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Centre de Rétention Administrative (CRA) Saint Exupéry, près de Lyon Le médecin du CRA et une partie de l’équipe médicale démissionnent. Pourquoi ?

22 décembre 2022

Rédigé par la Commission Enfermement de la Cimade Lyon, à partir des témoignages du Dr. Thomas Millot (13 octobre-25 novembre 2022) et d’informations recueillies par la Cimade et d’autres médias. Le docteur Millot, practicien hospitalier des Hospices Civils de Lyon attaché à mi-temps au centre de rétention administrative (CRA) depuis […]

Rédigé par la Commission Enfermement de la Cimade Lyon, à partir des témoignages du Dr. Thomas Millot (13 octobre-25 novembre 2022) et d’informations recueillies par la Cimade et d’autres médias.

Le docteur Millot, practicien hospitalier des Hospices Civils de Lyon attaché à mi-temps au centre de rétention administrative (CRA) depuis cinq ans, a annoncé sa démission, et témoigne des conditions profondément inhumaines de rétention. Ces conditions se sont particulièrement dégradées depuis l’ouverture d’un deuxième centre près de l’aéroport Saint Exupéry en janvier 2022, mais surtout depuis la visite à Lyon au mois de juillet 2022 du ministre de l’Intérieur G. Darmanin, intensifiant une politique urbaine sécuritaire dans le quartier de la Guillotière, consistant à enfermer en CRA massivement, rapidement, et sans jugement, des personnes étrangères soupçonnées de participer à des activités illicites.

Le contexte actuel rend, selon le Dr. Millot, tout travail médical déjà difficile, encore plus exténuant et insupportable.

Graves dysfonctionnements de la gestion sanitaire.

Dysfonctionnement de la gestion sanitaire en rétention, voilà un constat général pour tous les CRA en France, où aucune perspective de changement ni d’amélioration des services sanitaires n’est prévue – pourtant requis par la loi[1] – puisqu’il n’existe aucun guide méthodologique de prise en charge sanitaire des personnes en rétention administrative, contrairement à ce qui existe dans notre système de détention pénitentiaire, et que les budgets définis sont minimaux.

La Cimade dénonce régulièrement les obstacles de la prise en charge médicale au Centre de rétention, avec les conséquences aggravantes pour l’état de santé des personnes retenues, parfois déjà malades à leur arrivée du fait des conditions de vie et « des ruptures de soins et de traitement alarmants »[2]. Le placement en Centre de rétention est donc non seulement une peine de privation de liberté qui n’est pas liée à un jugement pénal (crime/délit), mais cet enfermement inhumain et cynique est source de plus fortes maladies et de violences accrues.

Au centre de rétention de Lyon : la santé en danger permanent.

Le nouveau centre de rétention administratif de Lyon a été inauguré en janvier 2022 a côté du premier CRA, actuellement fermé pour travaux[3]. Pour un CRA d’une capacité de 140 personnes, l’équipe sanitaire actuelle comprend seulement 3 infirmières au lieu de 5 prévues par la loi[4], un médecin à mi-temps au lieu d’un à plein temps, assisté d’un secrétariat également à mi-temps (60%). Plus d’une centaine de personnes, 110 exactement[5], sont actuellement retenues dans ce centre disposant de 140 places en cellules de 2 personnes ou de 6 personnes (« zones-famille »), où elles peuvent rester confinées jusqu’à 90 jours[6]. L’équipe sanitaire, de même que le personnel de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) et de Forum Réfugiés, sont installés dans une zone d’accès contrôlée (ZAC), où les personnes retenues viennent pour consultation durant des créneaux horaires très fixes et limités entre 9h et 17h.

Si l’accueil des personnes pour un suivi médical est largement insuffisant, le  suivi psychologique n’est, lui, pas assuré du tout. Il n’y a pas de psychologue au CRA – ce qui est contraire à la loi[7] – et la demande de nomination d’une psychiatre au CRA par l’équipe médicale a été catégoriquement refusée par la Préfecture, sans réaction des Hospices Civils de Lyon (HCL), pourtant garants des soins[8]. Rappelons que les institutions de la Santé – notamment l’Agence Régionale de Santé (ARS) – n’interviennent pas sur la question des soins médicaux en CRA. Ces derniers dépendent d’un budget préfectoral, donc lié au ministère de l’Intérieur, qui finance l’externalisation d’un service médical en rétention par les Hospices Civils de Lyon. Un centre fermé requiert une présence médicale, or ce qui est mis en place ici est bien en dessous du minimum requis.

