Ecoutez-moi, j’ai quelque chose à dire.
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« La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part »
Michel Rocard est décédé le 2 juillet 2016. En novembre 1989, La Cimade célébrait ses 50 ans. Invité à cette occasion, alors Premier ministre, Michel Rocard avait déclaré « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ». Une phrase qui, confiera-t-il « lui joua le pire des tours. Séparée de son contexte, tronquée, mutilée, ma pensée a été sans cesse invoquée pour soutenir les conceptions les plus éloignées de la mienne ». Invité au colloque organisé à Strasbourg à l’occasion des 70 ans de La Cimade en septembre 2009, Michel Rocard reviendra sur cette phrase prononcée vingt ans plus tôt et sur d’autres sujets comme l’Europe, les migrations, les centres de rétention. Ses propos rapportés dans un article par le journal Libération du 29 septembre 2009 ont une résonance toute particulière en ce mois de juillet 2016.
Extraits.
« Chers amis, permettez-moi, dans l’espoir, cette fois-ci, d’être bien entendu, de le répéter : la France et l’Europe peuvent et doivent accueillir toute la part qui leur revient de la misère du monde. […] Que nous ne puissions à nous seuls prendre en charge la totalité de la misère mondiale ne nous dispense nullement de devoir la soulager autant qu’il nous est possible.
Il y a vingt ans, venu participer en tant que Premier ministre au cinquantenaire de la Cimade, j’ai déjà voulu exprimer la même conviction (1). Mais une malheureuse inversion, qui m’a fait évoquer en tête de phrase les limites inévitables que les contraintes économiques et sociales imposent à toute politique d’immigration, m’a joué le pire des tours : séparée de son contexte, tronquée, mutilée, ma pensée a été sans cesse invoquée pour soutenir les conceptions les plus éloignées de la mienne. Et, malgré mes démentis publics répétés, j’ai dû entendre à satiété le début négatif de ma phrase, privé de sa contrepartie positive, cité perversement au service d’idéologies xénophobes et de pratiques répressives et parfois cruellement inhumaines que je n’ai pas cessé de réprouver, de dénoncer et de combattre. […]
Si j’ai été compris à l’inverse de mes intentions il y a vingt ans, c’est qu’à cette époque une très large partie de la classe politique et de l’opinion françaises, de droite à gauche, s’était laissé enfermer dans le paradoxe consistant à obéir aux injonctions xénophobes de l’extrême droite sous prétexte de limiter son influence. […] Le résultat en est que les vingt années écoulées ont été marquées par le développement d’une réglementation européenne sur l’entrée et le séjour des migrants fondée sur une vision purement sécuritaire. […]
Les conséquences de cette politique d’inhospitalité sont tout simplement tragiques et souvent criminelles : des milliers de morts en Méditerranée, dans l’Atlantique, ou au milieu du désert et, pour les candidats à l’exil, jamais découragés, des trajets toujours plus longs et dangereux, nos pratiques de rejets encourageant les filières mafieuses à s’engouffrer dans cette nouvelle manne de la traite des êtres humains. »
« A l’intérieur de l’Union européenne, ces législations fragilisent partout le respect des droits et des libertés de tous, en contribuant à renforcer une vision fantasmatique de l’immigration, un repli frileux sur soi et la peur de l’autre.
Au niveau international, c’est un gouffre d’incompréhension et de rancœurs qui se creuse avec les populations du Sud et leurs gouvernements, qui se voient souvent contraints de se plier à un marchandage humiliant entre l’aide au développement et la participation au contrôle policier des mouvements migratoires. »
« Le droit à l’émigration et le devoir d’hospitalité doivent s’exercer selon des règles qui les rendent acceptables par tous. La réglementation actuelle ne proposant aucune solution réelle au problème, il y a donc urgence pour l’Europe à inventer d’autres règles, se fondant sur le respect du droit international et les principes des droits humains dans le cadre d’une vision réaliste des conditions économiques et sociales de l’intégration des émigrés basée sur une nouvelle lecture du monde, des risques et des chances de son avenir prévisible. »
« Aujourd’hui, la politique de rétention et d’expulsion des migrants, en effet, n’épargne pas les couples et les familles, enfants compris, et semble souvent bien éloignée du respect élémentaire des libertés individuelles, banalisant des législations d’exception. […] [Concernant] la présence d’enfants, cet été encore, dans les centres de rétention, j’ai entendu l’argument choquant qu’une telle mesure a été prévue pour permettre aux parents de ne pas être séparés de leurs enfants… Il y a pourtant une autre solution à ce problème, éthiquement incomparablement supérieure, qui est de renoncer purement et simplement à placer en centre de rétention les personnes vivant avec leurs enfants dans notre pays. »
« Pour une politique d’hospitalité en Europe, il est temps de sortir de la logique folle qui voudrait protéger nos libertés et notre identité en sapant les fondements même de notre humanisme. Il est urgent de redonner sens et contenu aux principes d’égalité et de fraternité, en restaurant un droit stable et protecteur, permettant à celles et à ceux qui ont vocation à rester sur le territoire européen d’accéder à une véritable citoyenneté de résidence. »
« Au-delà de ces quelques pistes, le cadre nouveau dont la nécessité s’impose ne pourra être inventé qu’en sortant d’une vision européocentrée, et en établissant un nouveau dialogue avec les pays du Sud, en premier lieu l’Afrique. Il ne pourra se construire sans y associer les sociétés civiles, notamment les syndicats et les associations qui, par leurs actions conjointes et leurs capacités d’innovation, sont un moteur essentiel de l’émergence d’un dialogue et de solutions pour l’avenir.»
(1) La phrase dans son intégralité : «La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part.»
Auteur: Service communication
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