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Pour accéder aux préfectures d’Ile de France, les demandeurs d’asile « doivent » appeler la plateforme téléphonique de l’OFII. Mais est-ce vraiment sûr?
Le 12 juillet 2021, le Conseil d’Etat examinera la requête de la Cimade qui a demandé l’exécution de la décision qu’elle avait obtenue le 31 juillet 2019 pour que le ministère de l’intérieur prenne les mesures nécessaires au respect du délai d’enregistrement des demandes d’asile que le droit européen et national a fixé à trois jours ouvrés après la présentation de la demande d’asile.
La plateforme téléphonique de l’OFII, est, depuis mai 2018, le passage obligé de tout demandeur d’asile en Ile-de-France, pour pouvoir accéder aux structures de premier accueil (SPADA) gérées par un consortium de trois associations (CASP, COALLIA, FTDA) dans le cadre d’un marché public de l’OFII et qui ont pour mission de recevoir les personnes qui souhaitent solliciter l’asile afin de transmettre un formulaire aux guichets uniques de la région (GUDA), chargés d’enregistrer les demandes d’asile dans un délai de trois jours ouvrés.
Cette plateforme téléphonique affiche tous les jours des performances, apparemment exceptionnelles dans l’administration : 73% de satisfaction des appels traités, 3 jours de délai entre l’appel et l’enregistrement, la fin des files d’attente dantesques devant les locaux des associations et des préfectures. En 2020, malgré la fermeture pendant un mois et demi de confinement, plus de 45 000 rendez-vous ont été distribués et plus de 152 000 en deux ans et sept mois d’existence.
Cette présentation est idyllique. En réalité, pour les demandeurs d’asile, il faut s’armer d’un téléphone d’un bonne carte prépayéé(l’appel est payant) et d’une patience à toute épreuve pour s’entendre répéter pendant de longues minutes le message indiquant que tous les opérateurs sont actuellement occupés. Au bout de quarante-cinq minutes, la conversation est interrompue et l’OFII demande de rappeler. A partir de midi, l’attente est moins longue puisqu’il est indiqué qu’il faut rappeler le lendemain, tous les rendez vous ayant été distribués.
L’OFII se garde bien de fournir des statistiques (pourtant classiques pour des plateformes téléphoniques) des appels reçus et du taux de décroché. Elles ont fuité par erreur pour l’année 2018 (à peine 8 % des appels donnant lieu à un rendez-vous). L’ accès s’est depuis encore dégradé, avec la diminution du nombre de rendez-vous disponibles, tout au long de l’année 2019 (de 300 par jour à 255 fin octobre 2019) et en 2020, aux capacités encore plus réduites en raison des consignes sanitaires (en septembre 198 rendez- vous par jour, 200 en octobre et 235 depuis novembre).
Dans le cadre d’un contentieux initié par la Cimade en 2017 qui devrait connaître son issue le 12 juillet 2021 par une audience devant le Conseil d’Etat, l’OFII a dû concéder de fournir des données relatives aux appels reçus par la plateforme pour le premier trimestre 2021. En moyenne, 70 000 appels sont reçus chaque mois par la plateforme (dont 57 000 éligibles) de 11 679 numéros différents et 8 335 sont traités par la plateforme et 4 800 obtiennent un rendez-vous. Le taux de décroché est donc de 14,5% et les rendez vous donnés représentent 6,8% des appels reçus. le délai moyen pour joindre la plateforme est donc de quinze jours et les rendez-vous donnés ne correspondent qu’à 41% du « stock » d’appelants.
Le paradoxe est que le ministère de l’intérieur constate que le nombre d’enregistrements réalisés par les huit GUDA d’Ile-de-France ne représentent que 63% des rendez-vous donnés. S’il faut pondérer ce taux en indiquant que les demandes de mineurs et de réexamens ne sont pas comptabilisées dans les données du ministre, une part non négligeable des rendez-vous donnés n’aboutit pas à un enregistrement tandis que d’autres personnes n’arrivent pas à joindre la plateforme.
Depuis 2018, des centaines de personnes ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris pour faire enregistrer leur demande en faisant des copies d’écran de leur portable indiquant le nombre et la durée de leurs appels dans le vide. Au départ, le tribunal administratif de Paris enjoignait au préfet d’enregistrer leur demande dans un délai de dix jours ouvrés. En novembre 2019, une deuxième requête inter-associative a contraint le préfet de police d’ajouter 20 créneaux pour enregistrer les demandes, ce qu’il a oublié de faire à la faveur des grèves puis du confinement.
C’est désormais plus compliqué d’obtenir satisfaction puisque les juges considèrent que les demandes sont trop tardives, qu’il n’y a pas assez d’appels ou qu’il n’est pas établi que les personnes ont appelé par leurs propres moyens. Dans les tribunaux de banlieue, il y a des rejets par ordonnance.
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Pour tenter d’avoir une réponse systémique, un contentieux a été initié en décembre 2019 contre les décisions d’organisation de la préfecture de police et de l’OFII. L’instruction est toujours en cours plus d’un an après. Dans ce contexte, comment sortir de l’impasse?