Dans ce nouveau centre de rétention, conçu comme un espace de haute sécurité, le personnel de santé n’a aucun accès aux zones d’hébergement, sauf à se soumettre au passage acrobatique et très complexe de portes de sécurité qui cloisonnent le CRA. Les personnes retenues accèdent à la ZAC sans être orientées selon leur demande ; il en résulte un accès difficile et dégradé aux services, mais aussi des sollicitations incohérentes aux différents partenaires, sans discernement de « qui fait quoi », une pression permanente sur le personnel, et une agressivité croissante qui a amené les membres de Forum Réfugiés à refuser de recevoir certaines personnes dans leur mission d’information et d’accès aux droits en rétention[9]. Ces difficultés – sans oublier le niveau de violence en forte augmentation ces derniers mois dans le CRA – expliquent le départ de nombreux membres du personnel.

Protester et Démissionner :  quelle autre solution face à l’impossibilité d’exercer son métier de médecin ?

Rupture brutale de la vie quotidienne et familiale, perte de son travail et de ses ressources économiques, enfermement brutal, non justifié par une sanction pénale, risque d’expulsion vers un pays où l’on ne veut pas – voire ne peut pas – vivre, quotidien inhumain, absence d’activité, rupture de soins médicaux, sevrages forcés pour les personnes victimes d’addictions, ce sont là quelques-uns des effets -innombrables et violents- de l’enfermement en rétention – que la Cimade a largement documentés[10]. Les effets de cette violence et de la promiscuité forcée provoquent des bagarres quotidiennes entre retenu·es ou des actes d’automutilation et des tentatives régulières de suicide, qui peuvent aussi être lues comme des protestations.

Or, explique le Dr. Millot, à la différence des prisons, il n’y a aucun personnel qualifié en CRA pour la surveillance et la gestion de ces crises. Seule la Police aux Frontières (PAF) est à l’œuvre, dont le métier est l’éloignement des personnes enfermées en rétention administrative et non la gestion d’un lieu de rétention

La situation est devenue particulièrement critique récemment, au point que le service médical – fait rare – a décidé d’exercer son droit de retrait : « La violence est devenue hors de contrôle cette semaine au Centre de rétention. Un des retenus, entre autres nombreux faits marquants de la semaine, victime de coups en début de semaine, a été réinjecté dans la même zone d’hébergement après 24h de mise à l’écart, et s’est fait littéralement passer à tabac. Il y a de très nombreuses bagarres quotidiennement, dans les zones d’hébergement, dans la ZAC, etc. Pour ce qui concerne le service médical, nous avons décidé ce jour à 15 heures après un énième incident d’exercer notre droit de retrait et avons fermé le service, tant que la police ne se décide pas à assurer la sécurité des personnes au sein du Centre de rétention » (Dr. Millot, 25 novembre 2022). Le 28 novembre l’activité médicale a pu reprendre sous couvert de la présence de deux policiers dans la ZAC.

Au-delà de l’exercice du droit de retrait, c’est à la démission – définitive – que recourent sans espoir le Dr. Millot et d’autres personnels travaillant au centre de rétention, qui partiront dès ce mois de décembre 2022.

Dégradation des conditions d’enfermement : résultat de la stratégie sécuritaire nationale promue par le ministère de l’Intérieur

La dégradation des conditions d’enfermement est aussi le résultat violent du contexte politique actuel. Parmi la centaine de personnes retenues, environ 85 sont des toxicomanes en grande précarité sociale, arrêtés depuis cet été. Suite à une agression de trois policiers à la Guillotière au centre de Lyon, le ministre de l’Intérieur G. Darmanin a en effet ordonné le déploiement d’un dispositif policier inédit pour « sécuriser » l’espace urbain[11], et quadriller ce quartier, en pleine gentrification, mais symbole fantasmé de « l’insécurité » lyonnaise. La police procède donc à des arrestations massives de personnes étrangères, automatiquement assimilées à des délinquants. Ce ne sont pas ici des étrangers en attente d’expulsion qui sont visés mais des jeunes – essentiellement des hommes – d’origine maghrébine, dont algérienne, alors même que ce pays refuse l’expulsion pour des raisons diplomatiques. Processus de criminalisation, où l’enfermement en CRA devient une variable d’ajustement politique autoritaire et simpliste devant des situations de conflictualités urbaines. En octobre 2022, une opération similaire est menée à Paris, l’évacuation du squat de Stalingrad, où une cinquantaine de personnes ont été déplacées vers le Centre de rétention administrative du Mesnil Amelot[12].

