
Solidarité avec Mayotte, département dévasté par le passage du cyclone Chido
La Cimade tient à exprimer sa profonde solidarité avec les habitant·e·s de Mayotte, durement ...
Alors que la proposition de nouvelle atteinte au “droit du sol” a été adoptée en commission des lois le 29 janvier et sera examinée en séance le 6 février, La Cimade souhaite vivement alerter sur les mauvaises informations et nombreuses données non sourcées qui circulent et font fi du cadre […]
Alors que la proposition de nouvelle atteinte au “droit du sol” a été adoptée en commission des lois le 29 janvier et sera examinée en séance le 6 février, La Cimade souhaite vivement alerter sur les mauvaises informations et nombreuses données non sourcées qui circulent et font fi du cadre juridique existant, conduisant à une analyse faussée de la situation dans le département et à des débats biaisés.
En effet, cette proposition de loi est examinée dans un climat délétère saturé de stigmatisations où nombre de propos nauséabonds sont tenus par les responsables politiques. La Cimade tient à souligner l’indécence de ces propos dans un contexte de crise humanitaire post-Chido qui n’aura laissé qu’un répit de 48h avant que les enjeux migratoires ne reviennent sur le devant de la scène, au détriment des vrais enjeux à Mayotte que sont l’aide d’urgence, l’appui psychologique à une population largement traumatisée, la reconstruction et le développement socio-économique du territoire.
Fake-news n°1, le “droit du sol” revêtirait un caractère automatique
A Mayotte, comme ailleurs en France, le droit du sol n’existe pas en soi : le simple fait de naître sur le territoire français ne confère pas la nationalité française. C’est la naissance couplée à la résidence en France, au moment de la demande et pendant au moins cinq années durant l’adolescence, qui permettent d’acquérir la nationalité française. Il n’y a donc aucune automaticité.
Fake news n°2 : le “droit du sol” constituerait à Mayotte la voie royale de régularisation des parents
A cette absence d’automaticité s’ajoute un cadre législatif éminemment complexe : aux conditions de résidence habituelle s’ajoute une obligation de séjour régulier de l’un des parents sur les 5 mêmes années que l’enfant pour les enfants né.e.s avant mars 2019, et une obligation de séjour régulier d’au moins 3 mois précédant la naissance pour les enfant.e.s né.e.s après mars 2019. Cela a pour conséquence une méconnaissance des droits pour la plupart des jeunes qui pourraient prétendre à l’acquisition de la nationalité.
Il n’est par ailleurs absolument pas la voie majoritaire permettant aux personnes étrangères de se régulariser et se stabiliser sur le territoire, car la demande est généralement faite à l’approche de la majorité de l’enfant et les parents ne pourront alors plus prétendre à un droit au séjour en tant que parents d’enfants français.
Enfin, il est en pratique très difficile voire impossible de justifier de la régularité de séjour des parents à l’âge de 13 ou de 18 ans : le fait que les personnes concernées vivent en habitat informel rend illusoire la conservation de documents administratifs pendant autant s’années.
Fake news n°3 : les femmes comoriennes viendraient massivement accoucher à Mayotte au profit de stratégies visant à faire d’elles des mères d’enfants français
L’idée répandue selon laquelle les femmes comoriennes viennent accoucher à Mayotte dans le seul but d’obtenir un droit au séjour grâce à un enfant français est absurde : c’est occulter la réalité du territoire comorien, où aucun suivi médical n’est disponible pour les grossesses et où la moindre complication se transforme en risque vital pour la mère et l’enfant, contraignant beaucoup d’entre elles à préférer le risque de la traversée en mer.
Ces assertions relèvent d’une méconnaissance des mécanismes qui conduisent à prendre la décision d’émigrer : elle est toujours prise pour fuir une situation de crise politique, économique ou sociale, et les personnes originaires de l’Union des Comores n’y font pas exception. En effet, elles sont poussées hors du territoire par l’extrême précarité, l’absence d’infrastructures de santé et l’autoritarisme du régime avant d’être attirées par les droits qu’offrirait le pays de destination.
