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Méditerranée emmurée : les personnes migrantes de plus en plus en danger

13 juillet 2017

L’Union européenne et ses États-membres mettent tout en œuvre pour empêcher les personnes en migration de passer la Méditerranée et d’arriver sur le territoire européen. Malgré le maillage de surveillance et de contrôle en mer associé à la coopération renforcée avec des pays africains et la Turquie pour bloquer les départs, les bateaux continuent de quitter les côtes, principalement de la Libye, et de plus en plus de personnes meurent aux portes de l’Europe.

Cimade Méditerranée

Attaques contre les ONG intervenant en mer

Depuis plusieurs mois, les ONG intervenant en mer Méditerranée font l’objet d’attaques récurrentes de la part de la justice italienne, d’hommes politiques, de l’agence Frontex ou encore de l’extrême droite européenne au prétexte notamment, d’une présumée collusion avec les passeurs. Après plusieurs tentatives de poursuite en Italie, les procureurs de Catane et Syracuse en Sicile ont reconnu, début mai 2017, d’un côté, qu’il n’y avait pas de lien entre les ONG et les passeurs et de l’autre que cette hypothèse de travail ne se fondait sur aucune preuve. C’est également le rapport d’une commission d’enquête du Sénat italien, sorti le 18 mai, qui pourrait mettre fin à la polémique affirmant qu’il n’existe pas de lien entre les activités des ONG et celles des passeurs. L’intervention pro active des ONG en mer répond au silence coupable des États membres de l’Union européenne (UE) sur la question du sauvetage. En effet, depuis la fin de l’opération militaro humanitaire italienne Mare Nostrum fin 2015, ce sont principalement les gardes côtes italiens, la marine marchande et les ONG solidaires en mer qui pratiquent des opérations de sauvetage. Dans une moindre mesure interviennent également des opérations mises en place par l’UE comme celle de Frontex avec Triton dont le mandat est le contrôle et la surveillance ou encore celle d’EUNAVFOR Med, opération militaire européenne de lutte contre les passeurs.

Afin de tenter de brider l’activité des ONG, la Commission européenne a proposé un plan d’action en Méditerranée centrale dans lequel elle demande à l’Italie d’élaborer un code de conduite des ONG menant des opérations de sauvetage en mer. En parallèle, elle appelle à renforcer la coopération avec les garde-côtes libyens pour empêcher les départs et met sur la table plusieurs millions d’euros pour la Libye. Le code de conduite des ONG, rédigé en catimini, liste toute une série de dispositions auxquelles les ONG doivent se plier alors même qu’elles s’y pliaient déjà pour la plupart (interdiction d’intervenir dans les eaux libyennes, de publier toutes leurs sources financières pour leurs activités en mer, interdiction d’envoyer des signaux lumineux, etc.) donnant le sentiment que celles-ci auraient été jusqu’à présent en contact permanent avec des réseaux de passeurs et auraient agi de manière irresponsable.

Une dangereuse lutte contre les passeurs

Cherchant à adopter un discours « musclé » de fermeture des frontières, l’UE et ses agences ont investi leurs finances et efforts dans la lutte contre les passeurs désignés seuls coupables des morts en mer. Ainsi l’opération militaire EUNAVFOR Med lancée en 2015 se félicite d’avoir détruit un grand nombre d’embarcations et démantelé plusieurs réseaux de passeurs en Méditerranée. Pourtant, comme le démontre le rapport « Blâmer les sauveteurs », données empiriques à l’appui, ces initiatives ont pour conséquence direct que les passeurs ont recours à des embarcations beaucoup plus fragiles et à des routes de plus en plus périlleuses. C’est à la même conclusion qu’arrive un récent rapport de la chambre des Lords au Royaume-Uni avançant que l’objectif de la mission n’a pas été rempli, mais a au contraire contribué à l’augmentation du nombre de morts en Méditerranée. Ainsi, suivant une même logique de répression et de fermeture depuis des années au lieu de garantir des voies d’accès sûres au territoire européen, les politiques actuelles de lutte contre les passeurs fragilisent encore plus les personnes exilées au lieu de les protéger.

