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« La France m’a arraché tous mes rêves »

22 juillet 2022

Karidia est demandeuse d’asile. Elle a été enfermée 17 jours au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot avant d’être renvoyée en Espagne, pays responsable de sa demande d’asile selon le règlement « Dublin ». 17 jours en enfer durant lesquels elle a souffert d’un enfermement absurde dans des conditions qui ont mis en péril sa santé et celle de son enfant à naître.

#MaParoleEstLibre

Comment allez-vous, Madame ?

La situation, c’est vraiment pas facile ici, c’est très difficile surtout pour les femmes enceintes. 

La nourriture, c’est pas facile. Je suis pas habituée à la nourriture européenne. Quand je suis au dehors, j’ai le choix, j’achète ce que je veux. Depuis que je suis arrivée, c’est le pain, le fromage, le pain, le fromage. Ça va pas du tout. Le dîner, on doit le prendre à 18h et il faut attendre 7h du matin pour le petit déjeuner. C’est pas facile pour une femme enceinte, dans la nuit tu as faim jusque dans ta tête, ça tourne. C’est pas facile.

Ce que la France vient de me montrer là, ce que j’ai vu de la France ça devait pas arriver.

C’est très difficile. Quand on vient, ceux qui ont demandé l’asile… Premièrement, ce qu’ils nous ont dit de l’asile, c’est pas ce qui se passe. Quand tu demandes l’asile, on pensait que c’était pour nous protéger de ce qui nous arrivait chez nous, mais en arrivant tu trouves que non, c’est pire que ce qui t’arrive chez toi. 

Parce que chez moi je n’ai jamais fait de la prison, je n’ai jamais eu de problème avec les policiers, j’ai jamais été en garde à vue. Aujourd’hui je me retrouve emprisonnée avec une grossesse qui n’est pas considérée.

C’est pas parce que tu es enceinte qu’on peut pas te laisser en rétention [ils disent]. Et moi je suis porteuse du VIH. Avec les médicaments, avant je prenais 1 comprimé par jour sans la grossesse. Maintenant, à cause de la grossesse, je me retrouve avec 3 comprimés, en plus des médicaments pour la grossesse. Je dois bien manger avant de les prendre et je me retrouve  sans rien et j’ai pas toujours les médicaments pour la santé de mon enfant.

 

Vous avez vu un médecin ici ?

Ici, il y a pas de médecin, il y a des infirmières qui sont là qui te donnent les médicaments. Parce que quand j’ai envoyé les ordonnances, ils ont commandé les médicaments. A l’extérieur, je suis bien suivie. Quand je suis arrivée ici, je suis arrivée sans les médicaments. 

Ils m’ont pas prévenu que je venais ici. Ils m’ont pris directement à la préfecture, à la Cité, j’ai pas été prévenue. J’avais une convocation, je suis allée comme d’habitude et je me suis retrouvée ici. A défaut de savoir lire, j’ai pas été prévenue.

D’autres détenus que j’ai vus ici ont eu un papier qui disait qu’ils devaient quitter le territoire, ils étaient prévenus.  Mais moi j’ai pas eu ce droit, j’ai pas été prévenue.

Ils m’ont dit que l’Espagne me réclamait, mais j’ai dit que je voulais pas y aller parce que je suis enceinte et le père de mon enfant se trouve ici. J’ai dit ça, on m’a amenée ici, avec d’autres détenues. 

Je suis arrivée avec d’autres détenues qui, elles, ont été relâchées, mais moi j’ai pas eu cette chance.

Depuis le 30 du mois passé je suis enfermée ici, ça fait 15 jours. J’ai fait 3 jugements sans réponse.

Ils vont pas me laisser aller en Espagne et ils veulent pas me libérer d’abord. Je sais pas au final ce que je vais devenir.

