La Cimade dénonce un « lieu de non-droit » pour expulser des familles à l’aéroport d’Entzheim
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Une bénévole de La Cimade livre le récit du dépôt d’une demande de carte de séjour à la Préfecture de Strasbourg. Un témoignage qui illustre la violence institutionnelle à laquelle font face les personnes étrangères pour parvenir à déposer une demande de régularisation auprès des services préfectoraux.
Par C.
Ce jeudi 24 juillet, nous retrouvons devant la Préfecture de Strasbourg le jeune homme de presque 18 ans qui a rendez-vous pour déposer sa demande de carte de séjour. Il est accompagné de sa mère et de sa sœur.
Comme il est arrivé en France avant ses 13 ans, cette carte est de plein droit. Il lui suffit théoriquement de prouver qu’il est resté 5 ans en France d’une part, et qu’un de ses parents était avec lui durant tout ce temps d’autre part. En ce qui le concerne, les certificats de scolarité prouvent sans conteste sa présence continue. En ce qui concerne ses parents, divers documents ont été rassemblés pour certifier de leur présence durant tout ce temps : feuille d’impôts, attestations d’hébergements, factures diverses …
Nous passons le barrage de la sécurité. Mes compagnons ouvrent leur sac pour le présenter au jeune vigile à l’entrée et nous rentrons dans l’aula ceinturée de guichets. Il y a beaucoup de monde. Vers la gauche se trouvent les guichets réservés aux Ukrainiens, et quelques familles attendent visiblement leur tour pour y accéder. En face, devant les deux guichets de Régie se tiennent deux files de personnes qui désirent retirer des documents (cartes de séjour et titres de voyages). A droite, les guichets destinés aux autres personnes étrangères. Au milieu de l’aula, une vingtaine de sièges sur lesquels une partie de notre groupe s’assoit. De temps en temps, un des guichets se libère et la personne qui le tient appelle un nouveau nom. Notre jeune homme est convoqué au guichet « I ». Le temps passe, les noms s’égrènent, l’heure du rendez-vous est dépassée, son nom n’a pas été prononcé. A côté de nous, deux sœurs tchétchènes attendent également, qui avaient rendez-vous au même guichet avant nous.
[…]
Il est 12H15, il ne reste plus que le guichet « H » d’ouvert, et dans l’aula, les deux sœurs et notre groupe. On vient nous rassurer, les rendez-vous seront honorés au guichet « H ». Derrière ce guichet se tient un jeune homme barbu, que rejoint une femme à l’air assez autoritaire. […] C’est finalement notre tour. Il est 12 h45, La famille se groupe devant le guichet, M.O se place pour entendre ce qui se dit et les documents sont remis à la femme : une liasse concernant le garçon, une liasse concernant la famille. Les papiers sont posés sans soin sur le bureau, les deux employés tirant des feuilles des deux liasses et mélangeant un peu le tout.
La femme demande le DCEM[1] du jeune homme ! Puis les cartes de séjour des parents (qui n’en ont pas, évidemment) et soutient que, sans des parents en situation régulière, il est impossible de régulariser les jeunes de 18 ans arrivés avant 13 ans, alors que ce n’est pas prévu par la loi. Elle tente une explication sur les enfants des réfugiés qui bénéficient du statut de leurs parents, ce qui n’a strictement rien à voir avec la situation.
M.O l’envoie consulter l’article L.423-21 du CESEDA[2], ce qu’elle fait d’assez mauvaise grâce. Pendant qu’elle est à l’ordinateur […], le jeune homme tripatouille les objets de son bureau, mélange encore un peu les documents qu’il a devant lui, et attend en évitant de soutenir les quatre regards qui le dévisagent.
L’employée revient avec une page imprimée que M.O reconnaît immédiatement pour être l’annexe 10 du CESEDA qu’elle l’avait envoyée consulter. L’annexe 10 établit la liste des documents à fournir pour toute demande de carte de séjour, mais ne dispose pas les conditions nécessaires à leur obtention. Dans l’annexe 10 figure la précision suivante : pour prouver que des parents ont vécu en France pendant 5 ans avec un enfant qui lui même a prouvé qu’il a vécu en France pendant 5 ans avec des certificats scolaire […], il faut fournir un document par trimestre. Soit 20 documents : 4 trimestres multiplié par 5 ans. Voilà une règle qui réjouissait fort notre employée pleine de zèle qui se mit de bon cœur à tripatouiller la pile de documents devant elle, tout en expliquant ce qu’il en était à son collègue qu’elle houspillait gaillardement et qui n’osait même plus bouger. Elle finit par s’asseoir, et à trier un peu les papiers. Son collègue aussi s’est mis à faire des piles, et rapidement, ils ont abouti à 4 piles qu’elle a commencé à dépiauter. […]
Alors : Les feuilles d’impôts ne prouvent rien, c’est une feuille annuelle et il en faudrait une par semestre. (Dans le feu de l’action, elle mélangeait trimestre et semestre, et disait une fois l’un, une fois l’autre !). Sauf que personne en France n’a de feuille d’imposition par semestre… Les attestations d’hébergement étaient également annuelles, et il a fallu lui rappeler qu’une année comptait 4 trimestres. Elle a ensuite demandé que la mère prouve qu’elle était entrée en France il y avait plus de 5 ans. Heureusement, la maman avait son passeport avec son visa, qu’elle a gentiment présenté à l’employée. « Comment, vous avez encore votre passeport ? Ce n’est pas normal, s’est étonné l’employée. Quand on demande l’asile, on n’a plus de passeport ». Il a fallu lui expliquer que ceux qui obtiennent l’asile n’ont certes plus de passeport, mais que les autres le gardent.
Entre temps, M.O qui en avait plus qu’assez, a fait semblant de téléphoner à un avocat. Dans le silence de l’aula a résonné un « Allô Maître » qui a calmé fissa la partie féminine du guichet. Laquelle a estimé qu’elle en avait assez fait. Elle a rendu son siège à son collègue, s’est éloignée de quelques mètres, et a donné dédaigneusement l’ordre de délivrer un récépissé de 6 mois.
Ce qui a été fait, le récépissé orné de quelques mystérieux tampons (décoration ?) a été délivré au jeune homme bien sage qui l’attendait. Il était 13h30. Nous sommes sortis de la Préfecture, dont les portes venaient de s’ouvrir pour les rendez-vous de l’après midi.
[1] Document de circulation pour étranger mineur
[2] Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
Auteur: Région Grand Est
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