Océan Indien

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Ces nombreuses défaillances qui frappent l’Education Nationale à Mayotte

3 juin 2017

Les élèves souffrent et les enseignants souffrent. A Mayotte, les discours de l’administration, et la nature de la pédagogie dispensée dans les classes est en profond décalage avec la réalité des élèves, avec le contexte local si particulier. Voici une analyse subjective et militante de la situation.

A Mayotte, département français depuis 2011, le programme de l’éducation nationale est censé s’appliquer de la même façon qu’il s’applique en métropole et sur l’ensemble des DOM TOM. Pourtant, en raison de particularités locales évidentes (terre musulmane, langue maternelle qui n’est pas le français, manque de moyens humains et matériels …)négligées ou ignorées par l’administration, un certain nombre de dysfonctionnements interroge et rend la mission de l’enseignant souvent singulière, si ce n’est ardue.

Des élèves déscolarisés ou laissés sur le carreau

Avant même d’envisager ces différents points, soulignons un problème crucial et qui prend de plus en plus d’ampleur : la non-scolarisation croissante d’enfants mineurs âgés de 6 à 16 ans.
Le Vice rectorat, faute d’être en capacité de scolariser des élèves qu’on estime entre 5 000 à 6 000, essaie de se tourner depuis quelques mois vers les associations locales (le village d’Eva par exemple) pour encadrer les EANIE (Elèves Allophones Nouvellement Inscrits dans les Etablissements). Réponse cynique d’une l’administration qui trouve dans ce procédé une parade pour se décharger de ses obligations. Doit-on rappeler que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans en France ?

La situation est tout aussi préoccupante pour de nombreux néo-bacheliers dans l’attente d’un titre de séjour (procédure de demande de titre de séjour extrêmement longue à Mayotte, la Préfecture usant de dérogations pour répondre et traiter les dossiers dans un laps de temps bien supérieur aux quatre mois réglementaires en métropole) et qui, faute de ne l’obtenir, se retrouvent , à leur majorité , du jour au lendemain sur le carreau, dans la clandestinité alors que, bien souvent, ils ont effectué la quasi-totalité de leur scolarité sur le territoire.

Des collectifs de Mahorais hors-la-loi

Quand ce n’est pas le système éducatif officiel qui entrave le parcours des élèves, la société civile est là pour prendre le relais. Ainsi, à la rentrée 2016, des «collectifs de parents Mahorais» ont empêché l’entrée des élèves dans certaines écoles primaire du sud de l’île, sous prétexte qu’ils étaient «étrangers» et qu’ils prenaient la place de Mahorais de « souche » pour lesquels il n’y a pas de place. Certains élèves, traumatisés par ces pressions, ont arrêté de se rendre à l’école pendant plusieurs semaines. Doit-on rappeler encore qu’il s’agit d’un procédé illégal dans un Etat de droit?

A la fin de l’année scolaire dernière, de nombreux enfants se sont retrouvés déscolarisés à la suite d’ expulsions massives et violentes (des bangas détruits, parfois brûlés) de la part de collectifs de Mahorais à Bouéni, Tsimkoura, Poroani ou Choungui.

photos mayotte 100

Collège de Sada

Dans un premier temps réinstallées dans des bangas insalubres à côté du terrain de foot de Chirongui, certaines familles se sont retrouvées sur la place du marché de Mamoudzou pendant plusieurs semaines, démunies et dans des conditions de vie indignes, avant d’être relogées au gîte de Bengali, loin des projecteurs médiatiques.
Certains enfants, une fois de plus, n’ont pu poursuivre leur scolarité durant de nombreuses semaines.
France, terre d’asile, s’agit-il d’un nouvel oxymore?

Des enjeux linguistiques et culturels négligés

Sur ce territoire, les langues maternelles sont majoritairement le shimaoré et le shibushi, et cohabitent avec le français qui est la langue administrative. Longtemps la politique de l’éducation nationale a été d’imposer de façon stricte l’apprentissage du français. Le Vice Rectorat de Mayotte aurait compris l’importance d’une médiation de certains apprentissages en shimahoré] et inciterait les enseignants à même de le pratiquer notamment en cycle 1 et en cycle 2 [communication des consignes, découverte de vocabulaires thématiques ect…] Des classes bilingues seraient actuellement en cours d’expérimentation en maternelle. Néanmoins, en classe, le rôle du shimahoré demeure extrêmement marginal et c’est là tout le problème.

