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Demande d’asile : la résistible ascension des procédures accélérées

13 octobre 2022

Autrefois marginales, les procédures accélérées ont totalisé près de la moitié des demandes examinées par l’OFPRA en 2021. Analyse de ce phénomène.

Des procédures « prioritaires » aux procédures accélérées

Avec la hausse régulière des demandes d’asile dans les années 1980, l’idée d’accélérer leur examen, qui pouvait durer plusieurs années, a été le maitre-mot des gouvernements successifs, avec l’idée de rejeter plus rapidement, celles qui apparaissent infondées. En l’absence de texte législatif, une circulaire réglementaire du Premier ministre du 17 mai 1985 a dressé une première liste de situations où le préfet pouvait refuser la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour, transmettre la demande à l’OFPRA en lui demandant de statuer « par priorité : il s’agissait de personnes condamnées à être expulsées ou représentant une menace à l’ordre public, des personnes entrées irrégulièrement et n’ayant pas demandé l’asile immédiatement ou demandé le réexamen de la demande (notion de recours abusif aux procédures d’asile)  et celles admissibles dans un pays tiers où il leur était loisible de demander asile (concept de pays tiers sûr).

En 1991, le Conseil d’Etat dans un arrêt d’assemblée a considéré qu’il pouvait être dégagé de la convention de Genève , un principe général de droit de l’admission au séjour des demandeurs d’asile pendant l’examen de leur demande, sauf si elle était manifestement dilatoire. La loi Pasqua de 1993 en fit l’inventaire reprenant les catégories prévues par la circulaire de 1985 en y ajoutant la possibilité de refuser d’examiner la demande si la personne relevait de la responsabilité de l’examen d’un autre Etat de l’espace Schengen puis signataire de la convention de Dublin. Le Conseil constitutionnel saisi par des députés, affirma dans une décision du 13 août 1993 que le principe de l’admission au séjour était de portée constitutionnelle mais admis les exceptions  qui n’obligeaient pas à garantir le droit de rester pendant l’examen d’un éventuel recours.

La procédure « prioritaire » fut décrite dans des circulaires : la personne se voyait refuser le séjour par le préfet  (souvent sans motivation écrite), il lui était demandé de remplir le formulaire OFPRA dans un délai non fixé (parfois séance tenante) qui était transmis par le préfet à l’OFPRA qui statuait très rapidement (en quelques jours et souvent sans entretien puisqu’il n’était pas obligatoire). Lorsqu’elle était laissé libre, la personne n’avait pas d’autorisation de séjour, ni d’accès au dispositif d’hébergement  ou au versement de l’allocation d’insertion (versée pendant un an, aux demandeurs admis au séjour). Mais elle pouvait souvent être placée en rétention ou y être maintenue et  elle y demeurait pendant l’examen de la demande d’asile par l’OFPRA.

En 1996, le Conseil d’Etat a jugé dans un arrêt d’Assemblée MI contre Rogers que le concept de pays tiers sûr n’était pas compatible avec la convention de Genève et la Constitution. La loi Reseda supprima ce cas pour le remplacer par l’application de cette procédure pour les demandeurs originaires de pays ayant fait l’objet d’une clause de cessation générale par l’OFPRA ( Argentine, Bénin, Cap Vert, Chili, Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie), qui était un ersatz du concept de pays d’origine sûr, déjà employé dans des pays européens. Les autres cas (menace à l’ordre public, recours abusif aux procédures d’asile) restant inchangés.

D’abord d’usage très limitée (à peine 5% des premières demandes, et plus fréquemment lorsqu’il s’agissait de demandes de réexamen), la procédure prioritaire a commencé à être utilisée plus fréquemment à compter de juin 2005, lorsque le conseil d’administration de l’OFPRA a fixé la liste des Etats considérés comme pays d’origine  sûrs, concept que la loi  du 10 décembre 2003 avait introduit dans l’attente d’une liste européenne prévue par la future directive européenne (mais qui n’  jamais vu le jour).  La liste des pays considérés comme sûrs a été modifié en ajoutant des Etats (ou en les retirant après annulation)  en  2006. 2009 , 2011, (deux fois) en 2013  et 2015. Les retraits de pays furent effectués après annulation des décisions par le Conseil d’Etat, sauf en 2012 pour le Mali et 2014 pour l’Ukraine. En plus de la liste des pays d’origine sûrs, le ministère de l’intérieur a peu à peu étendu par circulaire, la notion de « recours abusif aux procédures d’asile » notamment lorsque les personnes arrivaient au terme d’une procédure Dublin ou ayant des empreintes inexploitables. Dès lors, le nombre et la part des ‘procédures prioritaires » a constamment augmenté pour atteindre 23% des premières demandes en 2015.

