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Enfermer et refouler les exilé·e·s primo-arrivant·e·s : le premier réflexe de l’administration

23 juillet 2018

Entre zone d’attente et centre de rétention, pourquoi et comment l’administration en est-elle arrivée à priver de liberté durant plus d’un mois un couple de demandeur·se·s d’asile kurdes et leur enfant âgé de 4 ans, alors qu’au final le statut de réfugié leur a été accordé ?

 

En centre de rétention, certaines histoires connaissent une fin heureuse, quand la souffrance des injustices subies laisse place à l’espoir d’une vie normale. Pour autant, le « happy end » de ces histoires n’éteint pas les cendres de rage qui couvent en nous, témoins au quotidien d’impostures, de procédures discriminantes et violentes, de doubles discours institutionnels. L’histoire de la famille G. est l’une de ces histoires.

 

Madame et Monsieur G. sont arrivé·e·s en France avec leur enfant de 4 ans pour fuir les violences infligées par le régime d’Erdogan en Turquie. Le couple est engagé de longue date pour les droits du peuple kurde et milite dans les rangs du Parti démocratique des peuples (HDP) ; défenseur des droits démocratiques et des droits des minorités, issu de la minorité kurde, le HDP est à ce jour le troisième parti turc. En raison de sa participation aux activités de cette organisation, le couple était recherché par les forces de police et risquait un emprisonnement arbitraire, comme des dizaines de milliers d’autres militant·e·s, enseignant·e·s, syndicalistes, fonctionnaires, etc. Après s’être caché pendant un certain temps, le couple a réussi – au prix de nombreux risques – à sortir du pays afin d’offrir à leur enfant un avenir meilleur que celui qui lui était promis en Turquie : être livré à lui-même à cause de l’arrestation politique de ses parents.

 

Aussi, la famille G. est arrivée le 17 juin à l’aéroport de Roissy-Charles De Gaulle et a immédiatement manifesté sa volonté d’entrer en France afin d’y déposer une demande d’asile. Commence alors un nouveau calvaire pour cette famille déjà éprouvée ; la procédure pour pouvoir déposer l’asile est en effet un véritable labyrinthe juridique. La principale crainte des autorités étant celle davantage de laisser entrer en France de « faux ou fausses » demandeur·se·s d’asile plutôt que de renvoyer des exilé·e·s à leurs futurs geôliers, les personnes demandant l’asile à l’aéroport sont enfermées en « zone d’attente » afin d’étudier préalablement les motifs de leur demande et déterminer si elles ont, oui ou non, le droit d’entrer en France pour entamer la procédure d’asile à proprement parler.

 

A la suite d’un entretien lapidaire de 23 minutes (temps d’interprétariat compris) avec la famille G., la division aux frontières de l’OFPRA a écrit noir sur blanc que les déclarations de celle-ci étaient « lacunaires » et « dénuées d’éléments circonstanciés ». Pire encore, cette même division a estimé sans vergogne que « le fait que l’intéressé [Monsieur G.] soit parvenu malgré tout [le fait qu’il était recherché par les autorités turques] à quitter le pays apparaît dénué de toute vraisemblance ». Nous sommes ici devant un renversement de la conception du droit d’asile. La qualité essentielle de l’exilé·e – le fait d’avoir réussi à quitter son propre pays pour chercher protection ailleurs – lui est reproché et est utilisé comme élément probant pour nier ses craintes et légitimer son refoulement. Le ou la réfugié·e deviendrait donc celui ou celle qui ne doit jamais arriver jusqu’à nous.

 

Avec l’aval du ministère de l’intérieur, la Police aux frontières a donc essayé à deux reprises de renvoyer la famille en Turquie ; à deux reprises, la famille s’y est opposée. Après 19 jours d’enfermement dans la zone d’attente de Roissy et face à l’échec de ses tentatives d’expulsion, le préfet de la Seine-Saint-Denis revoit sa stratégie pour parvenir à leur renvoi. Il décide de rompre momentanément – et à dessein – l’unité de la famille : Monsieur est placé en garde à vue tandis que Madame et son fils sont remis·e·s en liberté mais convoqué·e·s au poste de police le lendemain – en effet, si Madame avait elle aussi été placée en garde à vue, leur enfant aurait dû être confié à l’ASE, ce qui aurait considérablement compliqué la mise en œuvre d’une expulsion. Au final, le préfet de la Seine-Saint-Denis notifie au poste de police une OQTF au couple et ordonne son transfert, accompagné de son enfant, au centre de rétention (CRA) du Mesnil-Amelot.

 

A leur arrivée au CRA, le couple dépose une demande d’asile. Quelques jours plus tard, un nouvel entretien est réalisé par l’OFPRA, cette fois en visioconférence, directement dans l’enceinte du CRA. La Cimade a alerté à plusieurs reprises l’OFPRA quant au caractère déshumanisant et irrégulier de ces conditions d’entretien. En effet, outre le fait de se dérouler dans un box exigu, bruyant et ne respectant pas la confidentialité de l’entretien, ces conditions sont loin de garantir à la personne la possibilité d’expliquer sereinement son histoire, ses traumatismes et les risques pour sa vie en cas d’expulsion. Exceptionnellement conscient de ce constat (?), l’OFPRA convoque 3 jours plus tard la famille à un ultime entretien, cette fois dans ses locaux fontenaysiens.

 

Le 19 juillet, la famille G. reçoit enfin la réponse définitive de l’OFPRA à sa demande d’asile : leur engagement pour les droits démocratiques en Turquie est reconnu, tout comme les risques encourus en cas d’expulsion. Pour ces raisons, le couple se voit octroyer le statut de réfugié, matérialisé par une carte de résident de 10 ans.

 

Après 32 jours d’enfermement – un enfermement (faut-il le rappeler ?) particulièrement traumatisant pour des enfants – en zone d’attente puis en rétention administrative, après plusieurs tentatives d’expulsion en Turquie et une angoisse constante sur son devenir, cette famille est finalement remise en liberté et peut commencer à construire une nouvelle vie en France. Nous repensons à ce jour où Madame G. est entrée dans notre bureau et nous a dit : « Mon fils est très angoissé, il a très peur. Il ne comprend pas ce qui nous arrive. Il a été enfermé à l’aéroport et puis a été à nouveau enfermé ici. Et il n’arrive pas à comprendre pourquoi ». Nous n’avons jamais su répondre à la question de cet enfant de 4 ans ; mais peut-être l’OFPRA, le préfet de la Seine-Saint-Denis et le ministre de l’intérieur le pourront-ils ?

Auteur: Admin_Ile_de_France

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