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À Béziers et à Massy, La Cimade accompagne des personnes en demande d’asile et réfugiées dans des foyers où les équipes poursuivent leurs missions malgré le confinement. Interview croisée pour mieux cerner les enjeux, mais aussi les problématiques spécifiques rencontrées.
Dans le centre provisoire d’hébergement (CPH) pour personnes réfugiées de Massy et dans le centre pour demandeurs d’asile (Cada) de Béziers, les équipes de La Cimade poursuivent leurs missions pour accompagner les personnes hébergées malgré les mesures de confinement. Elles sont confrontées à une réalité complexe, un travail social redessiné, à des contraintes et des missions nouvelles. Dans des lieux de vie collectifs où les personnes sont hébergées dans des chambres de moins de 7 à 9 mètres carrés, avec cuisines et sanitaires partagées, le confinement strict est-il impossible ? Réponses de Laetitia Mounier, éducatrice spécialisée au CPH, et Pascal Dhoyer, intendant du Cada.
Pascal Dhoyer : Nous avons définit collectivement une nouvelle manière de fonctionner, nous ne sommes pas en permanence au centre et certains collègues sont en télétravail. Ainsi, il y a une personne sur place les lundi, mercredi et vendredi, de 10h à 15h ou 16h selon les besoins. Moi, qui suis plus dans la partie technique qu’administrative et juridique, je suis aussi en réserve. Je me rends sur place à ce rythme là, tout en étant aussi un peu d’astreinte pour les coup durs : des pannes ou des incidents quelconques sur les locaux ou appartements, ça arrive régulièrement…
J’y vais à la demande. Pour compenser le fait que j’interviens moins régulièrement, j’essaye d’organiser mon boulot en m’appuyant sur des prestataires ou des personnes extérieures qui peuvent m’appuyer ou m’aider. Ça peut être des problèmes de chaudière, de chauffage, d’eau chaude ou d’infiltration.
Le travail d’équipe se fait en réunion par visioconférence, trois fois par semaine, dans la mesure des disponibilités de chacun·e, comme en temps normal. Ça participe à maintenir le suivi et ça m’aide bien pour entretenir les liens avec les résident·e·s sur des problématiques autres que techniques. Ma fonction me laissait parfois éloigné de leurs vies, puisque c’est le reste de l’équipe est dans l’accompagnement social, administratif et juridique des demandeurs d’asile. C’est intéressant pour moi, autant pour les mauvaises infos que pour les bonnes.
Laetitia Mounier : Nous avons complètement transformé notre façon de travailler. Pour préserver à la fois les personnes accueillies au centre et les salarié·e·s, nous ne fonctionnons que par binôme par jour travaillé, toujours les mêmes binômes. Et il y a une partie de l’équipe qui ne peut pas se rendre sur place et continue en télétravail. Et ce pour pour plusieurs raisons : la distance et la prévention des risques de transmission du virus dans les transports en commun, mais aussi la charge de famille. En effet, notre profession, bien que réquisitionnée par l’État pour poursuivre notre mission, n’a pas accès au mode de garde organisé, par exemple, pour le personnel sanitaire pendant le confinement.
L. M. : Nous avons mis en « stand-by » le travail social, sauf les urgences qui sont assurées, comme l’accès ou le maintien des droits de personnes. Et surtout, nous avons réalisé un nombre important d’aménagements dans un centre d’hébergement qui ne s’y prête pas du tout : nous avons créé deux zones de vie confinée. Une première zone pour les personnes qui présentent des symptômes, mais qui ne sont pas testées, a été montée dès la première semaine. Et la deuxième semaine, une deuxième zone pour les personnes testées positives au covid-19.
Ce que nous faisons et que nous ne faisions pas avant ?
Les quinze premiers jours ont été d’un stress énorme. Du côté des organes de tutelle et de l’État, c’était le silence radio pendant une bonne grosse semaine. Nous n’avons pas attendu, bien évidemment, pour mettre des choses en place ! Par exemple, nous avons tout de suite distribué des masques auprès des résidents et c’est peut-être grâce à ça que nous avons peu de personnes touchées par le covid-19.
