoires actuelles.
Votre venue à Calais, alors que votre Ministre de l’intérieur va, dans quelques jours, rencontrer son homologue britannique, doit être une occasion de dénoncer les accords du Touquet et l’ensemble des accords franco-britanniques de la gestion de la frontière. Il faut revenir sur l’externalisation des contrôles migratoires britanniques sur le territoire français. Ces accords enferment des milliers de personnes dans une nasse et les condamne à la violence des conditions de vie, des passeurs et des forces de l’ordre. Ces accords empêchent les personnes qui souhaitent demander une protection aux autorités britanniques de le faire sans risquer leur vie.
Votre venue doit aussi être l’opportunité de proposer un moratoire sur le règlement Dublin III qui condamne trop de personnes à l’errance et rend illusoire leur intégration en les empêchant de demander l’asile dans le pays de leur choix.
Enfin, votre venue à Calais pourrait être l’occasion d’un geste fort en faveur de la liberté pour tous de circuler et de ne pas dépérir aux frontières de l’Europe.
Cela fait plus de 20 ans que des associations locales et nationales et des citoyens alertent les pouvoirs publics sur les résultats désastreux des politiques mises en place, et qu’ils proposent d’autres politiques migratoires et d’accueil. Il y a aujourd’hui urgence à changer de politiques.
Dans l’attente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.
Signataires :
ACCMV minorités visibles humanitaire / Aide Migrants Solidarité Téteghem / Arras Solidarité Réfugiés Association Bethlehem / ATD Quart Monde Dunkerque / Carrefour des Solidarités du Littoral Dunkerquois
Collectif Fraternité Migrants Bassin Minier 62 / ECNOU / Emmaüs Dunkerque
Entraide de l’Eglise Protestante Unie de Dunkerque / Flandre Terre Solidaire / Help refugees
Itinérance Dieppe / L’Auberge des Migrants / La Cabane juridique / La Cimade Nord Picardie
La Fraternité (Bruay la Buissière) / Ligue des Droits de l’Homme – Dunkerque
Médecins du monde – Hauts-de-France / MRAP Dunkerque / Planning familial 62 / Refugee Women Center
SALAM Nord/Pas-de-Calais / Terre d’errance Flandre Littoral / Terre d’errance (Norrent-Fontes)
Terre d’Errance Steenvoorde / Secours populaire français (Vendin-Oblighem) / Utopia56
Auteur: Région Nord-Picardie
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