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Podcast « Nous, les banni·e·s » Episode 1

Mamadou travaille et cotise depuis 2017, date de son arrivée en France. Malgré sa soif de travail et d’intégration, sa demande de régularisation se solde par un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF). Mamadou mène donc une vie dans l’ombre, sans pouvoir travailler légalement, avec la crainte permanente d’être expulsé. Il se sent « abandonné » par la France, un pays où il pensait pouvoir être accueilli pour y mener une vie paisible.

Podcast « Nous, les banni·e·s » Episode 1 – « Travailleur indispensable »

 

Mamadou est originaire de Gao, une région pauvre du Mali proie aux attaques terroristes. Il fait par ailleurs partie de l’ethnie peul accusée par beaucoup de soutenir ces groupes armés. Ce double motif de craintes de persécutions, combiné à l’espoir de jouir d’une vie meilleure, le conduit à quitter son pays en 2017 pour la France. Il y formule une demande de protection internationale qui fait l’objet d’un rejet au motif qu’il n’y aurait pas de guerre au Mali. Mamadou est dans l’incompréhension face à cette décision : « s’il n’y a pas de guerre, est-ce qu’on va envoyer l’armée française là-bas ? ».  Le rejet de sa demande d’asile est assorti d’une OQTF. « C’est là que les galères commencent ; si je n’ai pas de papiers, comment je vais vivre ? », s’interroge-t-il.

Mamadou n’est pas autorisé à travailler. L’OQTF le condamne à la clandestinité. Il est donc exclu du marché légal du travail. Pour autant, Mamadou est dans l’obligation de travailler pour survivre et bénéficier de conditions de vie dignes. Il travaille ainsi depuis son arrivée en France avec des faux documents d’identité, ce qui lui donne l’impression d’être un « hors-la loi » : « Personne ne souhaite violer la loi d’un pays qui t’a accueilli. Personne. Mais on n’a pas le choix. […] Certaines lois nous poussent à faire certaines choses telles que travailler en situation irrégulière avec une fausse carte ou travailler avec le nom de quelqu’un ».

Ce sont ces faux documents d’identité qui permettent à Mamadou d’assurer des missions de nettoyage, certes pas dans le cadre d’un métier figurant à la liste des métiers en tension, mais dans un secteur qui fait face à d’importantes difficultés de recrutement, à une période où la France fait face à la pandémie du COVID-19. Pendant que la majorité de la population est confinée, Mamadou fait partie des agents de nettoyage qui empruntent les transports en commun tôt le matin pour aller travailler. « C’est là où tu vois que même en situation irrégulière, t’es très important dans cette société. […]. Pendant le COVID, c’était une fierté pour moi », confie-t-il. Mamadou fait dès lors partie de cette catégorie de travailleurs indispensables qui contribue au fonctionnement de la société et de l’économie du pays.

Malgré cette fierté, Mamadou est conscient que le travail clandestin est imbriqué dans un système d’exploitation au sein duquel le patron peut aisément user de son pouvoir vis-à-vis d’une main-d’œuvre à bas-prix. Il raconte comment certains patrons abusent allégrement de leur position dominante et c’est ainsi qu’un certain nombre de travailleurs sans-papiers, n’étant pas protégés par les dispositions du code du travail, sont contraints de travailler de longues heures, parfois sans repos, avec des salaires extrêmement faibles. Si le travailleur ne se plie pas eux exigences du patron, il peut faire l’objet de menaces : la menace d’appeler la police ou celle de tout simplement le remplacer. Le travailleur indispensable devient alors dispensable…

L’obtention de droits passe par l’obtention de papiers. Or, comme beaucoup d’autres, Mamadou se heurte aux rouages d’une administration absurde et arbitraire. Il s’interroge à ce titre sur ce qui semble relever d’un non-sens : une régularisation est la plupart du temps conditionnée à la présentation de fiches de paie, mais comment les obtenir sans droit au travail ? Mamadou ne trouvera pas la réponse à cette question puisque la demande de titre de séjour qu’il introduit se solde, après une longue attente de 18 mois, par une OQTF assortie d’une IRTF de deux ans. Il lui est notamment reproché de travailler avec des faux documents d’identité.

La demande d’une admission au séjour en France expose donc Mamadou une nouvelle fois à une mesure d’expulsion. Par ailleurs, la notification de l’IRTF impacte gravement sa situation : « L’IRTF c’est comme si tu étais banni sur le territoire. C’est comme si tu n’existais pas. Tu es là, mais tu n’existes pas en France », dit-il, avant d’ajouter « Avec l’IRTF, tu ne peux plus te faire régulariser ».  Mamadou souffre en conséquence de dépression, d’insomnies et vit avec la crainte permanente d’une interpellation et d’une expulsion. Il s’isole, se fait discret et vit caché. Il n’a plus de vie sociale et ne peut pas voyager. « Quand t’es en situation irrégulière, il faut avoir en tête que tous les jours on peut t’envoyer au pays. Quand tu rentres le soir tu te dis que t’as eu de la chance de ne pas avoir été attrapé », confie-t-il.

Mamadou trouve néanmoins une lueur d’espoir et un sens à ses démarches dans la lutte qu’il mène collectivement dans le cadre d’un collectif de sans-papiers. La mobilisation des personnes concernées par les politiques d’exclusion et de marginalisation apporte une dimension plus large au combat entrepris. A titre personnel, il garde par ailleurs l’ambition de pouvoir ouvrir son entreprise un jour. En effet, il termine son témoignage avec ces mots : « Je sens qu’un jour ça ira. Je sais pas quand, mais ça ira. Papiers ou pas, je continuerai à travailler car j’ai été éduqué comme ça. Le travail paie ».

Si la nouvelle loi asile et immigration annoncée pour 2023 semble pouvoir représenter une opportunité politique pour en finir avec une économie souterraine propice à l’exploitation et la précarisation des travailleur.ses.s sans-papiers, les déclarations faites dernièrement par certains représentants politiques ne vont pas dans ce sens. Le gouvernement semble en effet vaciller : tantôt il annonce créer un titre de séjour spécifique pour les métiers en tension, tantôt il indique qu’aucune mesure de régularisation des travailleur.ses.s sans-papiers ne sera proposée dans le cadre du projet de loi. Rappelons que les travailleurs sans-papiers, quel que soit le poste occupé, dans un secteur en tension ou non, font fonctionner des pans entiers de l’économie. Ils devraient dès lors être perçus comme indispensables et non comme de la main d’œuvre dispensable et indésirable subissant, pour certain.e.s, comme Mamadou, les effets d’une politique de bannissement du territoire.

La Cimade dénonce la machine à expulser et revendique :

  • La suppression des IRTF, instrument de bannissement ;
  • Une réforme en profondeur du droit applicable en changeant de paradigme : des dizaines de milliers de personnes ont construits leur vie en France et restent privées de leurs droits ;
  • L’arrêt des expulsions et l’acharnement institutionnel à l’encontre des personnes qui restent en France.

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