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Au Mesnil-Amelot, l’isolement pour soigner les troubles psychiatriques

28 décembre 2018

« Je n’ai pas mangé depuis trois jours. Je l’ai écrit sur une feuille mais les policiers l’ont déchirée », me dit Hassan en entrant dans mon bureau ce matin-là.

Les intervenant.e.s de La Cimade au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot commencent à bien connaître Hassan, et pour cause, il vient chaque jour dire la souffrance immense que lui inflige l’administration. Arrêté et enfermé au CRA sur décision du préfet des Hauts-de-Seine il y a plusieurs semaines, Hassan a attenté à ses jours dès son arrivée et a été hospitalisé quatre jours dans un service de psychiatrie.

Il en faut davantage pour émouvoir le juge des libertés et de la détention, en charge du contrôle des conditions d’enfermement : il ordonne de prolonger la rétention d’Hassan, peu importe qu’il soit hospitalisé, peu importe qu’il soit, dès lors, absent à l’audience.

De retour de l’hôpital, Hassan a cherché de l’aide auprès du service médical du centre de rétention. Le médecin a saisi son homologue de l’OFII pour qu’il rende un avis médical au préfet. En attendant, Hassan reste en rétention, un lieu manifestement inapproprié à une prise en charge médicale adaptée. Pour preuve, son « traitement » passe par un régime encore plus violent : la cellule d’isolement. L’acharnement à vouloir l’expulser conduit à le placer seul dans une cellule, isolé jour et nuit – et au besoin à le menotter et à lui mettre un casque pour qu’il ne se tape pas la tête contre les murs. Étonnant « traitement médical ». Peu importe qu’il aggrave encore les troubles dont souffre Hassan. Il y restera une semaine. Une durée qui confine au traitement inhumain et dégradant, et contraire aux recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Épuisé et brisé, Hassan a eu « l’autorisation » de retourner dans les bâtiments du CRA, non sans subir la menace de la cellule d’isolement s’il avait la mauvaise idée de se faire du mal une fois de plus. Depuis, il continue d’être terrifié et de faire des « crises », comme il dit, surtout la nuit. Pas de problème, rien à signaler, les menottes et le casque le temps que la « crise » passe, cela fait l’affaire pour l’administration. Il nous déclare qu’il est parfois violenté par la police lorsqu’il se débat.

Quant au juge, saisi une seconde fois, il est du même avis que le médecin et l’administration : les menottes et le casque, c’est pour vous protéger. Citant l’avis du médecin de l’OFII qui a fini par être produit au préfet, le magistrat concède tout de même que l’interruption du traitement médical d’Hassan pourrait avoir « des conséquences d’une exceptionnelle gravité » sur son état de santé, mais qu’il pourrait être soigné dans le pays d’origine. Pourtant, lui sait très bien qu’en réalité il ne pourra pas y être soigné convenablement, faute de moyens financiers suffisants.

Hassan ne comprend pas. La première fois que son extrême souffrance psychologique a éclaté, c’était en 2016, alors qu’il était enfermé au CRA de Vincennes : « avant, je n’étais pas comme ça, c’est eux qui m’ont fait ça », me dit-il. A l’époque, le juge des libertés et de la détention l’avait libéré, estimant qu’« en tout état de cause, Monsieur Hassan A. apparaît à l’audience dans une grande souffrance », de sorte « qu’il ne peut être pris le risque de prolonger la rétention administrative dans ces conditions ». Le médecin de ce CRA avait alors attesté que son état de santé était incompatible avec la rétention. Le juge des libertés avait, à défaut de le libérer, ordonné un nouvel examen médical pour s’assurer que son état était compatible avec l’enfermement et l’expulsion dans son pays. Mais

La Cour d’appel a annulé l’examen médical : un médecin de l’administration aurait, sans même le voir, considéré que Hassan pouvait supporter l’enfermement et l’expulsion.

En 2018, après plusieurs semaines en rétention, un juge des libertés et de la détention a considéré que la dégradation de son état nécessitait une nouvelle expertise médicale spécialisée, mais la Cour d’appel est revenue sur cette décision en décidant de prolonger son enfermement.

Cette situation injustifiable se produit dans un contexte où la politique d’expulsion s’est durcie, en particulier à l’égard des personnes malades, avec plus largement des violations des droits qui se multiplient, tout comme le nombre de personnes enfermées en rétention malgré des troubles psychiatriques manifestes.

Aujourd’hui comme en 2016, Hassan ne demande qu’une chose, être hospitalisé, vite, et ne plus subir la violence de son enfermement en rétention quand cette privation de liberté lui devient trop insupportable. Avant de sortir de mon bureau, il m’a dit « j’ai peur de mourir la nuit ».

[Actualisation du 10.01.2019]

Hassan a vécu un réveillon du 31 particulièrement sombre : désespéré par son inextricable situation, il a fait une énième crise, a avalé diverses lames de rasoir et a été hospitalisé pour la nuit. Mais le pire était encore à venir.

Le 3 janvier à l’aube, Hassan est extrait brutalement de sa chambre du CRA, sanglé, et transféré à Roissy pour un vol à destination d’Alger, sans même avoir accès à son traitement médical.

Peu importe qu’une requête en référé soit pendante devant le tribunal administratif pour dénoncer les traitements indignes dont le jeune homme a fait l’objet pendant des semaines, peu importe qu’une demande d’asile ait été déposée la veille mais que l’OFPRA n’ait pu l’examiner – la préfecture des Hauts-de-Seine s’arrogeant le droit de la rejeter elle-même –, peu importe qu’Hassan ne puisse désormais plus se soigner correctement.

Recontacté par nos soins, Hassan est à Alger et va très mal. A Nanterre en revanche, l’année 2019 commence très bien.

Auteur: Admin_Ile_de_France

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