Parce que les personnes ne disposait pas d’un titre de séjour, n’avait pas les conditions matérielles d’accueil pendant l’examen de la demande et ne disposait pas du droit de rester pendant l’examen des recours, s’est développé une série de contentieux, notamment en référé,  pour contester la légalité des décisions des préfets devant le Conseil d’Etat mais aussi devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Si le Conseil d’Etat confirma le dispositif de la procédure prioritaire dans une décision de décembre 2013, c’est après avoir affirmé que la personne devait être munie d’un document prouvant son droit au maintien, que la demande devait être transmise à l’OFPRA sous pli confidentiel, et qu’elle pouvait bénéficier de l’allocation pendant l’examen de la demande par l’OFPRA. La Cour européenne par un arrêt du 2 janvier 2012 a condamné la France pour sa procédure de demande d’asile formulée en rétention et le Conseil d’Etat considéra, en juillet 2014,  que l’instruction prise après cet arrêt n’était pas conforme au droit de l’Union européenne;

En 2013 la nouvelle directive européenne sur les procédures a instauré un recours effectif pour toutes les procédures, c’est dans ce contexte qu’après une concertation de plus de six mois, la procédure prioritaire a été remplacée par la procédure accélérée par la loi du 29 juillet 2015 

Les 12 cas de procédure accélérée

Le CESEDA précise les situations où une procédure accélérée peut être mise en oeuvre par l’OFPRA pour l’examen des demandes d’asile :

Les personnes qui font l’objet d’une telle procédure sont munies d’attestations de demandes d’asile pendant l’examen de leur demande d’asile à l’OFPRA d’une durée de six mois, sauf si elles représentent une menace grave à l’ordre public, réitèrent une demande de réexamen ou sont en rétention.  Si la demande est rejetée, ils bénéficient du droit au maintien jusque’à la lecture de la décision de la CNDA, sauf pour les exceptions prévues par l’article L. 542-2 du CESEDA (en particulier, depuis 2019, les ressortissants des  pays considérés comme sûrs et les demandes de réexamen) ou en rétention. Dans ces derniers cas, le préfet peut leur notifier ou exécuter une décision d’obligation de quitter le territoire après la décision de l’OFPRA et les intéressés peuvent en  demander la suspension pendant l’examen de leur recours (article L. 542-6 du CESEDA ) ou l’annulation de la décision de maintien en rétention (article L. 754-4 du CESEDA).

La procédure d’examen de demande d’asile est enserrée réglementairement dans des délais réduits à l’OFPRA (96 heures en rétention, huit jours pour l’examen préliminaire de recevabilité des réexamens, quinze jours dans tous les cas) et à la Cour nationale du droit d’asile (5 semaines par un juge unique en application de l’article L. 532-6 du code). 

Le législateur a considéré qu’il n’était pas nécessaire de prévoir un recours contentieux distinct pour contester cette procédure accélérée décidée par l’OFPRA ou par le préfet  de celui contre la décision de l’OFPRA relative à l’éligibilité à une protection internationale, le juge unique de la CNDA  pouvant renvoyer en formation collégiale l’examen du recours s’il estime que les conditions légales de l’examen accéléré ne sont pas réunies.

Normalement, Les personnes bénéficient également  des conditions matérielles d’accueil (hébergement  dans un CADA ou un HUDA et allocation pour demandeur d’asile prévus par le chapitre II et III du titre V du livre V du CESEDA) sous réserve de l’application des dispositions des articles L. 551-15 et L.551-16 du CESEDA qui permettent à l’OFII de leur refuser ou de leur retirer le bénéfice de ces conditions. Elles prévoient notamment la possibilité pour l’OFII de refuser totalement ou partiellement le bénéfice des conditions matérielles d’accueil  si la personne présente une demande de réexamen ou si sa demande est formulée au-delà du délai prévu par l’article L. 531-27 3° du CESEDA.

