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Archipel des Comores : entretien avec Maeecha, partenaire de La Cimade

8 juin 2023

Depuis 2019, le pôle Solidarités internationales Europe et le groupe local de La Cimade à Mayotte mènent un projet sur les personnes mortes ou disparues en mer dans l’archipel des Comores, en partenariat avec l’ONG comorienne MAEECHA, Mouvement associatif pour l’éducation et l’égalité des chances. Dans cet interview, réalisée à Anjouan lors d’une mission de La Cimade, Nasser Assoumani directeur de Maeecha et Lamiat Said Abdallah, responsable du volet protection, reviennent sur la création de l’association, l’enjeu pour eux de travailler sur la question des personnes mortes en migration et le partenariat avec La Cimade.

Comment est née Maeecha ?

Nasser : Avant la création de Maeecha, j’ai travaillé pendant plusieurs années avec une ONG française sur la thématique de l’enfance, et j’avais l’envie de créer une structure comorienne. Maeecha est né d’une réflexion avec trois autres Comoriens pour répondre à certaines questions liées à l’éducation et dans l’idée de prendre en charge des enfants qui n’avaient pas la chance d’aller à l’école. Notre première activité a été la création d’une école communautaire à Adda Daoueni à Anjouan. Une école en quelque sorte issue de l’immigration car elle a été créée pour des familles, renvoyées de Mayotte fin 2005-début 2006, et qui ne savaient pas quoi faire car leurs enfants, scolarisés à Mayotte, se sont retrouvés sans école chez eux. Il y avait 140 gamins déscolarisés, la communauté est venue nous voir et on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. C’est comme ça qu’est née l’école communautaire Maeecha qui existe toujours aujourd’hui. Pour la petite histoire, nous avons reçu récemment une partie des premiers enfants scolarisés dans cette école, qui viennent de terminer l’université et qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail.

 

Peux-tu nous parler de l’observatoire de l’émigration clandestine anjouanaise auquel tu as participé ?

Nasser : C’est un projet qui date du début des années 2000 et qui était porté par des structures françaises présentes aux Comores en l’occurrence ID (Initiative et développement), MDM (Médecins du monde), et une ONG comorienne CAP (Collaboration Action Pérennisation). L’objectif était de collecter des informations relatives aux accidents en mer entre Anjouan et Mayotte. Ces naufrages étaient récurrents mais personne n’en parlait. Nous avons mis en place un dispositif de suivi, c’était une activité inédite et qui était difficile à mettre en œuvre et à pérenniser. Les enjeux étaient énormes, ce n’était pas facile de parler des naufrages et des personnes qui ont perdu la vie en mer. Ce n’était pas bien accueilli par les autorités surtout françaises. Je crois que cela a quand même fait son effet, et que nos publications ont permis de réveiller quelques esprits ; c’était un sujet qui n’était jamais abordé, c’était le début des années 2000, donc les débuts d’internet, ce qui nous a permis de mettre en ligne quelques rapports. Malheureusement, nous n’avons pas pu continuer, le suivi était devenu difficile et nous avions peu de soutiens.

 

Depuis la création de l’école communautaire d’Adda Daoueni, Maeecha a beaucoup développé ses activités, pouvez-vous nous parler du volet protection dans lequel s’inscrit le projet que l’on mène ensemble ?

