Femmes étrangères victimes de violences psychologiques : un angle mort de la protection
Le 20 juillet 2023 Hadjira succombait aux coups de son mari en présence de leurs deux enfants.
La Cimade, qui accompagnait Hadjira depuis plusieurs mois, est profondément marquée par cet acte insoutenable et préoccupée par les nombreuses défaillances du système de protection des femmes victimes de violences qui a conduit à ce drame, qui aurait pu être évité. Face à ce féminicide, c’est d’abord vers ses enfants et sa famille que se tournent toutes nos pensées.
Que s’est-il passé ?
En France depuis 6 ans et mère de deux jeunes enfants, Hadjira, ressortissante algérienne était mariée à un homme qui s’est toujours opposé à ce qu’elle obtienne un titre de séjour. Devenu violent, les services de police interviennent à deux reprises au domicile des parents de Monsieur, où il a déménagé la famille depuis plusieurs mois pour mieux contrôler son épouse. Suite à cette intervention, Hadjira retourne vivre seule au domicile conjugal avec les enfants. Hadjira porte de nouveau plainte quelques jours plus tard. Le jour-même Monsieur change les serrures du domicile conjugal, elle est alors contrainte à se réfugier chez son frère, où elle parvient à emmener le plus jeune des enfants avec elle. Cette mise en sécurité relative ne met pas un terme aux violences, qui vont rapidement se focaliser sur l’obstruction à toute relation avec l’aîné des enfants retenu par le père.
Aidée par La CIMADE, son avocate et deux associations, Hadjira saisit alors le juge aux affaires familiales d’une demande d’ordonnance de protection. Cette mesure permet, dans un contexte de danger imminent d’ordonner en urgence des mesures de protection et de fixer la résidence des enfants et les droits de visite éventuels.
Pour étayer les violences dénoncées et le danger auquel elle est exposée, Hadjira produit plusieurs preuves des violences subies. Mais le Juge considère que ces justificatifs « s’appuient essentiellement sur des dépôts de plainte et le témoignage de son frère et sa belle-sœur », des plaintes ne faisant « que reprendre les déclarations de la requérante qui n’ont fait l’objet d’aucune suite ». Monsieur n’a en effet jamais été convoqué par la police suite aux plaintes. Il relève aussi qu’il n’y a pas eu de nouveaux actes de violences depuis la séparation et qu’Hadjira ne produit pas de certificat médical, alors même que le certificat d’une psychologue était au dossier.
Le juge considère finalement qu’« en l’absence de violences et de danger actuel vraisemblables, les mesures de protection sollicitées seront rejetées ». La demande de fixer en urgence une date d’audience pour établir des droits de garde est également rejetée.
Déniée en tant que victime, meurtrie et inquiète en tant que mère, Hadjira voit tous ses espoirs s’effondrer. La seule solution pour revoir son fils est le retour au domicile conjugal avec son mari où il la tuera 5 semaines plus tard. Le système pénal et judiciaire l’a abandonnée. Cela lui a été fatal.
Les violences psychologiques sont pourtant reconnues comme des violences par la loi.
Dans un pays qui prendrait en compte les violences sous toutes leurs formes, les victimes devraient être immédiatement protégées quand elles appellent à l’aide. Dans notre réalité, c’est loin d’être le cas. Le ministère de l’intérieur a rendu publiques les nouvelles terribles statistiques du nombre de morts violentes au sein du couple en 2022. Ces données viennent confirmer que la plupart d’entre elles avaient signalé les faits aux forces de l’ordre ou déposé plainte.
Quelles étaient les violences dénoncées par Hadjira ? La liste est longue : insultes, propos humiliants, harcèlement avec répétition d’accusations imaginaires, crachats, gifles, mise à l’écart de toute vie sociale et administrative en empêchant sa régularisation administrative, séquestration au domicile conjugal, puis au domicile des beaux parents avec interdiction d’amener l’enfant à l’école, puis expulsion du domicile conjugal sans ressources, chantage et entrave aux relations avec l’aîné des enfants.
De fait, la plupart de ces violences sont considérées soit comme des violences psychologiques ne déclenchant que peu de protection, soit ne sont pas considérées comme des violences car il n’y a pas eu de coups. La réticence des institutions est massive à estimer, y compris en présence de preuves instamment exigées, que les violences dites « psychologiques » puissent être véritablement des violences. C’est faire l’impasse sur la réalité de l’enfer que ces femmes vivent, sur la gravité des menaces qui pèsent sur elles et sur les nombreuses stratégies des conjoints violents qui agissent en toute impunité. La parole de la victime est discréditée. Les auteurs nient avoir été violents, attaquent la crédibilité de la victime et, comme pour Hadjira à l’audience, les accusent de demander une protection dans l’unique but d’obtenir des papiers. Les femmes victimes de violences, lorsqu’elles sont étrangères, subissent une emprise décuplée car leur droit au séjour dépend du maintien du lien conjugal avec l’auteur des violences.
Un constat et un drame qui forcent à agir
Aujourd’hui les institutions chargées de la protection des victimes de violences faillissent à leur mission. Un réel travail de prévention et de prise de conscience s’impose. Il est urgent que la France réagisse, mette en place des mesures de protection efficaces, fasse appliquer les textes, crée des places d’hébergement, forme les différents acteurs et actrices à toutes les formes de violences et adopte les fonds nécessaires pour une véritable politique de lutte contre les violences faites aux femmes.
C’est en prenant ces mesures nécessaires que toutes les femmes victimes de violences, y compris les ressortissantes étrangères, seront effectivement protégées sur le territoire français.
Auteur: Service communication