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Encore un sinistre été pour les personnes exilées et leurs soutiens en Méditerranée. Entre juin et fin août, 765 personnes ont perdu la vie à la suite de naufrages, soit près de la moitié du total des décès comptabilisés en Méditerranée depuis janvier 2018 (selon les données collectées par l’OIM) . Et les interceptions de bateaux par les garde-frontières libyens ont pour conséquence de ramener de force les personnes migrantes vers l’enfer qu’elles fuient, en violation du droit international.
Au mois de juin dernier, le nom de l’Aquarius, ce bateau de sauvetage affrété par les ONG SOS Méditerranée et Médecins Sans Frontières, était sur toutes les lèvres. Resté bloqué en mer pendant près de 7 jours, avec à son bord, 629 personnes secourues en état de grande vulnérabilité, il a dû finalement parcourir plus de 1 500 kilomètres pour enfin débarquer… en Espagne ; l’Italie et Malte ayant refusé d’ouvrir leurs ports pourtant situés à moins de 65 km ! Ce blocage avait largement attisé les tensions entre les États européens autour de leur responsabilité et de leur solidarité mutuelle et les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin ont bien montré qu’ils n’étaient pas prêts à s’entendre pour trouver des solutions ensemble excepté pour pousser encore plus les logiques d’externalisation vers la Libye et empêcher tout navire d’entrer dans les eaux européennes.
L’Italie et l’Union européenne investissent d’importants efforts humains et financiers dans la formation des garde-frontières libyens. Création d’un centre de secours, livraison de matériel pour surveiller les frontières maritimes, organisation de formations, etc. Pourtant, les conditions déplorables dans lesquelles les personnes interceptées sont ramenées en Libye ainsi que les violations notoires de leurs droits dans les prisons libyennes ont largement été documentées par diverses organisations internationales dont certains organismes des Nations-Unies. L’incident qui a opposé le navire de sauvetage allemand Sea Watch et les garde-côtes libyens le 6 novembre 2017 fait la preuve, s’il en fallait d’autres, que la sauvegarde des vies en mer et le respect des droits des personnes interceptées est bien le dernier des soucis des patrouilles libyennes. Forensic Architecture a reconstitué cette opération de sauvetage catastrophe au cours de laquelle plusieurs personnes se sont noyées (voir la vidéo ici en anglais ou italien) et une partie des naufragé·e·s ont été ramené·e·s de force vers la Libye.
Le 30 juillet 2018, une nouvelle étape est franchie avec le sauvetage de 108 personnes par un navire de la marchande italienne (Asso Ventotto) en Méditerranée et leur débarquement à Tripoli. Alors que la Libye ne peut être considérée comme un lieu sûr permettant leur débarquement, il s’agit clairement d’une entorse grave au droit international, et notamment au principe de non-refoulement. Mi-juillet, c’est au tour d’une centaine de personnes secourues par un navire tunisien, le Sarost 5, d’être bloquées en mer pendant près de deux semaines, avant d’être finalement débarquées en Tunisie alors même qu’elles avaient été secourues dans les eaux maltaises.
Au cours de l’été, différents navires ont été bloqués plusieurs jours en mer avant d’obtenir l’autorisation de débarquer les personnes naufragées à leur bord, dans un port européen. En effet, courant août, le ministre de l’intérieur italien Matteo Salvini avait affirmé que les ports resteraient fermés aux navires désireux de ramener les personnes exilées qu’ils avaient secourues en mer en Europe. Le dernier épisode de ces tensions estivales a opposé pendant des jours l’équipe de garde-côtes italiens du navire le Diciotti et le ministre de l’Intérieur, celui-ci refusant catégoriquement que les personnes secourues débarquent sur le territoire. Une fois de plus, Matteo Salvini avait mis pour ultimatum la relocalisation immédiate de ces personnes dans d’autres pays européens ou leur retour en Libye. Les 150 personnes retenues sur le bateau (29 mineur·e·s avaient déjà été débarqué·e·s à Lampedusa) et les garde-frontières ont finalement pu débarquer à Catane après de longs jours à bord. L’association italienne Arci a déposé un recours contre le gouvernement italien pour séquestration arbitraire. Entre temps, la justice italienne a ouvert une enquête contre le ministre de l’intérieur italien pour « séquestration de personne, arrestations illégales et abus de pouvoir ».
Est-ce que cette situation est vouée à se reproduire à chaque débarquement, provoquant une interdiction d’accoster, des conditions dramatiques pour les personnes secourues, des violations de leurs droits, et encore et toujours des tensions entre partenaires européens en panne de toute ambition commune ?
C’est dans ce contexte et dans la foulée des conclusions du Conseil européen fin juin que la Commission européenne a publié des éléments permettant d’entrevoir quelle forme pourraient prendre « des centres contrôlés au sein de l’UE » d’une part et des « plateformes de débarquement dans les pays tiers » d’autre part. La Commission appelle ainsi à la création de centres de sauvetage dans tous les pays du sud de la Méditerranée pour « limiter le nombre de morts en mer » ainsi que de lieux de débarquement où les personnes puissent ensuite être triées entre celles ayant droit à la réinstallation (par les programmes du Haut-Commissariat aux Réfugiés) et les autres, qui pourraient rentrer chez eux volontairement (par les programmes de l’Office International des Migrations). Pourtant, jusqu’à présent, aucun pays d’accueil de ces plateformes n’a été officiellement cité. Les pays du Maghreb ont d’ailleurs rapidement exprimé leur refus de voir de tels lieux se développer sur leur sol. Si cette idée de plateforme de débarquement peut, de prime abord, sembler novatrice, il est important de rappeler que des pistes similaires avaient déjà été avancées au début des années 2000 sans aboutissement réel étant données les obligations internationales des pays européens et le refus des pays-tiers d’aller si loin dans la logique d’externalisation.
Au même moment, SOS Méditerranée publie une tribune signée par plus de 500 personnalités et organisations dont La Cimade pour dire que l’Aquarius reprend la mer pour sauver des vies en suivant avant tout les principes du droit en mer et du droit international et ne débarquera donc pas les personnes sauvées en Libye. Reste à voir ce les États inventeront à l’avenir pour empêcher l’action des quelques ONG qui demeurent actives en Méditerranée. Malgré les intimidations, les saisies de navires, les poursuites contre les membres des équipages, les ONG n’ont jamais été condamnées pour ce qui leur était reproché, c’est-à-dire de « faciliter l’entrée irrégulière » ou même de « faire le jeu des passeurs » selon les propres mots du président Emmanuel Macron.
Pendant que des centaines de personnes sont refoulées vers la Libye sans espoir de protection, les regards se tournent à nouveau vers l’Espagne et le Maroc, désignés comme « nouvelle route migratoire » qu’emprunteraient les personnes migrantes. La réponse de la Commission ne s’est pas faite attendre avec le déploiement de nouveaux fonds d’urgence pour l’Espagne afin de lutter contre l’immigration irrégulière et le renforcement des fonds alloués au Maroc et à la Tunisie dans le cadre du Fonds Fiduciaire d’urgence pour l’Afrique.
Les mêmes politiques créeront toujours les mêmes effets. Et le prix à payer pour les milliers de personnes exilées enfermées, refoulées, violentées, trop souvent noyées ou mortes sur les chemins d’exil, est bien lourd.
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Photographie : Débarquement de migrants à Pozzallo, Sicile, novembre 2015. © Sara Prestianni
Auteur: Pôle Europe et International
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