L’Agence régionale de santé (ARS) a été réactive et nous a transmis des protocoles. Mais nous avions déjà les éléments, car nous avons eu la chance d’être aidés par une bénévole de La Cimade médecin, qui a notamment géré la crise du H1N1, et nous a apporté énormément de conseils très précieux. Je pense que sans son aide, nous aurions vécu une catastrophe.
Nous avons été approvisionnés extrêmement tard en masques par l’État. La Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) ne nous a livré que 250 masques entre le 6 avril et la fin du mois. Mais nous avions le stock périmé de l’époque de la grippe H1N1. Pour le gel hydro alcoolique, nous nous sommes débrouillés localement avec les pharmacies du coin. L’État nous a livré 2 litres au bout de 45 jours, alors que nous avons une consommation de 5 litres par semaine ! Et ce n’est pas faute de les avoir sollicités : ils connaissaient nos besoins.
Et pour les tests, c’est particulièrement choquant, nous avons 115 résidents et l’ARS nous a octroyé seulement trois tests. La deuxième semaine, nous avions trois personnes présentant des symptômes. La première personne a été testée positive, confinée dans la première zone, puis dans la deuxième dès que nous avons eu les résultats du test. Deux autres personnes présentaient les symptômes et nous avons cherché à les faire tester, mais tous les laboratoires répondaient négativement. Et nous avions peur que ça devienne très problématique en cas de hausse de contaminations dans le centre. À la fin de la deuxième semaine et après avoir beaucoup insisté, une équipe mobile de l’ARS s’est déplacée et a permis de réaliser un test qui s’est révélé positif. Donc au bout de deux semaines, nous avions utilisé deux des trois tests proposés par l’État…
À notre connaissance, deux personnes symptomatiques ont été contaminées par le covid-19 dans le centre. Deux de mes collègues ont été aussi contaminées et aucune des deux n’a pu avoir accès à des tests.
Notre système ne tient qu’à ça. Nous avons fait un très gros travail de sensibilisation. Les personnes que nous accueillons sont très sensibles à ce qui se passe, très à l’écoute, elles s’informent aussi par elles-mêmes. Et toutes les actions de sensibilisation ont été prises au sérieux, elles nous ont permis d’instaurer très rapidement les gestes barrières, que les personnes fragiles puissent porter des masques et soient le moins en contact possible avec les autres. Les enfants ont pris plus de temps à comprendre et à arrêter de jouer dans les couloirs.
Et les personnes accueillies ont fait preuve d’une énorme solidarité. Elles nous ont proposé de créer des équipes de désinfection par couloir des parties communes. Des résidents se sont aussi proposés pour préparer des bons petits plats pour les personnes contaminées pour leur remonter le moral ou leur faire des courses. Malgré les angoisses et la masse de protocoles mis en place sans toujours pouvoir communiquer dessus en temps réel, les gens ont joué le jeu, on a la chance d’avoir un super collectif dans le centre.
Chaque personne de l’équipe continue d’être en lien avec les résidents qu’elle accompagne, nous sommes dans une écoute très active pour répondre au mieux à leurs inquiétudes, utiliser tous les moyens possibles pour une bonne compréhension de la situation.
P. D. : À Béziers, nous avons la chance de n’avoir eu aucun cas de contamination par le covid-19. Une chose qui est bien, c’est qu’avec le confinement, nous avons insisté avec les résidents pour qu’ils puissent entretenir une hygiène renforcée. Nous avons retrouvé un stock de produits plus efficaces pour désinfecter. Et nous avons augmenté le rythme de lavage des appartements et des espaces de vie commune (cuisines et salles de bain).
Au départ, on est parti bosser avec nos foulards et nos gants de travail. Pour se protéger nous n’avions pas grand-chose, c’était la débrouille. J’avais pas trop envie d’aller dans toutes les chambres pour faire ce que je faisais régulièrement avant. C’est vrai que j’y allais à reculons au début et encore un peu aujourd’hui, je ne peux pas passer sur tous les espaces et toutes les chambres. Je me restreins à intervenir moins par rapport à ce que je faisais avant.
Et aujourd’hui, nous avons un peu plus de matériel de protection. Nous avons commencé avec des masques en tissu cousus par notre comptable en télétravail, elle en a fait pour toute l’équipe. J’en ai deux lavables qui me vont bien et que je change périodiquement. Et avec d’anciens stocks de produits issus des hôpitaux qui permettent de bien désinfecter. Nous avons aussi retrouvé du gel hydro alcoolique et du savon. J’en ai dans mon bureau et dans ma voiture. Le Cada a aussi récupéré 100 masques et 20 flacons de gel hydro alcoolique transmis par la DDCS début avril. Et des bénévoles nous ont confectionné une vingtaines de masques en tissus et proposent de nous approvisionner encore si nécessaire.