Un retour en arrière? comment les procédures accélérées sont utilisées abusivement

La procédure accélérée était apparue en 2015 comme un progrès par rapport à la procédure prioritaire, si elle était utilisée de façon stricte. Il n’en a rien été.

Les rapports d’activité de l’OFPRA montrent que la part des procédures accélérées a cru spectaculairement. Entre 2016 et 2020, l’OFPRA a procédé à l’introduction de 399 262 premières demandes adultes. Selon les rapports d’activité de l’OFPRA; 126 874 premières demandes ont été introduites pour être examinées selon la procédure accélérée. L’OFPRA a décidé de mettre en oeuvre cette procédure pour 3 465 demandes enregistrées selon la procédure normale. et 42 155 réexamens adultes ont été examinés selon cette procédure accélérée, soit un total de 172 494 (38,3% du total des demandes).

En 2021, ce nombre et cette part a encore augmenté puisque 46 972 demandes ont été examinées selon cette procédure, soit 46% du total (demandes de réexamens comprises) et 37% des premières demandes.

Selon des statistiques fournies par l’OFPRA à la Cimade,  les demandes de réexamen avec 13 509 demandes examinées (soit 98% du total de ces demandes) sont le premier motif devant les pays considérés comme sûrs (12 558), puis les demandes considérés comme une fraude à l’identité ou l’itinéraire (6 464), les demandes déposées plus de 90 jours après l’arrivée ( 4 807) ou les demandes à partir de centre de rétention (610). Cependant, plus de 8 000 procédures ont été mises en oeuvre avec un autre motif non énuméré par la loi ou sans indication, ce qui montre que les préfets ne prennent pas la peine de motiver leur décision et inventent des nouvelles possibilités.

 

La répartition de ces procédures par guichet unique pour 2020 et 2021 permet d’avoir une idée précise des pratiques préfectorales en la matière. Si la préfecture de police est celle qui a mis en oeuvre le plus grand nombre de procédures, leur part n’est que de 30% alors que le préfet de Mayotte a utilisé cette procédure à 87%, celui de la Moselle à 59% , celui de l’Isère à 48% , du Bas Rhin à 48%, du Rhône à 43,5%.

 

A l’OFPRA, le délai moyen d’instruction de ces demandes examinées selon la procédure accélérée,  a été en 2021 de 189 jours calendaires, soit 174 jours de plus que le délai réglementaire. Estimant qu’elle offre les mêmes garanties d’examen (entretien personnel, examen individuel de la demande, décision motivée etc., à l’exception de la possibilité de demander la communication du compte-rendu de l’entretien avant la décision), l’OFPRA statue  dans des délais similaires à la procédure normale et n’envisage de les reclasser en procédure normale comme le lui permet la loi, que dans des situations limitées. Le nombre total de reclassements en procédure normale  a été de 344 entre 2016 et 2019, soit 0,24% des procédures accélérées. Malgré une note interne préconisant un usage plus fréquent de ce reclassement, il n’ a été que de 566 en 2021, en  grande partie en raison de l’annulation par le Conseil d’Etat le  2 juillet 2021 de la décision du conseil d’administration de l’OFPRA du 5 novembre 2019 maintenant la liste des pays sûrs, pour ce qui concerne les demandes d’asile béninoises, ghanéennes et sénégalaises.

Cette situation ne ferait pas grief si les conditions matérielles d’accueil étaient fournies. Or, la majorité des personnes dont la demande d’asile est examinée selon la procédure accélérée en est privée, quasi systématiquement pour les demandes de réexamens et « tardives » ou pour les personnes considérées comme ayant donné des indications frauduleuses sur leur identité ou leur itinéraire (souvent utilisé pour les anciens Dublinés dont la demande est requalifée après l’expiration du délai de transfert, le cas échéant prolongé d’un an supplémentaire pour fuite et à qui les conditions matérielles d’accueil sont déjà interrompues). A l’exception des pays considérés comme sûrs, qui bénéficient des conditions matérielles d’accueil au moins pendant l’examen OFPRA, la plupart des personnes en sont privées,  soit près d’un tiers des demandes examinées à l’OFPRA en 2021.

