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La justice représente-elle un obstacle à l’expulsion ?

La justice représente-elle un obstacle à l’expulsion ?

Les obstacles à l’expulsion identifiés par le ministre de l’intérieur seraient liés à une obstruction de la justice. Monsieur Darmanin a ainsi déclaré : « Notre droit est trop complexe. Pour expulser un étranger en situation irrégulière, nous avons jusqu’à 12 recours administratifs et judiciaires […] [Quand] vous faites des recours, vous ne pouvez pas expulser la personne […] Plus de la moitié des 120 000 OQTF prises ne sont pas exécutoires à cause de recours devant le tribunal administratif ».

Avant toute chose, le ministre de l’intérieur opère dans ces propos une confusion entre ce qui relève de la procédure, et ce qui relève du recours. Il est revenu sur ses propos le 2 novembre dans une interview au journal Le Monde en affirmant : « D’abord, il y a près de 50 % des OQTF qui font l’objet de recours qui les suspendent. L’une des dispositions du projet de loi qui sera examiné début 2023 au Parlement, est de fortement simplifier les procédures et de passer de douze à quatre catégories de recours, pour exécuter beaucoup plus rapidement les mesures ». Pour illustrer ses propos, le ministre a ensuite pris pour exemple à l’antenne de CNews le 3 novembre le cas des personnes en demande d’asile.

Lorsqu’il évoque le cas des demandeur∙e∙s d’asile débouté∙e∙s, il omet de préciser qu’il s’agit de deux procédures différentes. Il existe dans ce cas la procédure de demande d’asile avec la présentation du dossier de demande de protection devant l’Office de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) puis, en cas de rejet de la demande, la possibilité d’introduire un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Cette procédure d’asile est à distinguer de la procédure d’éloignement qui ne débute que lorsque la personne est déboutée. Un basculement est dès lors opéré entre une procédure de demande d’admission au séjour au titre de l’asile et une procédure visant à contester la mesure d’expulsion prise en conséquence. Dans le cadre de cette seconde procédure, la personne bénéficie du droit à un recours contre la mesure d’éloignement devant une juridiction de première instance puis, en cas de rejet, à un appel devant une juridiction de second degré. Un∙e demandeur∙e d’asile ne bénéficie dès lors pas de 14 niveaux de recours, mais d’un recours contre la décision de l’OFPRA, puis, si la personne est déboutée, d’un recours contre l’OQTF.

 

Si le ministre de l’intérieur a tenté de rectifier les déclarations faites, il maintient ses propos laissant entendre que le caractère suspensif du recours contre l’OQTF en première instance représenterait une obstruction à l’expulsion. Rappelons ici que seul le recours en première instance est suspensif de l’exécution de la mesure d’éloignement et cela répond au principe du droit au recours effectif consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par la Convention européenne des droits de l’homme, qui imposent que toute personne a le droit de voir sa situation être examinée par un∙e juge.

En ce qui concerne la longueur de la procédure, les délais imposés à la justice pour statuer sur un recours contre une mesure d’éloignement oscillent entre 48 heures et trois mois. Si les délais excèdent cette durée, cela ne saurait en aucun cas être imputé aux personnes exerçant leur droit au recours ; la longueur des procédures relève plutôt d’une problématique plus large qui concerne le manque de moyens alloués à la justice.

 

Par ailleurs, si le ministre de l’Intérieur évoque les procédures concernant les OQTF, il ne parle pas du contentieux contre d’autres mesures d’éloignement. Certains recours n’ont pas de caractère suspensif, au mépris du reste du droit européen. Il est nécessaire de rappeler que le caractère suspensif d’une procédure n’est pas un obstacle à son exécution mais une garantie procédurale primordiale dans un Etat de droit.

Enfin, l’obsession de l’inexécution des mesures d’éloignement appelle à une réflexion qui permet de déplacer le débat à un autre niveau : et si au lieu de parler d’inexécution des OQTF nous évoquions plutôt l’inexécution des décisions de justice ? Parmi les décisions de justice prononçant une annulation de la mesure d’éloignement, un bon nombre d’entre elles ne sont pas exécutées par l’administration. C’est notamment le cas lorsque le tribunal administratif prononce une injonction à délivrer un titre de séjour ou du moins à réexaminer le dossier, et que l’administration méprise ces décisions de justice.

 

Dans le même sens, La Cimade fait le constat d’un enfermement trop souvent abusif et disproportionné qui se traduit par le refus régulier de certaines préfectures d’exécuter les décisions des juridictions, notamment supranationales. C’est ainsi que des personnes étrangères, parfois accompagnées d’enfants mineurs, ont été maintenues en rétention, voire expulsées, alors même que la Cour européenne des droits de l’Homme avait ordonné leur libération ou la suspension de leur renvoi (voir le rapport 2021 sur les centres et locaux de rétention administrative).

Lorsque l’obsession du taux d’exécution des mesures d’éloignement prend le dessus sur des considérations qui ont trait aux principes fondateurs de notre état de droit, il est important de tirer la sonnette d’alarme.

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