Je comprends rien à la fin. Parce que normalement si je devais aller, le mois de septembre, normalement c’est que la préfecture est déjà prête, le vol est déjà là, mais pour moi, c’est pas le cas, il y a  pas de vol. Parce que le juge m’a dit il y a un vol le 16 juin. J’ai demandé à la Cimade, eux ils ont regardé, elles ont dit il y a pas de vol à votre nom inscrit. Il y a pas de décision pour moi, mais je suis là.

C’est très difficile d’être là, ne pas savoir si tu seras libérée ou non, si tu vas partir ou non.

 

Le papa de mon enfant, il a pas de titre de séjour, il vit à moitié. J’ai pas de passeport parce que je suis pas venue sur la voie normale, c’est encore plus difficile.

Je suis là, je sais pas parce qu‘il y a pas de bon jugement.

Dès que tu es arrêtée, on te traite comme tu n’es même pas comme un être humain.

Quand la préfecture parle de nous, la première fois que tu es jugée, l’avocate de la préfecture, quand tu la vois en train de parler de notre histoire, tu vois que non, non, ce n’est pas un être humain qu’ils sont en train de juger. Tu es arrêtée là, tu n’as plus rien à dire, on te traite comme si tu n’es pas un être humain. 

On t’arrache la vie, même la joie, même d’avoir un enfant, parce que où je suis l’enfant il est puni à cause de moi, l’enfant qui est dans mon ventre il ne mange pas à sa faim. Du pain, du pain, du pain. C’est comme si je punis mon propre enfant. Eux ils m’ont punie et moi je punis mon enfant. C’est pas facile.

 

On est maltraité ici. C’est pas ce qu’on avait vu de la France.

Quand on est en Afrique, on nous dit qu’en Europe il y a la loi, il y a les droits de l’homme et au final il y a rien. S’il y avait les droits de l’homme, je pouvais pas rester ici jusqu’à 15 jours sans sortir d’ici. C’est pas possible, la loi ne dit pas ça du tout. On nous vend des illusions, arrivé ici on t’enlève tous tes rêves, puisque tu n’es même plus traité comme un être humain.

Moi,  dans mon pays, depuis mon enfance à l’âge de 4 ans, j’ai rencontré la souffrance et au final j’ai découvert à l’âge de 16 ans que j’ai le VIH, que je ne peux même plus regarder la famille en face. Pour quitter cette souffrance j’ai décidé de venir ici en espérant qu’on va bien me traiter et au final je me retrouve encore plus maltraitée. Quand tu appartiens à une famille islamique, quand tu es une fille sans foyer, sans mari, que tu te retrouves avec une maladie qu’on appelle le VIH, en Afrique c’est pas facile, tu es rejetée directement. A 23 ans, j’ai décidé de quitter la famille en espérant avoir une vie meilleure en Europe.

Je me retrouve encore plus maltraitée, parce qu’en vrai j’étais maltraitée, j’étais mal vue dans mon pays, ça c’est vrai, mais j’ai jamais fait de la prison.

 

S’ils veulent pas me garder ici, s‘ils veulent pas me laisser en France, pourquoi me garder jusqu’à aujourd’hui ? Pourquoi, c’est ça que je comprends pas. Vous m’avez bien expliqué que non, je peux pas rester en France, mais pourquoi me garder ? C’est ça la question, il n’y a pas de réponse à ça.

Le juge, il a dit d’attendre le prochain jugement, d’attendre la réponse jusqu’au 29  de ce mois. C’est pas sûr s’ils vont me laisser ou pas.

Il n’y a pas de justice juste. S’il y a une justice, on ne doit pas garder une femme enceinte dans ce genre de situation jusqu’à aujuourd’hui. Tu dors mal, tu n’as pas de force, même pour te laver tu n’as pas droit à un bon savon, un bon gel. Je suis arrivée comme ça et c’est comme ça que je suis, ça fait 15 jours.

 

On te prive de toute ta vie. Même un animal tu peux pas le traiter comme ça. Le chien chez toi tu peux pas le maltraiter. Quand tu veux pas de quelqu’un tu le dégages, on le maltraite pas.