Pas de recours effectif

Pour la contester,  les personnes ne disposent pas d’un recours effectif immédiat. Les dispositions du CESEDA interdisent en effet le demandeur de saisir les juridictions administratives de droit commun ou la CNDA,  d’un recours contre le placement d’office, contre la demande du préfet au titre de l’article L. 531-27 du CESEDA ou contre le refus de reclassement de l’OFPRA, qui serait distinct du recours contre une décision de rejet. Le juge des référés du Conseil d’Etat a considéré qu’il en était de même pour des requêtes en référé liberté (Cf. JRCE, 25 août 2020, n°442705). La seule voie pour le requérant pendant l’examen par l’OFPRA est de saisir le tribunal administratif de Melun  pour lui demander d’enjoindre à l’OFPRA de statuer sur sa demande ou de reclasser la demande(cf. CE, 18 juillet 2011, N° 343901, concl. RP, Julien Boucher).

A la Cour nationale du droit d’asile, l’examen se fait a priori par un juge unique. Selon le bilan de la Cour, en 2021, 16 643  recours contre des décisions de l’OFPRA devaient être examinés en cinq semaines soit 36% du total.  Dans la pratique, un peu plus de 68 400 décisions dont 29 112 après une audience collégiale (59%), 6 098 par un juge unique  (10%) et près de 21 000 ordonnances,  soit 31%  des décisions (comme l’an dernier). 

Cette part  quasi constante des ordonnances, qui sont prises par un président après examen du recours par une équipe de 20 rapporteurs (32 en comptant le soutien d’autres) est un sujet de conflit entre la Cour et les avocats qui assistent les demandeurs d’asile . Le rapport d’activité de la CNDA ne détaille pas les nationalités concernées mais des chiffres  publiés sur le site du HCR, montrent qu’elles concernent en priorité les Haïtiens et les Comoriens, qui formulent leur recours en Guyane  (à 90%) et à Mayotte (à 98%), les pays considérés comme sûrs européens (entre 70 et 100%), l’Algérie (80%) ou la Chine (63%).


Ces demandes devraient pourtant  être examinées lors d’audiences à juge unique puisqu’elles sont à l’exception des Haïtiens, examinées par l’OFPRA selon la procédure accélérée (les Comoriens étant la nationalité ayant le plus fort taux de procédure accélérée car le préfet de Mayotte demande systématiquement à l’OFPRA d’user de cette procédure sans que l’on en connaisse le motif légal).

Pourtant, la part des audiences à juge unique  qui a été de 35% des audiences en 2017 est tombée à 14% en 2021, soit 20 points de moins que la part des recours de « procédure accélérée ».  Sont-ce les contraintes sanitaires et de disponibilité de salles, qui amènent la Cour la traiter la majeure partie des recours « accélérés »selon la procédure d’ordonnances?  Des personnes ont déjà été éloignées avant l’examen du recours puisque les personnes originaires d’un pays sûr ou formulant une demande de réexamen, ne disposent plus depuis 2019,  du droit au maintien  et des conditions matérielles d’accueil, pendant l’examen du recours  et que la possibilité d’obtenir auprès du tribunal administratif, la suspension de la mesure d’éloignement dans l’attente de l’examen du recours est presque vaine.

Ainsi dans la pratique, l’apport de la loi de 2015 qui avait prévu que tous les demandeurs d’asile pourraient être présents à l’audience de la CNDA, pour pouvoir s’y exprimer, même quand leur demande a été examinée selon la procédure accélérée -désormais plus d’un tiers des premières demandes et près de la moitié si on compte les réexamens- a été  réduit à peau de chagrin et les renvois en formation collégiale décidés par la Cour n’ont pas d’influence sur le droit au séjour et aux conditions d’accueil des personnes.

Vers une généralisation ?

Cette dérive, liée à l’absence de contrôle par le juge administratif, des conditions d’examen d’une demande, pourrait continuer voire être généralisée. Le ministre de l’intérieur estimant que  la plupart des demandes sont « manifestement infondées », demande à l’OFPRA d’en accélérer l’instruction. Il  annoncé une réforme qui  généralise l’audience du juge unique  à la CNDA , sauf difficulté sérieuse où une formation collégiale serait réunie. Par la même occasion, le seul recours contre les procédures accélérées à savoir le renvoi en collégiale serait supprimé.

 

 

 

 

 

Auteur: Responsable national Asile

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