L. M. : Nous ne travaillons plus en équipe élargie sur le site et nous accompagnons énormément à distance, par téléphone et sur ordinateur, alors que ce n’est pas du tout dans nos habitudes. Ces outils génèrent une fatigue supplémentaire. Et, pour les collègues en télétravail, ça peut être très frustrant de ne plus pouvoir être sur le terrain.
Le télétravail c’est pas simple dans le travail social. Je suis la référente des deux personnes qui ont été contaminées par le covid-19. Et je les ai eu tous les jours au téléphone pour faire un point sanitaire, car nous n’avons aucun personnel médical au sein de l’équipe. La bénévole de La Cimade médecin, les médecins traitants des patients, la pharmacie et les acteurs de proximité ont tous et toutes été formidables. Mais certaines choses peuvent être très déstabilisantes, c’est déjà le cas en présentiel, alors à distance, ça peut être plus dur. Par exemple, une des femmes malades m’a donné ses dernières volontés par téléphone… Et j’avoue que j’étais pas du tout prête à ça, j’avais déjà eu une grosse journée, je me suis pris ça comme une claque dans la gueule.
Et dans un cas comme ça, c’est très difficile de ne pas être entourée de ses collègues. Quand je suis sur site, si un événement de cette violence arrive, je fais une pause, j’en parle avec mes collègues, etc. Bien sûr, ça s’est fait par téléphone, et je peux aussi contacter des psychologues si nécessaire. Mais je porte le stress et les angoisses des personnes, car je les réceptionne. Et j’ai mes propres angoisses personnelles, quand je vais au travail, je prends le risque de contaminer mon propre foyer, d’être un agent contaminateur, ça ajoute du stress. Même si nous sommes une équipe très unie, en partie en télétravail, c’est un peu bancal, mais la présence des uns et des autres me manque, et de plus en plus avec la longueur du confinement.
L. M. : Nous avons besoin de dictionnaires, d’ordinateurs et de tablettes pour les enfants. Ce sont des outils essentiels pour l’école, ils n’en ont pas, et en cette période, il n’est pas possible d’en acheter. L’école à distance c’est très compliqué ici… Les enfants sont aussi victimes de la fracture numérique.
Et nous avons besoin de tests ! Car si jamais des personnes sont contaminées en plus grand nombre, notre système ne tiendra pas.
Nous avons besoin de gel hydro alcoolique, de masques ou d’argent pour en acheter. Tout ça c’est des surcoûts qui ne sont pas prévus dans le budget du centre.
P. D. : Le plus difficile c’est de ne pas pouvoir intervenir plus souvent parce que nous sommes tout de même censés êtres confinés et parce qu’il faut faire en sorte de limiter la prise de risques. Donc je prends du retard sur l’entretien et d’ici peu ça va ressurgir avec des conséquences plus graves. Je suis plus rassuré aujourd’hui pour mon intervention personnelle, nous sommes mieux protégés, sachant que je suis une personne à risque, j’ai plus de 60 ans. Mais les résident·e·s du Cada respectent les distances de sécurité. Quand j’interviens, je demande aux gens de sortir faire un tour et je suis assez pointilleux pour faire attention aux risques de contamination indirectes. J’essaye de ne pas me frotter ou me rouler par terre, mais parfois pour changer un robinet on est bien obligé de se mettre à quatre pattes… mais bon après je suis très attentif et je suis maintenant moins anxieux dans mes interventions.