Porter une grossesse, il faut avoir la force de supporter jusqu’à 9 mois, si tu es traumatisée avec tout ça tu risques de faire un fausse couche. Parce qu’ils n’ont rien ici. Quand tu vas au jugement, on te dit que non il y a tout ici. Si tu as un problème sur le champ ils ne pourront rien faire, ils n’ont pas d’appareil ici, juste pour prendre la tension. 

Et le juge croit leurs paroles. Nous-même qui vivons la chose, on ne nous croit pas. J’étais à l’hôpital, le juge a demandé de faire un test pour voir si j’étais compatible avec la rétention, l’hôpital a sorti tout un dossier pour justifier de refuser de faire ce test, car l’avis de l’hôpital n’a pas été suivi une autre fois.

J’ai vu de mes deux yeux qu’il n’y a pas de justice. Tu n’es pas considérée. Quand tu parles, on dit pourquoi tu parles comme ça, c’est faux. Tu dis la vérité mais on considère pas ce que tu dis. Même à mes ennemis je leur souhaite pas ce genre d’aventure. 

 

La France m’a arraché tous mes rêves.

 

Si on me disait Karidia, on t’emmène en Espagne à chaque jugement et que je refusais, là je peux dire c’est moi qui veux rester, mais on m’a jamais dit si je devais entrer en Espagne ou pas. Il n’y a pas de vol à mon nom, mais je suis là quand même. Tu me dis l’Espagne me réclame et tu ne m’envoies pas en Espagne. Je suis emprisonnée ici, pourquoi ? C’est pour me traumatiser, c’est tout. Je sais pas pourquoi ils me gardent.

Normalement, on devait me prévenir, un papier qui me dit « Madame K. vous devez quitter la France dans tel délai ». Là, si je refuse, tu m’attrapes, je l’ai cherché, mais tu m’as pas prévenue. Il  y a pas de vol et on m’a attrapée quand même. Et je suis là, je sais pas jusqu’à quand ? Jusqu’au 29 ça va faire 1 mois et je sais même pas si je serai libre ou pas.

Je crois même pas à la justice de la France. La justice n’existe pas ici.


Il y a pas de vol, je suis là et je sais pas jusqu’à quand. Tu peux pas garder quelqu’un pendant 1 mois, tu n’as pas de vol pour la personne, tu l’as gardée pour quoi ?

Tu m’as enfermée, j’ai pas volé. 

 

Parce que j’ai demandé l’asile je suis en prison. Et on nous dit que c’est l’asile qui doit nous protéger, nous les… nous les clandestins. En quoi l’asile me protège maintenant puisque c’est l’asile lui-même qui te mène un problème ? L’asile prétend nous protéger mais c’est pas ça, je vois. Si ça m’était pas arrivé à moi, je ne l’aurais jamais cru. Parce qu’ en Afrique ce qu’on nous dit, vraiment c’est pas ça. On te dit, l’Europe c’est pas ça, l’Europe c’est pas ça, en Europe il y a la justice. Oh l’Europe c’est pas bon. On te dit l’asile te protège. L’asile même est un problème. Parce que moi au début quand je suis arrivée, j’ai pas eu de problème avec les policiers. Mais c’est quand j’ai demandé l’asile que je me retrouve en prison, ça c’est une prison. 

Le 29 juin, ça sera le quatrième jugement et je ne suis même pas sûre si je serai libre. Au final je sais même plus. Moi j’étais contente de partir en Espagne le 16, mais il y a même pas de vol. Qu’est-ce qu’on peut comprendre ?

