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« Nous sommes ce cumul de numéros qui s’entassent… »

21 novembre 2017

Troisième texte d’Atef, toujours enfermé derrière les grilles du CRA du Mesnil-Amelot, et toujours révolté par l’absurdité de la rétention administrative (voir ses deux premiers récits les 26 et 31 octobre sur la page « Actualités » de La Cimade Île-de-France).

Très Chers Lecteurs,

C’est loin d’être ma dernière lettre, j’ai encore des feuilles et pleins d’histoires à raconter, par laquelle commencer ?

Par quel cas, quel être ?

C’est toujours un calvaire, dure de ne pas mélanger les leurs à la mienne, sachant, qu’elles sont toutes en train de s’écrire, et que les variantes ne cessent de tomber…

Je laisse alors, les vents de mes pensées montrer la voie à mon stylo, et comme d’habitude, je m’imagine au bord de la mer, et je balance ma bouteille dans l’eau…

Séparer les chiffres des lettres…

Remplacer les numéros par des noms…

Et au lieu du bilan, je vous offre des lignes…

Servira, cet effort, à quelque chose ?

Encore une réponse introuvée,

Encore une escapade dans le vide…

Encore cette avalanche de numéros qui vient couvrir ma page.

Encore, c’est pas fini ! Encore et encore, ces numéros viennent, tout naturellement, s’incruster dans son décors…

Après tout, ici, nous ne sommes que des chiffres…

Nous sommes ce cumul de numéros qui s’entassent, qui augmente au fil des jours…

Le centre est blindé,

La cellule fait quelques douze mètres carrés, voir moins, et par moment elle héberge trois personnes…

Pas de fenêtres, pas d’aération…

Chauffée par un système au sol, qui fonctionne à sa guise, et qui quand il fonctionne, il transforme la chambre en une sorte de fourneau.

Et quand il s’arrête…

Ce cube de béton devient une chambre froide…

Devient une morgue pour les esprits…

Froid et chaleur s’alternent, et dans cette danse de feu de glace, les tempéraments valsent avec les températures, et les cœurs changent d’avis…

C’est toujours supportable quand c’est la chaleure qui mène la danse, mais quand c’est le tour du froid, ce qui est le cas, très souvent, on ne peut pas rester indifférent…

Il fait froid ! Il fait vraiment froid…

Un froid de canard dirait un homme libre…

Un froid qui tue, dira, l’un des notres…

Ajoutez à cela la froideure des échanges,

La « GLASCIALITE » des âmes…

On se croyait au pôle nord, sans vraiment croire au Père Noel…

On y crois plus…

Et on ne demandera jamais à la dinde de faire Noel non plus…

Et alors, demander la liberté à ceux qui ont les clefs, nous met au cœur de ce dicton…

Les agents de la « PAF » sont ce qu’ils sont…

Des hommes comme tous les hommes…

Ils font leur travail… Avec humanité pour certains…

Hélas… Pas tous…

On peut les compter sur les doigts d’une seule main !

Les autres… Ah les autres… Enfin, c’est les autres.. !

Les autres sont froids, et dans cet hiver éternel, les autres sont les glaciers insurmontables, infranchissables, INHUMABLES !!

Et tout le monde cherche a se réchauffer…

Et biensure, la chaleur se trouve dans les locaux de la CIMADE, … la seule qu’on a … la seule qui nous réchauffe le cœur…

Faut tout simplement venir à la salle d’attente pour la voir !

Dans cette NANO-salle s’attente, les notres, se serrent, se collent les uns aux autres, s’y placent comme les vingt cigarette d’un paquet neuf.. !

J’y suis souvent…

J’ai comme le désire d’y être tout les jours…

Et je ne suis pas le seul, beaucoups sont là tout les jours…

Du matin au soir, sans rien y faire, pour la plupart…

Le fait de savoir que les bureaux de la CIMADE sont ouverts, ils viennent… Juste pour être là… Juste pour cette chaleure…

Et à travers cette chaleure, on voit les âmes attendre le plus louable des états d’âmes, L’ESPOIR !!

L’espoir de quoi… ! Je ne sais pas… Je ne le sais vraiment pas…

Mais voila, tout le monde est là… Enfin, le tiére-monde est la !!

Et chaque visage vient d’un monde et chaque regard nous emmène vers un nouveau monde…

Et dans tout ça et en parcourant ces regards, je me demande…

Si « l’ideale » devait se mondifier… Il serait l’équilibre entre tous ces mondes.