L. M. : En tant que travailleuse sociale, aujourd’hui, ma difficulté c’est de continuer à faire mon travail avec un système complètement effondré. Avec cette crise, nous réalisons qu’en temps normal, faire respecter les droits des personnes réfugiées et précaires c’est très compliqué, mais là, aujourd’hui, ça devient un marasme total. Nous nous occupons de personnes que la société ne souhaite pas trop voir, et nous devenons nous-même des « invisibles ». Pour l’avenir, si les choses pouvaient s’améliorer, ça serait indispensable de donner un message d’espoir après tout ça. Nous faisons partie des secteurs où nous ne pouvons pas être rentables, ce n’est pas possible ! Ça fait vingt ans que je travaille dans le social, je constate ce glissement, on nous demande de devenir rentables avec de l’humain. C’est tout simplement impossible. Il faut vraiment un changement de paradigme. Aujourd’hui, les travailleurs et travailleuses sociaux sont épuisées. Elles puisent dans leur résilience, mais il arrive un moment où la résilience n’est pas un puit sans fin. De plus en plus de salarié·e·s finissent en burn-out. Là, c’est le dur de la crise, on tient avec les nerfs. Mais mon inquiétude c’est le « après », quand ça va retomber. Avec le déconfinement, les administrations vont se réveiller, les partenaires aussi, la surcharge de travail va arriver, et il va falloir continuer.
L. M. : C’est pouvoir travailler en mettant l’humain au centre de tout, avec beaucoup de bienveillance. Et à La Cimade, nous disposons encore de cette possibilité ! Dans beaucoup d’autres structures et associations, ce n’est plus le cas, je l’ai constaté dans ma carrière. Je pourrais parler de la maltraitance qui s’institutionnalise envers les publics accueillis et les salarié·e·s. Ce qui me motive ? C’est les moments de partage, les fous-rires avec les réfugié·e·s, avec les collègues, tous les échanges de savoir aussi. Nous accompagnons des personnes qui ont des accidents de parcours et un vécu impressionnant. Ce qui me motive dans le travail, ce sont les rencontres qui m’aident à mettre les choses en perspective tous les jours.
P. D. : Tout le monde prend soin des autres et je pense que les résident·e·s le sentent. Je ne peux que me raccrocher à offrir le confort le plus grand possible pour les résidents. Sinon dans un autre contexte, j’aurais peut-être moins envie d’aller au boulot. Avoir un meilleur confort en cette période difficile c’est important. Être confiné dans une chambre qui fait 7 ou 8 mètres carrés, c’est très dur à vivre. Si on a vingt chambres dans un couloir, c’est beaucoup plus dur que quand moi je suis dans ma maison, et même si je n’ai pas une grande maison, j’ai de l’air autour de moi et je peux rester seul si j’en ai l’envie.
Et il y a une bonne dynamique dans l’équipe. Même avec celles et ceux qui ne sont pas sur Béziers et sont en télétravail, tout est efficace, le boulot avance très bien, autant qu’avant le confinement. Même si ça pose pas mal de difficultés avec les signatures ou la carte de paiement pour l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) et son renouvellement prévu depuis le 27 avril.
L. M. : C’est toutes les attentions entre collègues, les petits messages sympas, tous les sourires qu’on croise auprès des résident·e·s, le fait qu’ils et elles s’inquiètent pour nous et notre famille. Et aussi les petites victoires. Par exemple, la semaine dernière j’ai essayé d’orienter vers un dentiste une personne que j’accompagne. Ça a été très compliqué, le système mis en place par l’ordre des chirurgiens-dentistes ne fonctionne pas, mais la proximité des professionnels de santé qui sont là localement, ça fonctionne. Une dentiste voisine a fait le relais et j’ai pu trouver une consultation. Toute cette solidarité qui se créé en ce moment c’est magnifique. Le réseau entre collègues, avec des anciens collègues, des copines qui fabriquent des masques en tissu pour celles et ceux qui bossent dans des structures qui jouent pas le jeu.
P. D. : Fatalement les collègues on les croise moins ! Je croise plus de résident·e·s que de collègues. Mais la dernière fois, j’étais avec quelqu’un qui ne parle pas du tout le français et c’est une personne à risque, très vulnérable, avec de gros problèmes de santé. Il avait un problème pour changer sa bouteille de gaz, je suis venu l’aider et il était tellement content d’avoir du gaz qu’il m’a offert un gâteau. Je suis reparti avec mon gâteau et ma bouteille de gaz vide et j’étais l’homme le plus heureux sur terre. C’était pas tant le gâteaux, mais le voir tellement content de pouvoir continuer à cuisiner, je me suis dit c’est bon ils sont heureux, malgré toutes leurs problématiques.
Propos recueillis par Rafael Flichman
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Auteur: Service communication
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