Or, l’enfermement administratif de personnes toxicomanes est contraire à la loi. La prise en charge sanitaire de toxicomanes implique des mesures tout à fait spécifiques, par exemple l’obtention de psychotropes, ou le suivi psychiatrique, ici refusé au CRA de Saint Exupéry. Seules les plus grandes urgences psychiatriques sont prises en charge au CHU. Cette situation – fruit de décisions politiques – a des conséquences lourdes. Elle entraine une tension supplémentaire pour le personnel médical, dont l’activité est désormais centrée sur la gestion de la toxicomanie avec les symptômes de stress, d’anxiété, de troubles du sommeil aggravés par la rétention et les procédures d’expulsion en cours.

Les décisions arrivent de la Préfecture, soumise aux ordres du ministère de l’Intérieur, comme chacun sait. Cette situation inhumaine, absurde et ingérable, dans un désordre quotidien, contraire à toute éthique des métiers de la médecine, est à l’origine de la décision prise par le personnel sanitaire et le Dr. Millot de démissionner du service médical du CRA de Saint Exupéry.

Combien de temps durera ce système d’enfermement dans ce lieu de maltraitance ? Combien de personnes en souffrance auxquelles rien n’est proposé resteront injustement soumises à ce régime de rétention ?

La Cimade, commission enfermement AURA

[1]      L’accès aux soins en rétention est encadré entre autres par le droit fondamental à la protection de la santé (alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946) ainsi que par l’article 2 de l’arrêté du 17 décembre 2021 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes retenues dans les centres de rétention administrative.

L’Instruction du Gouvernement du 11 février 2022 relative aux centres de rétention administrative – organisation de la prise en charge sanitaire des personnes retenues (NOR:INTV2119176J) précise le nombre de personnel médical nécessaire en CRA.

[2]      La Cimade, août 2022, La Crazette, « Mieux vaut bannir que guérir » pp.10-14.

[3]      La réouverture du CRA nº1 est prévue mi-janvier 2023, l’effectif de personnes enfermées sera alors de 280.

[4]      Voir note 1.

[5]      Pour les mois d’octobre-novembre 2022. L’effectif de personnes retenues va monter jusqu’à 140 puisqu’une zone tampon instaurée lors du COVID (confinement de 7 jours à l’arrivée au CRA) va être supprimée.

[6]      En 2021, 1254 personnes, majoritairement des hommes de nationalité albanaise, tunisienne, algérienne et Roumaine, ont été enfermées au CRA de Lyon-Saint-Exupéry pour une durée de 23,7 jours en moyenne. Source : Centres et locaux de rétention administrative, 2021, Rapport National et Local, Groupe SOS Solidarités, Forum Réfugiés, France Terre d’Asile, La Cimade, Solidarité Mayotte, p.57

[7]      Voir note 1.

[8]      Entretien de la Commission Enfermement de la Cimade AURA avec le Dr.Millot, 23 juin 2021.

[9]      L’ensemble des entretiens avec les nouveaux·elles arrivants, obligatoires, ont été réalisés. Il s’agit ici du blocage temporaire de la visite de certaines personnes déjà enfermées.

[10]     Voir par exemple pour le cas lyonnais : La Cimade, 4 mars 2022, « Un incendie au CRA de Lyon Saint-Exupéry » Url :  https://www.lacimade.org/un-incendie-au-cra-de-lyon-saint-exupery/ ; « Il faut fermer les CRA ! 39 cas à la covid 19 » Url : https://www.lacimade.org/il-faut-fermer-les-centres-de-retention-administrative-39-cas-a/

[11]     Un dispositif de surveillance et de contrôle policier « sans date de fin » est déployé avec 2 unités de 80 CRS se succédant places Gabriel Peri, Raspail et Quai du Rhône en août. Ce dispositif est complété d’une brigade mobile de CRS et de 70 « soldats de la paix » contre les « violences urbaines » sur l’agglomération.

Voir : L.C. LCI, 25/07/2022, « Policiers agressés à Lyon : Gérald Darmanin ne regrette pas son tweet polémique ». https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/policiers-agresses-lyon-la-guillotiere-le-ministre-de-interieur-gerald-darmanin-ne-regrette-pas-son-tweet-polemique-2227529.html  ; O. Mollaret, Rue 89, 10/10/2022 « Ligne 37 : « un pas de côté » pour les jeunes migrants de la Guillotière », Url https://www.rue89lyon.fr/2022/10/10/ligne-37-jeunes-migrants-guillotiere-2/

[12] C. Coq-Chodorge, 8/10/2022 « Crack à Paris : une justice d’abattage pour les toxicomanes étrangers menacés d’expulsion. » Médiapart, Url :  https://www.mediapart.fr/journal/france/081022/crack-paris-une-justice-d-abattage-pour-les-toxicomanes-etrangers-menaces-d-expulsion

Auteur: Région Auvergne Rhône-Alpes

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