Lamiat : Ce volet commence tout d’abord par un programme de protection des enfants en situation d’isolement. Dans l’archipel des Comores, il est de coutume que l’autorité parentale soit dévolue à la famille élargie. Il est fréquent de confier son enfant à une autre famille pour différentes raisons, ce « confiage » d’enfant, et donc les mouvements d’enfants d’un territoire à un autre qui en découlent, est quelque chose de très ancré dans la culture comorienne. La naissance du programme protection vient de la préoccupation de Maeecha sur l’impact de ces placements d’enfants sur leur santé, leur éducation, leur développement, et notre volonté de mieux connaître ce phénomène pour mieux appréhender les besoins qu’il engendre pour les enfants. Nous ne sommes pas les seuls à avoir fait ce constat, qui est assez partagé par les différentes structures et acteurs impliqués dans la défense des droits de l’enfant, mais nous sommes rendus compte, que ces déplacements d’enfants avaient souvent des raisons socio-économiques, des situations de vulnérabilité et des motivations d’ordre éducatif avec une volonté des parents d’offrir à leurs enfants un meilleur accès à l’éducation. Ces déplacements d’enfants d’une île à une autre fait que certains d’entre eux se retrouvent de fait isolés de leur famille d’origine, biologique ou non d’ailleurs, ou à risque, avec parfois des violations de leurs droits, des violences, ou maltraitances pour les situations les plus graves. Nous avons mené deux enquêtes, une première en 2014-2015 sur le territoire d’Anjouan, et une plus large en 2021 étendue aussi à Grande-Comore et Mohéli. Nous avons constaté que Mayotte était aussi concernée par ce phénomène, même si la majorité des placements se font sur la même île ou entre Anjouan et Grande Comore. Nous avons constaté que certains enfants pouvaient être déplacés vers Mayotte, ou se trouver dans des situations d’isolement à Anjouan parce que leurs parents s’étaient déplacés vers d’autres îles, dont Mayotte pour certains. Ces études nous ont permis de mieux connaître les vulnérabilités et l’impact des déplacements sur les enfants en termes de santé, d’éducation, et de manière générale sur l’ensemble de leurs besoins primaires. Notre accompagnement vise à faire en sorte que les droits de l’enfants soient respectés, en terme d’éducation, de santé, d’accès au loisir, et d’accompagner les familles qui les accueillent. Avec d’autres associations avec qui nous travaillons en collaboration, nous portons une proposition de loi permettant d’encadrer ces placements d’enfants et veiller à ce que ce phénomène culturel se réalise dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits.

 

Quels sont les enjeux pour Maeecha du partenariat avec La Cimade sur la question des personnes mortes ou disparus en mer, et comment ce projet s’inscrit-il dans le volet protection de Maeecha ?

Nasser : L’engagement dont je parlais dans l’observatoire révèle un intérêt de longue date et explique notre engagement dans le partenariat avec La Cimade. Ce sujet nous parle, nous parle beaucoup. Dans le cadre de nos interventions sur le terrain dans le domaine de l’enfance, nous y sommes confrontés. Il y a des enfants qui sont expulsés de Mayotte en étant rattachés à une autre famille parce que leur parent ont perdu la vie en mer, ou pour d’autres raisons. Ces enfants parfois ne connaissent pas l’histoire de leurs parents et encore moins de l’archipel, et se retrouvent du jour au lendemain dans un autre territoire sans aucune mesure d’accompagnement. Vous imaginez le choc ? même si l’on peut parfois constater que leurs conditions de vie à Anjouan semble nettement meilleure. Ce sujet nous préoccupe depuis longtemps mais nous ne savions pas forcément comment faire ; nous estimons qu’il est très important que ces enfants et ces familles, s’ils le décident un jour, puissent faire des recherches sur la disparition de leur proche, puissent avoir des outils, des structures à qui s’adresser et qui soient en mesure de les accompagner à chercher des réponses.

Lamiat : Cela tombait sous le sens pour nous d’intégrer ce projet dans notre volet protection qui s’inscrit dans le cadre de l’accompagnement de familles en situation de vulnérabilité. Dans le projet que Maeecha et La Cimade portent ensemble, l’objectif est aussi d’accompagner des familles, pas dans le même contexte, mais aussi en état de vulnérabilité ou de détresse. Ce projet a du sens pour nous car une partie des enfants que nous accompagnons au quotidien, est directement concernée par les disparitions en mer. Et au-delà, la collaboration avec La Cimade de manière générale est aussi importante dans la mesure où nous sommes aussi confrontés à des situations où l’enfant, dans son parcours de déplacement, se retrouve à Mayotte, il est donc précieux pour nous d’avoir un interlocuteur privilégié à Mayotte, comme la Cimade.

 

En savoir plus : www.maeecha.org

 

Auteur: Pôle Europe et International

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