 

Très Chers Lecteurs,

J’ai pas le pouvoir de fermer ce centre…

Libres de rien faire, voila ce que nous sommes libres de faire…

On attend, on tourne en rond, on ne sait que faire…

On dirait qu’on attend une fin… Laquelle ?

Dans ces batiments froids, identiques, alignés, brutes de coupe, la vie de l’homme tient à des chiffres…

Le nombre de détenus, le nombre des chambres…

Le numéro des « PV », le nombre des jours passés…

Le nombre de fois cette même peur, surgit brutalement dès qu’on entend la voix dans les hauts parleurs…

Le nombre de questions qui nous sautent dessus…

On nous prépare à petit feu…

Un feu froid et glaciale, un feu qui brule les ames…

Et les cuistaux sont équipés autrement… Des matteraques à la place des coutaux, des boucliers à la place des poêles…

Les caméras sont accrochées comme des casseroles, les haut-parleurs aussi… Et comme dans les hauts lieux de la gastronomie française, quand il faut flamber un plat, ils le font avec leurs gaz laccrimogène… Et pour finir en beauté, ils l’assaisonnent avec des insultes et des propos racistes…

Les plaies sont encore ouvertes, pas simple de cicatriser toutes ces plaies sentimentales…

Chaque enfermement ramène ses lames tranchantes…

Des lames portant des blessures et des larmes sanglantes…

Ici pas de « Minus et Cortex »…

Ici y’a pas moyen de s’échapper et d’aller conquérir le monde !

Et d’ailleurs, je vous écris depuis la cellule d’un ami béninois, qui la partage avec deux algériens dans le bloc « dix »…

Moi, je viens sur bloc « onze », actuellement fermé pour travaux…

Rassurez-vous cher TOUS…

Ils ne viennent pas réparer les sanitaires, ni ces inutiles briquets muraux…

Ils viennent renforcer la sécurité !

Au moment où j’écris, à cette même seconde, ils rajoutent une couche de finesse, appelée barbelé…

 

Très Chers Lecteurs,

Il y a eu forcément des tentatives auparavant, mais d’après les histoires qui rôdent parmi les dits, on parle de zéro réussite…

On y est… on y reste…

On s’en va un jour…

Parfois on revient ! Et très vite !!

Le cas de mon ami Mr S… un record !! 11 jours pour revenir.

Son histoire ne manque pas de charme.

Tout comme celle de cette famille : oui, toute une famille…

Le père, vieux… à l’ancienne…

Un béret, une canne, de loin on voit ses cheveux blanc briller…

De près, on voit ses rides qui lui donnent un charme…

Il marche, tout doucement, il néglige le temps…

Il le force à ralentir…

Il lui dit sûrement qu’il a le temps de marcher.

Surtout, si marcher va avec un bras dessus bras dessous, avec, une femme comme la sienne… Quelle forme ! Quelle élégance !

Elle l’accompagne… elle lui va à merveille…

Ils découvrent le mot « homogêne » rien qu’en marchant, l’un auprès de l’autre…

On dirait un tango, vide de tout pas, orphelin de sa musique…

On voit tout l’amour qu’ils se partagent… sûrement, comme ils ont dû partagé, au cours du temps, mille et un moments pareils…

Leur silence, leur fils, qui regarde de loin leur danse…

Tout ça, et bien d’autres détails, font de se décor, une seine dramatique dans un film de guerre…

 

Très Chers Lecteurs,

Là où le regard va… une scène se joue, sans répétition, c’est de la pure improvisation…

Du direct !!

Et ils viennent de plus en plus…

Le grand rassemblement… le plus grand casting de France…

Les acteurs viennent de toutes parts, ils viennent des quatres coins de l’hexagone… du Rhône, du calvados… de la loire et Cher…

La diversité des coins de capture, nous donne un bel étalage de gibiers…

Mais tous les prétendents au role ont un point commun, ils sont tous du tière-monde, à part quelques exceptions…

C’est normal pour un film titré « l’étrangé presque parfait »…

Enfin… un film qui ne sortira pas en salle… et des acteurs qui ne marcheront jamais sur les tapis rouge…

Ici la gloire est toute autre, ici elle s’appelle « titre de séjour »…

Là…

Là, j’écris et je tremble…

Il y à du monde autour de moi, et les avions sont presque à table, j’allume une cigarette…

