Ecoutez-moi, j’ai quelque chose à dire.
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Rencontre avec Marion Osmont, photographe qui vient de publier Des hommes vivent ici, un ouvrage mêlant reportage photo, témoignages et analyses sur les « jungles » du Calaisis…
Rencontre avec Marion Osmont, photographe, auteur de Des hommes vivent ici.
Vous avez commencé à vous rendre à Calais en 2009…
Oui, j’y suis allée peu après la destruction de la jungle afghane ordonnée par Éric Besson. Je n’ai pas voulu y aller lors du démantèlement, le 22 septembre 2009 : c’était un show médiatique organisé par le gouvernement. Dans la journée, tout a été rasé, y compris le mausolée dédié à un homme décédé dans cette « jungle ». 276 personnes ont été arrêtées dont 125 mineurs. Les adultes enfermés en centre de rétention ont tous été libérés par les juges, les mineurs ont quitté les foyers où ils avaient été placés. Cette opération médiatique, dont on n’arrive pas chiffrer le coût, n’a servi à rien.
J’avais beaucoup lu sur Calais, mais ce que j’ai vu dépassait ce que j’avais pu imaginer. C’était comme une ville en guerre – des centaines d’adolescents afghans, dans le froid, sans abri, traqués : le harcèlement policier est constant à Calais , mais à cette période, c’était très intense. La honte et la colère ce sont les deux sentiments les plus prégnants. Je suis revenue avec une voiture chargée de couvertures – les associations évidemment distribuent repas et vêtements, mais je ne savais pas quoi faire, j’ai réagi de façon un peu désordonnée. Après, je me suis dit que le plus utile de ma part, puisque je suis photographe, c’était de travailler à documenter cette situation. Je suis revenue pendant deux ans, une à deux fois par mois.
Comment justement se positionner comme photographe face à cette situation ?
Arriver dans un squat avec un appareil photo en bandoulière, c’est compliqué. Il m’a fallu du temps. Pour comprendre, et pouvoir photographier. On nous parle tellement de réseaux de passeurs mafieux que j’ai par exemple pendant six mois cherché les passeurs avant de comprendre que les Érythréens et les Soudanais (je travaillais dans les squats africains) passaient gratuitement – je ne dit pas qu’il n’y a pas de passeurs à Calais, mais pendant toute la période où j’y ai travaillé, les Africains passaient sans passeur.
Ensuite, pendant très longtemps je n’ai pas pu prendre en photo les mecs qui se brûlent les doigts sur des barres de fer, en prenant le café, comme s’il s’agissait d’un geste banal : à Calais, les Africains sont arrivés par l’Italie ou par Malte, les Afghans par la Grèce, leurs empreintes y sont saisies, et en vertu du règlement Dublin II, ils n’ont pas droit de demander l’asile ailleurs que dans le premier pays par lequel ils sont entrés dans l’UE. Ils se brûlent les doigts pour pouvoir déposer une demande d’asile en France ou en Angleterre. Pendant longtemps, ça, j’ai refusé de le photographier. Finalement, je me suis dit qu’il était important de faire savoir que des hommes se mutilaient ainsi, et un jour j’ai demandé à deux d’entre eux, que je ne connaissais pas, s’ils acceptaient que je les photographie en train de se brûler. Photographier un homme en train de se mutiler, c’est évidemment compliqué.
Le livre mêle photos, longs témoignages écrits et analyses…
La photographie n’explique pas tout. En deux ans, j’ai vu un homme revenir trois fois à Calais. Je l’ai vu trois fois, mais c’était déjà à sa dixième traversée pour l’Angleterre. Neuf fois il a été renvoyé en Italie où on avait pris ses empreintes, et neuf fois il est revenu pour tenter de passer à nouveau… On ne peut pas expliquer ça en photographies.
Je publie aussi le témoignage d’Ammanuel, qui a traversé cinq fois la Méditerranée en boat people, avant de réussir à rejoindre l’Europe. Il a été victime de violations de droits tout au long de son parcours… Il me semblait qu’il fallait expliciter clairement ces violations : pour quelqu’un qui n’est pas spécialiste, ça ne saute pas aux yeux à la lecture de son récit. J’ai demandé à Claire Rodier, juriste au GISTI, de commenter ce qu’il avait vécu. Elle revient également de façon plus large sur la dégradation du droit d’asile en Europe : les personnes qui sont à Calais, majoritairement, viennent de pays en guerre, on peut penser qu’ils ont besoin d’une protection internationale, ils pourraient déposer une demande d’asile si on leur en laissait la possibilité plutôt que de les pousser à continuer toujours un peu plus loin. Je me suis également entretenue avec Sylvie Copyans, secrétaire de Salam, et avec Mathieu Quinette, coordinateur de la mission MDM, qui tous deux racontent leur engagement mais aussi le harcèlement policier et judiciaire dont sont victimes les migrants et ceux qui leur viennent en aide, particuliers ou associations.
Aujourd’hui quelle est la situation à Calais ?
Depuis la fermeture de Sangatte, il y a 10 ans, en décembre 2002, les squats et les « jungles » sont dispersés sur le littoral. Ils sont régulièrement détruits par les pouvoirs publics. Entre août et octobre, à Calais, tous les squats ont été détruits – aujourd’hui, en plein hiver, des centaines de personnes dorment à la rue. Face à ça, les associations ne peuvent que gérer l’urgence humanitaire. À Calais, rien n’a changé depuis l’alternance politique de mai dernier. Dans certaines communes, où sont installés des campements, comme à Norrent-Fontes, où j’ai aussi travaillé, ça se passe un peu différemment : après la destruction ordonnée l’hiver dernier par le préfet de la « jungle », l’association Terre d’Errance, avec le soutien de Médecins du Monde, a construit des chalets de bois pour accueillir temporairement ceux qui passent. Et Marc Boulnois, le maire de Norrent-Fontes a créé avec d’autres le réseau des Élus hospitaliers, qui porte des plaidoyers pour l’ouverture de centres d’accueil, à taille humaine, répartis sur le littoral : Sangatte, c’était un immense hangar, absolument pas conçu pour héberger des personnes, mais depuis la fermeture, rien n’a été mis en place, les réfugiés sont toujours aussi nombreux, et vivent dans des conditions toujours plus précaires.
Des hommes vivent ici, Images Plurielles, décembre 2012.
Marion Osmont travaille depuis 2009 dans les squats de Calais pour documenter le quotidien des hommes et des femmes qui y vivent. Son ouvrage, édité avec le soutien d’Amnesty International et de Médecins du Monde invite à une réflexion sur le droit d’asile en Europe.
Auteur: Service communication
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