Enfin, l’idée selon laquelle l’accès à la nationalité serait un facteur d’attractivité pour les flux migratoires n’a jamais été démontrée : aucune étude d’impact de la loi de 2018 n’a été faite et aucune baisse du nombre de demandes de titres de séjour n’a été relevée. Les chiffres indiquent en revanche très clairement que la naissance d’un.e enfant sur le territoire mahorais ne confère pas plus qu’ailleurs en France un droit au séjour aux parents en situation irrégulière, pas plus que la nationalité à cet enfant. En effet, en réponse à une question parlementaire, le ministère indiquait le 3 octobre 2023, que sur les 860 acquisitions de la nationalité en 2022 à Mayotte, « seules 442 sont intervenues dès les treize ans de l’enfant, donc à l’initiative des parents – le reste des acquisitions intervenant à la demande de l’enfant dès ses seize ans, ou automatiquement à la majorité. Seule une moitié des acquisitions sont le fait des parents : il n’existe aucun empressement particulier dans les familles pour profiter de ce droit. »
Fake news n°4 : les parents d’enfants né.e.s à Mayotte ne seraient pas expulsables
Contrairement aux affabulations répandues, les enfants, et encore moins leurs parents, sont bien loin d’être inexpulsables à Mayotte du simple fait de leur naissance sur le territoire. En effet, alors qu’il est illégal d’expulser un.e enfant isolé.e, il est tout-à-fait possible d’expulser un.e enfant accompagné.e de sa famille, et la France ne s’en prive pas. Les chiffres du rapport rétention de 2023 en attestent : 3262 mineur.e.s (contre 87 dans l’Hexagone) ont été expulsé.e.s depuis Mayotte pour un total d’expulsion de 24467 personnes. Rappelons que Mayotte n’est pas concernée jusqu’au 31 décembre 2026 par l’interdiction d’enfermer les enfants prévue par la loi asile et immigration du 26 janvier 2024.
Comme expliqué plus haut, les parents d’enfants né.e.s à Mayotte ne sont pas nécessairement en situation régulière et ne peuvent demander un titre de séjour en tant que parents d’enfants français.e.s que lorsque les démarches d’acquisition de la nationalité sont entreprises de façon anticipée aux 13 ans de l’enfants et arrivées à leur terme, ce qui ne concerne que très peu de familles. Rappelons enfin les difficultés d’accès à la préfecture, régulièrement entravée par les collectifs anti-immigration et fermée à l’heure où nous écrivons ces lignes depuis le 14 octobre dernier. Chaque jour, des personnes en situation irrégulière, pourtant parents d’enfants nés à Mayotte, sont expulsées vers l’île voisine d’Anjouan.
Faire croire que des jeunes deviendraient massivement français en l’absence de nouvelle réforme relève de la démagogie. Les chiffres d’acquisition de la nationalité ayant été divisés par 2 depuis la réforme de 2018 (un seul parent concerné et 3 mois de présence régulière et ininterrompu), les nouvelles restrictions (deux parents concernés et un an de présence régulière et ininterrompue) vont conduire à réduire le droit du sol à peau de chagrin voire à son abrogation de facto.
Les territoires ultramarins, Mayotte en tête, sont depuis de trop nombreuses années un « laboratoire de dégradation des droits », les dispositions dérogatoires ayant valeur de test avant d’être étendues à tout le territoire national.
Nous appelons les député.e.s à ne pas voter cette proposition de loi aux relents postcoloniaux, particulièrement attentatoire aux droits fondamentaux des personnes résidant à Mayotte : cette nouvelle entaille grave au droit du sol ouvrirait une brèche dangereuse dans le droit des personnes étrangères sur tout le territoire national.
Auteur: La Cimade Océan Indien