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Un après-midi au 8ème bureau

6 février 2018

Un témoignage d’une bénévole de La Cimade sur les pratiques illégales du préfet de Police qui continue en toute impunité à arrêter et enfermer en rétention des demandeurs d’asile sous le coup d’une procédure Dublin.

J’accompagne M. à sa convocation au 8ème bureau de la préfecture de police de Paris, car il y est indiqué discrètement en bas de page qu’ « un placement en centre de rétention administrative sera susceptible d’intervenir à l’issue de ce rendez-vous ». Nous voici prévenus, la légalité semble  respectée puisqu’il est illégal d’interpeller quelqu’un à un guichet de préfecture sans avertissement préalable sur la convocation, mais en réalité la convocation n’est-elle pas en elle-même illégale puisqu’elle annonce à la fois l’exécution d’une « réadmission Dublin vers l’Italie »  et une mise en rétention, or la rétention des dublinés est illégale depuis l’arrêt du 27/09/17 de la Cour de cassation.

Nous arrivons à 14h, heure de la convocation, au 4ème étage dans une salle d’attente minuscule, 10 sièges, un guichet et une porte fermée. Le guichet est vide, n’y apparaît parfois un agent que pour renvoyer au lendemain matin les visiteurs – « Nous recevons en priorité les personnes qui ont rendez-vous, et il y a tant de monde aujourd’hui que nous ne pourrons recevoir personne d’autre. ». Or les personnes « qui ont rendez-vous » sont toutes des personnes menacées d’expulsion. La salle d’attente est donc pleine mais silencieuse, chacun plongé en lui-même. Seul mouvement de vie, les pleurs d’un nourrisson, il attend dans les bras de sa mère depuis longtemps, la chaleur est étouffante dans cette minuscule pièce sans aération, sa mère sort, on la voit par la porte vitrée marcher dans le couloir où il fait plus frais, puis elle revient s’asseoir pour lui donner le biberon.

Trois policiers viennent d’entrer, l’un se penche au guichet vide – « tout va bien ?  – oui, tout va bien » – vient répondre un agent qui redisparaît aussitôt. On les reverra passer encore deux fois, une fois par heure environ. Font-ils une ronde régulière ? La salle est pourtant bien tranquille.

La porte à droite du guichet s’ouvre : « Madame X ! Nous avons besoin de faire une photo de l’enfant. » La porte se referme derrière la mère et son bébé. Ça ressemble à quoi la photo de police d’un nourrisson qui n’a pas  6 mois ?  Madame X ressort avec son bébé, se rassied, le père prend son enfant dans ses bras, lui fait des câlins. « Monsieur Y ! ». Se lève un grand gaillard en anorak jaune vif. Un moment, et il ressort avec un papier dans les mains – une nouvelle convocation. Il sera le seul cet après-midi à ressortir de la porte fatale par la salle d’attente.

Attente, silence. La porte s’ouvre, « Madame X ! », la mère se lève avec son bébé dans les bras, s’avance vers la porte, « prenez votre caddy avec vous », elle revient, tire son caddy, son mari assis tête baissée ne bronche pas, « et avec Monsieur ! », il se lève à son tour et les trois disparaissent derrière la porte. Nous ne les reverrons plus.

Attente, silence. Un homme en manteau beige a été appelé. M. qui par la porte vitrée a vue sur l’escalier  se penche vers moi – « ils l’emmènent ! ».

Le temps passe, 17h, 17h15,  il ne reste plus dans cette petite salle d’attente que nous et un homme seul. La porte s’ouvre, « Monsieur M ! Monsieur Z. ! » C’est notre tour d’entrer derrière cette porte. Une longue série de guichets, et oh ! derrière une cloison vitrée les trois policiers ! Assise au guichet, l’agente compulse des papiers, « voilà, nous avons reçu pour Monsieur M. un arrêté de placement en rétention », protestations, le placement en rétention d’un demandeur d’asile dubliné est illégal depuis l’arrêt du 27/09/17 de la Cour de cassation,

« nous avons reçu un arrêté, nous l’exécutons », mais Monsieur M. est malade, vous en avez été prévenus par courrier demandant l’enregistrement d’une demande de titre pour soins, « nous exécutons les ordres ».

« A l’issue de ce rendez-vous » disait la convocation, mais le rendez-vous se limite à l’exécution rondement menée du placement en rétention, en respectant les formes, à savoir traduction dans la langue de M. de la notification de l’arrêté de placement en rétention et de la nécessité des menottes pour le transport. Les formes sont respectées pour des pratiques illégales, la mise en rétention est illégale, la mise des menottes est aussi illégale puisque M. n’a pas montré la moindre velléité de résistance. Même chose avec Monsieur Z. à un autre guichet, sans protestations car il n’est pas accompagné. Les deux hommes sont menottés mains dans le dos. Ont-ils aussi menotté la mère avec son bébé dans les bras ?

Ils descendent l’escalier, mains dans le dos, encadrés par les trois policiers. Ce sont ceux-là même qui faisaient leur ronde. En vérité « tout va bien ? » signifiait « nous voici revenus du transport précédent au CRA de Vincennes, nous sommes prêts pour le prochain transport ».

Du CRA de Vincennes M. sera emmené à 4h du matin à l’aéroport de Roissy pour un vol vers l’Italie. Ayant exprimé son refus d’embarquer, il sera retenu sans explications quelques heures dans une pièce de l’aéroport, puis libéré sans autre procédure.

Ni vu ni connu, libéré à l’aéroport, le JLD n’aura pas à statuer sur l’illégalité du placement en rétention d’un demandeur d’asile dubliné. Tout cela dans une illégalité assumée et camouflée derrière une apparence de formes, on ne sait jamais, peut-être que l’un ou l’autre de ces demandeurs d’asile dublinés acceptera d’embarquer, cela fera du chiffre pour les statistiques du Ministre.

 

 

Auteur: Admin_Ile_de_France

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