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Code des étrangers : un durcissement supplémentaire, sous couvert de l’Europe

31 mars 2010

Dans une tribune publiée aujourd’hui dans Le Monde, Christophe Deltombe président d’Emmaüs, François Soulage président du Secours Catholique et Patrick Peugeot président de La Cimade dénoncent le durcissement du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Depuis le Conseil de l’Europe, Alvaro Gil-Robles et Thomas Hammarberg, l’un après l’autre commissaire aux droits de l’homme, ont fustigé la tendance à la criminalisation des législations sur l’entrée et le séjour irréguliers des migrants en Europe. Cette criminalisation, le plus souvent présentée comme une méthode de maîtrise des flux migratoires, porte atteinte, selon eux, aux principes du droit international. « Elle est aussi à l’origine de nombreuses tragédies humaines sans pour autant atteindre sa finalité, qui est de maîtriser réellement l’immigration. » (Alvaro Gil-Robles rapport du 29 septembre 2008).

Depuis l’ONU, Louise Harbour, haut commissaire aux droits de l’homme, s’était également interrogée : « Plusieurs choses nous inquiètent dans les approches de plus en plus restrictives et souvent punitives que les pays développés mettent en place envers l’immigration. La récente directive « Retour » de l’UE en est un exemple (…), il y a fortement lieu de craindre que les États européens aient recours à la détention de façon excessive et en fassent la règle au lieu de l’exception. »

Lors de l’adoption en 2008 de la directive européenne « Retour », rebaptisée « directive de la honte », les principes de solidarité, d’humanité et même d’accueil qui ont pourtant façonné nos cultures européennes ont été de peu de poids ! Cette directive, qui permet de mettre en rétention administrative jusqu’à dix-huit mois les personnes en situation irrégulière, prévoit d’interdire l’accès au territoire européen pendant cinq ans au seul motif d’une situation administrative irrégulière antérieure ! A l’époque, la ministre de l’immigration d’alors confiait qu’elle ne modifierait pas la réglementation chez nous.

C’est pourtant ce à quoi nous risquons d’assister si le Parlement français adopte dans les semaines qui viennent un projet de loi qui, sous couvert de transposition de cette directive et de simplifications, durcirait notablement notre code des étrangers.

Au regard de notre expérience associative auprès des étrangers en situation précaire, nous voulons exposer nos craintes sur une version provisoire de ce projet de loi. Trois raisons essentielles : ce projet crée une véritable peine de bannissement laissée à la discrétion de l’administration, il consacre un recul du contrôle du juge sur les actes de l’administration et il maintient le délit de solidarité malgré les apparences.

Le projet de loi préconise de prononcer une interdiction de revenir sur le territoire pour une durée de deux ou trois ans, voire cinq ans, avec l’idée que cette « peine » dissuadera d’un séjour sans permis. Comme si cette interdiction pouvait être plus forte que le besoin vital de retrouver famille et enfants ou d’empêcher des déboutés de l’asile, expulsés, de revenir après l’expérience de persécutions persistantes dans leur pays d’origine. En instituant cette interdiction de revenir, on crée une nouvelle « double peine ».

Et cette « peine » de bannissement pourra être prononcée par les préfectures de manière discrétionnaire contre tout étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. On imagine le drame qu’une telle « sanction » provoquera pour des couples dont un conjoint est frappé d’une telle interdiction du territoire européen. Pourquoi instituer en France cette mesure dont on sait déjà qu’elle n’aura d’autre effet que de créer et de perpétuer des situations de précarité, aussi kafkaïennes que dramatiques pour les personnes et leur entourage ?

Récemment, des Kurdes arrivés par la Corse et placés en centre de rétention ont été libérés par les juges des libertés en raison des vices de procédure commis lors de leur arrestation. Plutôt que de donner des consignes strictes pour que les procédures soient désormais respectées, le projet de loi préfère modifier les règles. C’est ainsi que les zones délimitées à proximité des frontières et lieux de débarquement, appelées « zones d’attente », dans lesquelles les droits sont restreints, seraient étendues du lieu de la découverte de l’étranger jusqu’au poste frontière le plus proche. Ces zones de « non-France », où les droits sont très limités, pourraient ainsi s’étendre sur décision administrative à n’importe quel endroit du territoire !

