Grand Est

» retour

Témoignage : « Quitter dignement, revenir invisiblement »

25 août 2025

Dans ce témoignage partagé aux équipes de La Cimade à Strasbourg, F. livre le récit de l’humiliation qu’elle a subi lors du contrôle de la police aux frontières alors qu’elle quittait la France pour retourner vivre dans son pays d’origine, l’Algérie.

Par F., août 2025

Le 3 juillet 2025, je réserve un vol depuis Paris après avoir perdu mes deux parents en l’espace de six jours. J’étais leur aidante : mon père, alité après un AVC, et ma mère, en fin de vie, atteinte d’un cancer du côlon. Après avoir mené toutes les démarches administratives et annulé mes rendez-vous médicaux en France, je prends la décision de partir.

À 6 h du matin, je quitte Thionville en direction de Paris pour rejoindre l’aéroport d’Orly. À 10h01, je reçois un email : mon vol Orly–Oran est annulé à cause d’un mouvement social. La panique me saisit en plein trajet. Épuisée, bouleversée, je cherche une alternative pendant deux longues heures avant de trouver un vol vers Alger avec LSR Airlines, au départ de Charles-de-Gaulle à 21h55, au double du prix.

Je passe la journée à Paris, fatiguée, jusqu’à mon arrivée à l’aéroport. Tout se déroule normalement jusqu’au contrôle de la Police aux Frontières. Je fais la queue, j’attends mon tour. Devant la guérite, une policière […] me demande mon passeport, puis mon titre de séjour. Je lui réponds que je n’en ai pas. Elle examine mon document, me demande si j’ai un visa. Je réponds oui, un visa espagnol.

Son ton devient hostile. Elle pose mon passeport d’un geste brusque et exige de voir le visa. Je le lui montre. Elle s’agace : « Pourquoi vous dites oui ? ». Je répète calmement que j’ai précisé qu’il s’agissait d’un visa espagnol. Elle m’accuse d’être en situation irrégulière depuis un an. Je lui réponds que ce n’est pas encore le cas. Elle perd patience et me relègue sur le côté, sans autre mot.

Je me sens humiliée, mise à l’écart, soupçonnée — alors que je suis en encore en deuil, affaiblie, malade. Elle continue à contrôler les autres passagers, puis quitte sa loge, furieuse.

Entre-temps, un agent de l’aéroport me regarde avec bienveillance, m’adresse un sourire. Je lui réponds par un signe discret. Trop émue pour parler. Deux femmes, deux postures dans le même terminal : l’une dans l’empathie, l’autre dans l’agression.

Quelques minutes plus tard, la policière revient. « Il fallait juste avoir la bonne foi », me lance-t-elle. Je lui réponds sincèrement, jurant que je suis restée auprès de mes parents mourants, « wellah ». Elle me coupe froidement : « Ce n’est pas mon problème. ». Elle enchaîne son discours sur la lutte contre l’immigration irrégulière, me dit que je dois payer une amende de 180€ et m’annonce que je n’obtiendrai plus de visa à l’avenir. Elle ne voit pas ma douleur. Elle tamponne mon passeport et me renvoie, sans autre considération.

Je lui dis simplement : « Je ne pense pas revenir. Mes parents sont morts. Merci, au revoir. ».

J’ai acheté mon billet avec mes propres moyens. Ce geste d’autonomie n’a suscité aucun respect. J’ai été ignorée, isolée, humiliée, alors que je suis atteinte de sclérose en plaques, affaiblie, vulnérable. Ce moment révèle à quel point les institutions peuvent déshumaniser ceux qui sont en situation de retour, en les traitant avec froideur, sans égard pour leur dignité.

Mon retour en Algérie s’est déroulé dans le silence administratif : pas d’OQTF[1], aucune aide de l’OFII[2]. Juste ma propre volonté. J’ai financé mon départ seule, avec dignité, portée par le besoin de retrouver un espace où respirer. Ce geste, pourtant invisible dans les statistiques, raconte une réalité profonde : celle d’un départ choisi, libre, mais marginalisé par les rouages institutionnels.

Je cours jusqu’à ma porte d’embarquement, la peur au ventre de rater mon vol. Je monte à bord. Apres deux heures, j’arrive à Alger.

Là encore, une enquête. Mais cette fois, les policiers sont bienveillants. Ils m’offrent de l’eau, me posent quelques questions, dans un cadre humain que je salue pleinement.

🎯 Conclusion – Témoigner pour briser l’indifférence institutionnelle

Ce récit n’est pas une exception. Il reflète un système où l’administration oublie parfois qu’elle s’adresse à des êtres humains. Derrière les visas, les titres de séjour, les allers-retours, se cachent des histoires comme la mienne : des personnes en deuil, malades, fatiguées, confrontées au racisme, à la discrimination, aux décisions arbitraires et aux paroles blessantes.

Je témoigne, non pour accuser, mais pour éclairer. Parce que la dignité ne devrait jamais dépendre d’un tampon sur un passeport ou d’un regard soupçonneux au contrôle. Parce que circuler, souffrir, se relever, c’est aussi mériter le respect.

Aujourd’hui, je partage ce texte pour que les politiques migratoires ne soient plus abstraites, mais humaines : faites de visages, de vécus, de vérités. Et pour rappeler que, même dans les couloirs des aéroports, l’humanité doit être une priorité.

Merci de lire, de partager, et de reconnaître que l’humanité ne devrait jamais s’arrêter aux frontières.

 

[1] Obligation de quitter le territoire français

[2] Office français de l’immigration et de l’intégration

Auteur: Région Grand Est

Partager sur Facebook Partager sur Twitter
À partager
Petit guide – La fabrique des sans-papiers
Septième titre de la collection Petit guide, Refuser la fabrique des sans-papiers éclaire les pratiques de l’administration française quant à la délivrance de titres de séjour ainsi que leurs impacts sur le quotidien des personnes étrangères.
Acheter militant
Faites passer le message avec ce t-shirt « Il n’y a pas d’étrangers sur cette terre » !
Retrouvez tous nos produits militants, faites plaisir à vos proches tout en contribuant au financement de nos actions sur le terrain.