Certes, il est difficile d’enseigner une langue qui fait encore débat parmi ses locuteurs puisque sa syntaxe et une partie de son lexique ne sont pas scientifiquement fixés par les linguistes. Du reste, il faut relever que bien que pratiquée quotidiennement par la population, le shimahoré serait mal maîtrisé et tomberait en dégénérescence , en raison d’un phénomène de créolisation où le shimahoré tendrait à se mélanger au français, au shidzuani, et au shingazidja. Il en résulterait un appauvrissement du vocabulaire et de la syntaxe traditionnelle du shimahoré. Alors qu’en vertu de leur prétendu bilinguisme et des facultés cognitives que développent les enfants par le passage régulier d’une langue à une autre, les élèves de Mayotte devraient être en réussite grâce à un enseignement en français et à leur pratique domestique du shimahoré, ils en sont pas en moins en échec car ils maîtrisent mal à la fois le français et le shimahoré – c’est ce que les pédagogues appellent le bilinguisme soustractif. Ceci tient à la quasi absence de prise en compte de leur bilinguisme à l’école mais également parce qu’il est malaisé de construire l’apprentissage d’une langue seconde/étrangère qui implique de se référencer à la langue maternelle quand cette dernière ne constitue pas un édifice riche, cohérent et faisant l’unanimité de ses locuteurs.

©Vali

Malgré cela, nous pouvons nous étonner qu’aucune politique majeure ne soit mise en place de manière à valoriser le shimahoré dans l’ensemble des classes. Les propositions du Vice Rectorat sont beaucoup trop éloignées des enjeux. Car force est de constater que tiraillés linguistiquement, les enseignements sont unanimes pour affirmer que les élèves peinent réellement à se construire et à suivre leurs apprentissages de façon sereine. Il en résulte un contexte un peu schizophrène où la construction de l’identité de l’élève est mise à mal, entre honte (parce que bannie)de sa langue maternelle et maîtrise insuffisante du français.

Comme de nombreux chercheurs et linguistes le préconisent, pourquoi ne pas ne pas mettre à disposition un enseignement qui pourrait juxtaposer les deux langues pour l’ensemble des élèves ? Cela pourrait se manifester. ne serait ce que par le recours de carnets bilingues de lexique pour chacun des enseignements. Il semble surréaliste que des formations ne soient pas dispensées au nouveaux arrivants et à l’ensemble du personnel afin qu’ils maîtrisent quelques rudiments de la langue et de la culture locale. Evidemment, libre à chacun de se former par lui-même (auprès de l’association SHIME par exemple); mais dans un esprit d’apaisement et d’ouverture, des efforts pourraient être faits de la part du ministère. Quel professeur mzungu ne s’est pas senti stupide et démuni face à des élèves qui l’insultent ou qui se moquent de lui en shimaoré?

Où sont les professeurs de FLE et FLS?

S’il est dorénavant acté que Mayotte est française (ce qui pourrait évidemment se discuter, mais là n’est pas le propos) pourquoi alors ne pas l’assumer pleinement et se donner les moyens d’une réussite véritable à défaut d’une inégalité réelle?

Une évidence s’impose sur ce territoire: il y a un manque – si ce n’est une absence- criant de professeurs de FLE (français langue étrangère) et FLS (français langue seconde). Pourtant, ils seraient les enseignants les plus légitimes. Les professeurs de toutes les disciplines pâtissent de cette maîtrise insuffisante du français des élèves. Tout passe par la langue (hormis peut-être en arts plastiques et en éducation musicale, disciplines préservées car fonctionnant avec des codes visuels, gestuels et auditifs). Les élèves ont les mêmes capacités que partout ailleurs- ce que ne reflètent pas leurs résultats (moins de cinq pour cent des élèves Mahorais parviennent à un Master en métropole)- mais sont plongés dans un parcours semé d’embûches et d’embuscades.

Quand la parole du système est performative

Pour qu’un élève réussisse, il suffit de lui dire qu’il réussit.Si les notes ne sont pas bonnes au baccalauréat, une commission est alors créée, lors de laquelle on donne pour directives aux correcteurs d’augmenter de façon substantielle les notes.Et les chiffres de réussite remontent miraculeusement.Même si Mayotte détient les plus mauvais résultats de tous les départements français (DOM TOM inclus) au brevet et au baccalauréat. Il convient alors pour l’éducation nationale de masquer l’échec de sa politique.