Intervention en mer de l’extrême droite européenne

C’est dans ce contexte hostile aux étrangers et aux initiatives solidaires, que l’extrême droite européenne a réussi à collecter 76 000 euros qui leur ont permis de louer un bateau ainsi qu’un équipage pour des opérations en mer qui pourraient débuter la semaine du 17 juillet. Leur projet « défendons l’Europe » est clair : contrecarrer l’activité des ONG en mer, assimilées à des contrebandiers d’êtres humains. Autre objectif affiché : lutter contre l’immigration irrégulière et débarquer les bateaux sur les côtes africaines. Au-delà de l’inhumanité de ce type d’opération, ces activistes d’extrême droite risquent de mettre en danger la vie d’autrui en mer en empêchant des opérations de sauvetage mais également en débarquant des personnes en recherche de protection dans des Etats où elles pourraient subir des traitement inhumains et dégradants ou encore risquer leurs vies. Que ce genre d’initiatives soient interdites dans les textes internationaux ne semble pas les préoccuper.

Emmurer la Méditerranée : l’étau se resserre

Les personnes en migration fuient la Libye au regard de la situation politique du pays, mais également du traitement dont ils peuvent faire l’objet sur place : violences, enfermement arbitraire, marché aux esclaves, viol, etc. Pourtant, fuir la Libye par la Méditerranée demeure à la fois dangereux et périlleux par les conditions de la traversée mais également du fait de l’ensemble des obstacles érigés par les États de l’UE qui rendent encore plus dangereux le passage (lutte contre les passeurs, contrôle et surveillance aux fins de lutte contre l’immigration dite « irrégulière », etc.)

À cela ajoutons encore un degré au cynisme des gouvernements européens : laisser la coordination des opérations de sauvetage aux gardes côtes libyens dans les eaux internationales. Ainsi, le centre de coordination de sauvetage italien a demandé, au moins une fois en mai 2017, à l’occasion d’une opération de sauvetage, de laisser les gardes côtes libyens gérer cette opération. Les personnes ont ensuite été ramenées en Libye et placées en détention, alors même qu’elles tentaient de fuir le pays. Sous couvert de formations de sauvetage délivrées aux gardes côtes libyens, il y a quelques mois, l’UE, malgré la situation interne catastrophique de la Libye, continue de tenter de se décharger auprès de son voisin de ces obligations en termes de protection internationale.

De plus, les États membres, participant à l’opération Triton de l’agence Frontex en Méditerranée centrale, se disent prêts à revoir le plan opérationnel pour « aider l’Italie » sans plus de précisions pour le moment. Toutefois, l’Italie a déjà souligné dans le cadre de ces discussions, que les débarquements des personnes migrantes pourraient se faire dans des ports non européens. Possibilité déjà prévue dans le cadre du règlement européen sur les interceptions maritimes de l’agence Frontex. Elle peut ainsi, sur le papier pour le moment, débarquer des personnes interceptées en mer dans des ports non européens tant qu’ils sont considérés sûrs par l’agence. Et cela, comme le dénonce le collectif Frontexit, sans aucune garantie prévue aujourd’hui sur qui réaliserait cette évaluation, comment elle serait pratiquée et qui prendrait la responsabilité du débarquement dans tel ou tel port « sûr », quels seraient les possibilités de recours pour les personnes débarquées, etc.

L’Union européenne, ses États-membres en collaboration avec les États voisins, s’entêtent à tout prix, même celui de la vie, à vouloir entraver la circulation des personnes vers le territoire européen, notamment en Méditerranée. Cette mer devenue frontière se transforme en un immense mur sur lequel encore plus de personnes viendront perdre leurs vies.

 

 

 

Photographie : Un débarquement à Lampedusa, septembre 2013. © Sara Prestianni

Auteur: Pôle Europe et International

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