Voilà cette même sensation de ce matin…

Je fume d’une main, j’écris d’une autre…

L’une qui m’aide à m’évader, l’autre m’aide à franchire les mondes,

Ce matin… j’ai eu le droit à une presque pleine lune…

A peine 4h, je me suis levé mon livre à la main…

« L’Alchemiste »… ça parle d’un berger… Qui se demande… Qui porte un rêve… Qui porte de l’amour…

Ce jeune berger dans le livre, aime une femme…

Il a un rêve bizard… Il rencontre une voyante et un roi…

Tout me dit que son histoire est un peu comme la mienne…

J’ai  à peine lu quelques pages, mais je pense qu’on se partage une idée fondamentale…

Le monde appartient à l’homme, partir où rester dépend de l’individu !

Honnêtement je l’ai depuis une semaine, mais j’ai rarement le temps pour moi… Alors je l’ai commencé qu’hier, mais il a l’air appétissant…

Enfin, j’ai déposé mon livre…

J’ai réinventé le café !!

Je fume et j’admire le ciel…

D’une beauté avec le meilleur autobronzant, habituelle et surprenante…

Les nuances du jour et de la nuit sont parfaitement équilibrées.

Les variations de couleurs, la lune… l’étoile du Nord…

Une beauté prenante… « échappative » !!

Jusqu’au moment où cette voie dérangeante vient briser les sommeils…

« Les réfectoires sont ouverts !! »

« Les réfectoires sont ouverts ! »

On les a, tout les matin, comme un sortilège de voodoo…

Un sort qui s’achève avec un « à table » dit, et un « bande d’enfoirés » soigneusement caché dans l’intonation de la voie…

Enfin… Et c’est jamais la fin, les mâtons viennent ouvrir les cages… Et les pauvres créatures vont dans la même direction !

Sans faire un bruit, se suivant comme chaque matin…

Une fois dedans, ils donneront, comme chaque matin, leurs numéros contre ce sachet bleu…

Pour l’état français, c’est certainement « petit-déjeuné » qui figure sur les bilans du ministère de l’Intérieur…

Pour nous, c’est une ration de nouriture, respectable parce que c’est de la nouriture, mais c’est méprisable par la quantité que c’est… Et c’est chaque fois pareil…

Pour la devise de la maison, c’est mange et la ferme !

On ne mange jamais à notre faim…

Et pour la majorité musulmane, bien beau le gachis…

On a un choix limité concernant la nourriture…

Ils préfèrent nous voir vider nos plats dans la poubelle, nous sommes forcés à le faire…

Et même ceux qui mangent de tout, n’arrivent pas à assumer nos parts… Ils sont gavés… Alors, chaque repas, une centaine de barquettes dans les poubelles, et des dizaines de détenus affamés…

Ce matin j’ai raté le fameux petit-déjeuné, je l’ai fait expré, pour profiter du silence… Pour prendre, malgré moi, cette douche écœurante du matin…

Les lieux sont sales…

Les cabines sont froides, l’eau est froide…

Il faut du temps pour que ça chauffe, un bon quard d’heure…

Il n’y a pas de mélangeur pour contrôler le flux et la température de l’eau… Un système de capteurs installés dans les cabines, deux secondes par mouvements… Une vrai punition…

Pour avoir un flux ininterompue, il faut, constament, bouger la main devant le capteur…

Du coup, on ne peut pas se rincer avec les deux mains en même temps… Sinon, l’eau ne chauffe pas, et au lieu d’une douche, c’est une continuation de crachats froids que tu auras pour te purifier…

La rouille, la moisissure et les flaques d’eau sâle, forment un effroyable camouflage bactériologique…

Que dire des toilettes… ?

Que dire de l’hygiène en général.. ?

 

Très Chers Lecteurs…

Ici c’est pas la France….

Ici, c’est la SOUS-FRANCE !!

La liberté n’est pas à portée…

L’égalité n’est pas la non plus…

Et la fraternité a du partir à leur recherche….

Tout comme moi…

Parti à la recherche d’un chez soit… Je me trouve bien chez les autres… On me le fait sentir en tout cas….

Personnellement, rien qu’en pensant en français, je me sens chez moi, car comme dit le proverbe….

Là où on se sent bien, là où c’est chez soit !!

Allé…

Je dépose ma lettre à la cimade, espérant qu’elle vous arrive au bon moment… Et sans doute préparer la suivante en regardant les autres, tout simplement…

 

Atef Yacoubi, PV n°1462

Auteur: Admin_Ile_de_France

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