Quant au juge des libertés, qui est aujourd’hui saisi au terme d’un délai de 48 heures après la mise en rétention, il ne sera désormais saisi qu’au terme d’un délai de cinq jours. Il paye ainsi le prix d’un contrôle jugé trop pointilleux des actes des fonctionnaires de police. Tout le projet de loi vise à marginaliser le juge : on prolonge le temps de l’arbitraire, on limite son pouvoir de contrôle, on efface les irrégularités qu’il pourrait sanctionner, on allonge le délai d’appel contre son éventuelle décision de remise en liberté. Cela, alors même que la détention possible en centre de rétention sera allongée de trente-deux jours à quarante-cinq jours.

À travers ce projet de loi, le juge est de fait désigné coupable d’entraver l’action répressive de l’administration. Il sera désormais contraint de devenir le juge de la détention, mais plus celui de la liberté. Les rôles sont inversés : ce ne sont plus les actes de l’administration qui sont placés sous contrôle, ce sont ceux des magistrats !

Le juge est, dans nos institutions, le gardien des libertés et de la légalité. Réduire son rôle, c’est prendre un risque accru d’arbitraire, le pire ennemi de la démocratie. Cela ne peut que créer plus d’injustices et plus d’insécurité.

L’opinion publique est très majoritairement hostile aux poursuites fondées sur le délit de solidarité, cette incrimination de personnes qui portent assistance de manière humanitaire aux étrangers en situation irrégulière en France. Le ministre s’était engagé à modifier la loi pour faire disparaître cette incrimination des personnes accomplissant des actes de solidarité.

Or ce qui est préconisé dans le projet de loi laisse subsister le délit. En effet jusqu’à ce jour figurait au nombre des exceptions à l’incrimination le fait d’aider l’étranger en danger pour sa vie ou son intégrité physique. Le projet de loi étend cette exception à la « sauvegarde » de l’étranger en supprimant la référence au simple danger pour sa vie ou son intégrité physique, ce qui en apparence donnerait satisfaction aux pourfendeurs du délit de solidarité. En réalité cette apparente ouverture se limite toujours à la situation de « danger actuel ou imminent », ce qui écarte l’action d’aide simplement humanitaire.

En conséquence, demain, nourrir un étranger sans papiers dans la durée, l’héberger, lui donner des produits de toilette, constituera toujours un délit, et c’est intolérable dans une société qui a dans sa devise républicaine le mot « fraternité ». Nos associations demandent donc une nouvelle fois au ministre de modifier réellement la loi en inversant la logique, car la solidarité doit être encouragée au lieu d’être criminalisée.

Décidément, le droit des personnes va souffrir avec un tel projet, et avec lui l’État de droit : renforcer le caractère discrétionnaire de l’action de l’administration sur les dispositifs répressifs est un nouveau pas vers une société de l’arbitraire.

Pense-t-on vraiment qu’un tel projet permettra de restreindre ou de dissuader l’immigration clandestine ?

L’urgence n’est-elle pas plutôt d’humaniser une politique de contrôle et d’accueil, et de sortir de la simple logique du chiffre qui additionne drames humains et démonstrations choquantes de renvois arbitraires de personnes déracinées n’ayant souvent plus d’attaches dans le pays du renvoi ? L’urgence n’est-elle pas de trouver d’autres solutions plutôt que, sous prétexte de traquer les passeurs, de prolonger et de durcir la « galère » en France de ces milliers de personnes, tenaillées par la peur du contrôle, des menaces de renvoi ou d’assignation à résidence et de pointage quotidien à la police ?

Ne faut-il pas régulariser ces étrangers installés en France depuis des années, participant à l’économie par leur travail, payant même des impôts, certes avec des identités d’emprunt – c’est bien souvent leur seule faute – mais avec une volonté farouche de s’intégrer ?

Leur vie est en France, leur attachement à notre pays est fort, et plus digne que celui de ceux qui placent leur argent dans des paradis fiscaux plutôt que de payer l’impôt. De plus, augmenter la taxe de régularisation, c’est aussi dissuader les éventuels employeurs de bonne foi, notamment des particuliers en quête d’aide pour assister leurs parents âgés… Alors que nous voyons venir une crise démographique importante, nous avons chez nous une population qui montre son profond désir d’intégration.

Ne serait-il pas plus moral d’examiner largement les demandes de régularisation plutôt que de chercher à intensifier une immigration « choisie », c’est-à-dire à piller les cerveaux des pays pauvres en facilitant le recrutement de leurs ressortissants talentueux et en retirant les faibles contraintes qui étaient exigées pour encourager un développement solidaire ? Évidemment, c’est une tout autre ambition !

Auteur: Service communication

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