Le système sait parfois aussi parfaitement se dédouaner de ses échecs, et culpabiliser l’élève s’il a échoué.De façon sans doute trop radicale, je pense que « l’échec « de l’élève est certes causé par le milieu de l’élève -et non l’élève individuellement – mais également (et surtout) par le système éducatif qui n’aura pas su l’intégrer. Certes, je ne crois pas que l’école soit l ‘unique cause de tous les échecs qui frappent les élèves en son sein. L’école se réalise dans un milieu donné [au sens d’une extériorité à l’école, soit au sens du milieu social, économique, linguistique, culturel et administratif de l’élève], et même si de son point de vue elle a vocation à impacter à termes positivement son milieu, elle ne peut prétendre réduire à néant à l’issue d’un cursus toutes les entraves extérieures qui nouent un élève.

Néanmoins, si l’école ne peut pas supprimer les inégalités, elle peut malgré tout les diminuer pour favoriser la réussite de l’élève. Or, force est de constater que l’école ne fait pas tout son possible pour agir sur cette voie. L’école, celle de l’éducation nationale – bien qu’elle affiche vouloir individualiser les parcours quand elle raisonne en compétences – s’avère être une école de masse qui broie les élèves inadaptés à ses exigences proportionnellement au volume de la masse dans laquelle ils ont été noyés.

Les élèves de Mayotte qui, du fait de leur milieu ont sans doute plus qu’ailleurs besoin d’un parcours réellement individualisé, sont noyés dans une masse plus volumineuse qu’ailleurs.

En témoignent les scènes surréalistes de conseils de classe où on reproche parfois à un élève de ne pas avoir su profiter de tel dispositif d’aide au travail. Quand un élève de quatrième est largué depuis le début de sa scolarité, qu’il ne sait ni lire ni écrire, ce ne sont malheureusement pas quelques semaines de cours et d’emploi du temps adapté qui résoudront le problème.Quitte à adopter la langue administrative, il faut «traiter» le problème en amont.

A la fin du dispositif, l’élève réintègre sa classe, mais avec un retard encore plus prononcé, en raison de son emploi du temps allégé durant la période du dispositif, et décroche alors pour de bon.

La double peine sera assénée par l’équipe pédagogique pour qui l’élève n’aura pas su profiter de la grande mansuétude du dispositif.

C’est à se demander si l’utilité de ce type de dispositifs prétendument de remédiation ne réside pas dans la neutralisation des élèves présentant des problèmes de comportements. Un ami m’a d’ailleurs rapporté cette analyse à propos desdits dispositifs.

©Vali

« Les élèves sont neutralisés une première fois à titre temporaire par l’extraction. Extraits des classes sur plusieurs heures ou plusieurs jours dans des petits groupes, les enseignants et le reste de l’effectif classe sont soulagés de leur présence. Les élèves à problème, regroupés autour d’un ou de plusieurs enseignants – parfois spécialisé – s’adonnent alors des activités ludiques et de découverte adapté à leurs niveaux où une attention particulière est donnée à leurs difficultés d’apprentissage. Ils sont choyés et (re)découvrent enfin une école de la bienveillance et de la confiance en soi. Néanmoins, vu les moyens alloués par l’éducation nationale, ces dispositifs ne peuvent être pérennes; et vu l’âge de ces élèves et leur retard scolaire – notamment pour ce qui est de l’apprentissage de la lecture -, ils ne pourront de toute évidence rattraper leurs lacunes. Ils intègrent alors la classe et subissent la violence de l’ennui et du sentiment d’échec, mais cette fois ci conjuguée à la mémoire d’une école qui a été pour eux beaucoup plus agréable. Leurs frustrations associées à des éléments de critique contre la misère de la classe ordinaire – ils connaissent l’alternative – renforcent leur rancoeur et finissent par créer une rupture. Ils subissent les punitions, les exclusions et finissent par sombrer dans l’absentéisme jusqu’à la fin de leur année de troisième qui marquera la fin de leur cursus scolaire. Les élèves sont neutralisés une seconde fois, et cette fois ci à titre définitif. Ils ne viendront plus “embêter” les enseignants et le reste de leurs camarades. L’extraction scolaire a extrait l’élève du système scolaire, le dispositif de remédiation a remédié au problème de comportement : il n’y a plus de problèmes de comportement, les élèves ne sont plus là.