Saisi d’un recours de la Cimade en 2017 le Conseil d’État a jugé en 2019 que l’OFII n’a aucune compétence en matière d’enregistrement des demandes. Et il a donc échappé aux injonctions faites au ministre de prendre des mesures pour faire respecter le délai d’enregistrement. Alors pourquoi le solliciter ?
Selon les dispositions réglementaires, ce sont les préfets des départements de la région qui ont cette compétence et les textes précisent qu’ils ne peuvent déléguer la présentation qu’aux seules SPADA. Aucun texte, pas même le schéma régional d’accueil d’Ile-de-France publié en octobre 2019, n’a prévu une pérennisation de la plateforme téléphonique.
Comme souvent en matière d’asile, le droit européen pourrait être utile à régler la question.Dans un arrêt du 25 juin 2020, à propos d’une personne placée en rétention en Espagne et qui a demandé asile lorsqu’elle a été présentée devant un juge pour la prolongation de cette rétention, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que le juge était une autre autorité au sens de l’article 6§1 de la directive, qui, si elle ne peut procéder elle-même à l’enregistrement de la demande, doit informer le demandeur de la procédure et transmettrela demande à l’autorité compétente pour qu’elle enregistre dans un délai, non de trois jours ouvrés comme en cas de saisine directe, mais de six. La Cour estime que cette notion d’autre autorité n’a pas à être définie par le droit national et qu’elle peut n’importe quelle autorité. Surtout, dès cette présentation, la personne acquière le statut de demandeur d’asile et doit donc bénéficier des droits prévus par la directive accueil.
En droit français l’article R. 741-2 du code prévoit une liste limitative d’autres autorités. Il s’agit de l’OFII, de l’OFPRA, de l’administration pénitentiaire, des services de police et de gendarmerie et le texte indique qu’elles « fournissent à l’étranger les informations utiles en vue de l’enregistrement de sa demande d’asile. Pour cela, elles dispensent à leurs personnels la formation adéquate. » A la lumière de l’arrêt de la CJUE, elles doivent également transmettre la présentation à l’autorité compétente qui, elle dispose d’un délai de six jours ouvrés (soit 10 jours calendaires) pour enregistrer la demande.
En application de la jurisprudence de la CJUE, toute administration, y compris locale, est tenue d’informer la personne des droits et obligations liés à la procédure d’asile et aux conditions matérielles d’accueil et en application de l’article L.114-2 du CRPA, transmette la demande à l’autorité compétente qu’est le préfet, en l’avisant de cette transmission. Ces autorités sont les juges, y compris administratifs, les mairies, les dispositifs de veille sociale (115), les conseils départementaux, le conseil régional d’Ile de France, la CPAM, etc.
Pratiquement comment faire en ces temps où un bon nombre de services publics fonctionne de façon réduite et a largement dématérialisé les procédures ?
En premier lieu, les structures de premier accueil et les préfectures. Ce sont les personnes compétentes pour la présentation et l’introduction des demandes. Dès lors que des mesures sanitaires en interdisent l’accès physique sans rendez vous, on peut les contacter par courriel ou par les téléservices mis en place pour d’autres types de demandes (envoyé par la personne, qui s’il n’a pas de mail peut en créer rapidement un) en fournissant les informations nécessaires. Cela a l’avantage de matérialiser et de personnaliser la demande et aussi de faire démarrer le délai prévu à l’article L. 741-1 du CESEDA . Le Conseil d’État ayant considéré que le délai de trois jours ouvrés était un objectif de résultat,, les préfectures doivent théoriquement enregistrer les demandes dans ce délai.
Les mairies. Aujourd’hui, la plupart d’entre elles ont dématérialisé la prise de rendez vous pour la délivrance d’un titre d’identité ou d’une attestation d’accueil mais on peut tout de même tenter de s’y rendre. Le personnel sera interloqué, sollicitera un responsable qui sans doute saisira les élus. S’il est donné une explication par une personne accompagnante, il sera possible d’obtenir de la part de la mairie la prise en compte de la présentation, qu’elle enverra au préfet compétent. A partir de ce moment, le délai de six jours commence à courir.
Dans tous les cas, , on peut alors saisir le juge des référés du tribunal d’une requête en référé-mesures utiles ou, passé le délai de trois jours ouvrés, si la personne est dans une situation de grande précarité d’un référé liberté, qui est aussi une présentation de demande selon la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Le tribunal est donc soumis à l’obligation de transmettre la demande au préfet et ce dernier ne peut pas invoquer l’existence de la plateforme téléphonique pour ne pas l’enregistrer, puisqu’elle ne repose sur aucun texte réglementaire.
Si les personnes peuvent de nouveau saisir directement le préfet ou s’adresser à une multiplicité d’autorités, la barrière que constitue la plateforme téléphonique deviendra obsolète et un nouveau dispositif devra être mis en place pour enfin respecter le droit dans la région.
Auteur: Responsable national Asile
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