 

Le docteur qui me suit pour la maladie, il a envoyé plein plein de dossiers pour qu’on puisse me laisser et la sage-femme aussi en a envoyé plein, mais rien n’est considéré. Quand je suis arrivée ici, l’hôpital où je suis suivie a appelé pour envoyer le dossier.  Le juge a vu tout,  il a dit ça fait rien, il trouve que non, c’est bon, je peux rester ici, même la préfecture, ils ont le dossier. Parce qu’ils ont dit porter un enfant dans le ventre est pas une maladie, la fatigue, tout ce que tu peux ressentir, on ne considère pas. Chez eux quand tu es enceinte ce n’est pas une maladie, tu es comme une personne normale, comme tout le monde, comme toujours. C’est bon, tu peux rester en rétention, c’est ce que le juge a dit, que la grossesse n’est pas considérée comme une maladie, que l’autre maladie aussi même si tu es malade, tu souffres d’une maladie chronique, que tu prends des médicaments, que ça te fait des effets secondaires, c’est pas un problème, tu peux rester en rétention, que ça fait rien.

Avec le jugement peut-être je vais me tuer à la fin, ou bien je vais faire une fausse couche avec tout ce stress là. Moi je sais pas, à force d’être stressée tu as mal, mais quand tu leur parles ils ne te croient pas parce qu’ils n’ont même pas d’appareil pour vérifier si ce que tu dis est vrai ou pas, ils n’ont rien, à part pour prendre la tension, tu n’as rien ici.

 

Il n’y a pas de justice ici, parce qu’avec tous les jugements que j’ai faits, je suis passée devant le juge et je me retrouve au même point de départ. 

S’il y avait une justice, ça ne pourrait pas se passer comme ça. Parce qu’en voyant mon état, quand même c’est pas une grossesse de 1 mois ni 2 mois où on peut dire ça se voit pas. Je suis dans mon 6ème mois, 6 mois de grossesse et tu es mal nourrie, ton enfant devient quoi ? A la fin tu vas accoucher d’un enfant de 9 mois qui va se trouver avec le poids d’un enfant prématuré parce qu’il n’a pas été bien nourri. Qui peut se nourrir avec du pain, du fromage jusqu’à l’accouchement et au final l’enfant va venir en bon état ? Ils oublient, ils refusent d’admettre que l’enfant peut naître avec un problème avec tout ça, ils ne considèrent pas tout ça. Moi je peux rester en rétention, mais penser à ce que ça peut faire à l’enfant que je porte, on considère pas ce côté, moi je peux bien supporter, j’ai trouvé des filles ici, là elles ont fait 1 mois, presque 2 mois. Si j’étais simple, sans grossesse, je peux supporter, mais avec une grossesse ils devraient avoir pitié, pas de moi mais de l’enfant que je porte, parce qu’un enfant est innocent, c’est pas l’enfant qui m’a dit de venir en France [et la grossesse, je l’ai pas pris en Espagne pour venir en France]. L’enfant est innocent, il n’a rien à voir avec mon arrivée en France.

Je peux pas avoir une bonne image de la France. Parce que moi j’ai été punie, mais mon enfant qui n’a même pas encore vu le jour est déjà puni par la France. L’enfant qui n’est pas encore né est déjà puni par la France.

 

Ce témoignage a été recueilli par une bénévole au sein du CRA du Mesnil-Amelot le 13 juin 2022. Ainsi, depuis avril 2022, un groupe de bénévoles de La Cimade Île-de-France se mobilise autour de la rétention. Soutenu·e·s par les intervenantes juridiques de La Cimade au sein CRA du Mesnil-Amelot, les bénévoles assistent aux audiences concernant la rétention et rendent visite aux personnes retenues pour discuter et recueillir leurs témoignages. 

 

#MaParoleEstLibre
La Cimade publie les témoignages des personnes qu’elle accompagne, en particulier dans les centres de rétention. Une parole libre d’une personne enfermée. Une parole qui permet de saisir les conséquences des politiques à l’égard des personnes en migration. Des textes, des extraits sonores ou des vidéos recueillis par les intervenant·e·s et les bénévoles de La Cimade.

> Retrouver tous les témoignages #MaParoleEstLibre

 

Illustration : Agathe Bray-Bourret

Auteur: Admin_Ile_de_France

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