Il faut comprendre l’administration et ces éléments de langages, à la manière des “ces élèves ne sont pas des élèves”, ils n’ont pas su profiter des opportunités qui leur ont été offerts, “Ils ne veulent pas travailler” “Nous avons fait ce que nous pouvons”. Ces éléments de langage servent ses intérêts. Car ces dispositifs servent moins les élèves que l’administration elle même. L’essentiel est bien là. Grâce à ces dispositifs, l’honneur de l’administration est sauf, les classes sont moins perturbées et les enseignants soulagés, les documents de travail du chef d’établissement à destination de la hiérarchie sont bien remplis – ils pourront être mobilisés pour justifier de son engagement professionnel afin d’envisager une promotion- et le bulletin de salaire de chacun a grossi grâce aux heures supplémentaires chichement payés induites par le dispositif. Tout le monde y gagne au compte, sauf peut être les élèves. »

Mayotte, terre de tous les possibles.

Il y a à Mayotte une pénurie de professeurs. Environ 40 pour cent sont contractuels, et ce chiffre passerait à plus de cinquante pour cent à la prochaine rentrée scolaire . L’idée n’est pas de dénigrer les contractuels mais de pointer ici leur manque de formation.Faute qui incombe à l’État et non à eux-mêmes. A Mayotte, le Vice-Rectorat n’est pas très regardant, et se satisfait dès lors que les élèves peuvent avoir un adulte devant eux à leur dispenser un cours. Des diplômés d’Anglais à qui l’on propose un poste de professeur d’espagnol, des professeurs d’EPS inspectés par un enseignant de technologie ; tel apparaît le recrutement du Rectorat à l’heure de la flexibilité décomplexée.
Un recrutement basé sur une compétence ou une technique et non sur un savoir didactique.Où est passée la pédagogie?

Il n’est pas rare que certains contractuels subissent des pressions terribles de la part de leur hiérarchie: obligations implicites de participer à des projets, d’accepter des heures supplémentaires, d’endurer des conditions de travail indignes (pas de salle affectée, pas ou peu de matériel, salles vétustes et non nettoyées), faute de quoi leur contrat de travail ne sera pas reconduit. Un chantage classique face à des contractuels, dont certains intériorisent malheureusement trop facilement leur condition de soumission face à la hiérarchie.

Les manques de moyens humains et matériels

Ils ont, dans le domaine de la santé et du médical, de quoi laisser songeur. Manque d’infirmiers, de médecins, de psychologues scolaires, de conseillers d’orientation, sur une île où certains enfants vivent et dorment dehors, n’ont parfois qu’un repas par jour, et peuvent développer plus qu’ailleurs des pathologies lourdes en raison d’un contexte politique violent et traumatisant (chaque semaine de nouveaux élèves intègrent les établissements en provenance des Comores, élèves qui ont traversé le lagon de façon illégale en y laissant parfois leur famille sur les autres îles, et qui peuvent avoir assisté à des scènes d’horreur d’expulsions de proches ou de chavirement de kwassas).
A côté des professeurs de FLE, construisons des IME (institut médico éducatif). Combien de centres spécialisés à Mayotte ?

Le manque de moyens matériels est très préoccupant sur le territoire :deux gymnases seulement sur l’île, aucune véritable salle d’arts plastiques ou de musique, des professeurs de sport qui passent la majeure partie de l’année à faire des cours aux élèves sur l’ASSR (attestation scolaire de sécurité routière) dans des salles en raison d’infrastructures inadaptées en saison des pluies.

Des pansements sur des jambes de bois

Des solutions dérisoires sont proposées à certains élèves qui ont de lourds problèmes cognitifs.
Ceux-ci restent dans des classes traditionnelles, faute de places ailleurs, et de trimestre en trimestre, alors qu’ils ne comprennent absolument rien à ce qu’il se passe en cours, on les fait passer à la classe supérieure…tant qu’ils ne font pas de vagues. On s’émeut alors quand un élève, dénigré des journées entières par un système qui le contraint et l’empêche de s’épanouir, explose et extériorise lors d’un acte de violence ou d’agression toute cette humiliation emmagasinée

Une école en apnée

Il se passerait le dixième de ce qu’il se passe ici en métropole, une grève générale des professeurs surgirait peut-être.
Certes, Mayotte se retrouve face à un défi immense, mais encore faudrait-il que l’État français ait une considération autre que politique et stratégique pour ce territoire.

Triste tableau s’il en est. La situation est évidemment complexe, et on ne peut isoler ce qu’il se passe à l’école du reste de la société à Mayotte. Société en crise, qui se perd dans de faux débats identitaires. Avant de trouver des solutions (recrutement de professeurs de FLE, plus de moyens humains et matériels, meilleure formation des professeurs, prise en compte de la culture locale, création de classes spécialisées…) il faut pointer les défaillances et réfléchir la façon dont on pourrait vivre tous ensemble sur l’île, tout comme sur l’ensemble sur l’archipel.

Auteur: Région Outre-Mer

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