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Dans certains départements, il n’est plus possible d’accomplir une quelconque demande de titre de séjour sans utiliser Internet, et la crise sanitaire est venue amplifier le phénomène malgré les nombreuses alertes et contre certains plusieurs juridiques.
Les procédures dématérialisées ont progressivement pris, depuis le début des années 2010, une place centrale dans les démarches d’accès au droit au séjour (et, plus largement, dans toutes les démarches d’accès aux droits). D’abord cantonnée à quelques initiatives préfectorales, comme celle de la préfecture de Créteil qui, en 2012, met fin à la réception sans rendez-vous des personnes demandant un titre de séjour au titre de l’admission exceptionnelle au séjour et les contraint à obtenir un rendez-vous via Internet, la dématérialisation des démarches concerne aujourd’hui la quasi-totalité des préfectures et sous-préfectures françaises. Dans certains départements, il n’est plus possible d’accomplir une quelconque demande de titre de séjour sans utiliser Internet, et la crise sanitaire est venue amplifier le phénomène malgré les nombreuses alertes et à l’encontre de plusieurs principes juridiques.
Au cours de la décennie 2010, c’est principalement l’obtention d’un rendez-vous par le biais des sites préfectoraux qui s’est progressivement développée, parfois proposée comme une modalité d’accès au guichet parmi d’autres, mais souvent imposée sans alternative possible. Problème : les plannings de rendez-vous sont fréquemment saturés, et malgré de multiples tentatives pendant des mois voire pendant une à deux années, impossible d’obtenir le rendez-vous nécessaire au dépôt d’une demande de titre de séjour. Mais en dépit des courriers, des mails, des déplacements personnels, les préfectures se bornent généralement à renvoyer vers leur site Internet les usagers et usagères désespéré·e·s de ne pouvoir accéder aux démarches. En mars 2016, La Cimade met en place le robot A guichets fermés, pour documenter chiffres à l’appui l’inaccessibilité des guichets préfectoraux virtuels. Les statistiques produites démontrent que dans certaines préfectures, les rendez-vous sont inaccessibles pour près de 100% des tests réalisés. En même temps, La Cimade publie un rapport du même nom, qui pointe les multiples difficultés d’accès à la procédure de titre de séjour, notamment du fait de la dématérialisation croissante. C’est une véritable mise à distance des personnes étrangères qui est opérée par l’administration. L’attente est rendue invisible : après les files d’attente massives qui témoignent de l’indignité des conditions d’accueil dans nombre de préfectures, c’est une attente individuelle et discrète qui s’impose.
En plus des associations comme La Cimade qui documentent les ruptures dans l’accès aux droits générées par la dématérialisation, des institutions relèvent rapidement ses effets néfastes : le Défenseur des droits pointe dès 2013 les risques liés à la fracture numérique et a publié, respectivement en janvier 2019 et en juillet 2020, le rapport Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics et la décision relative aux difficultés résultant de procédures dématérialisées rencontrées par les personnes étrangères pour déposer leur demande d’admission au séjour. En parallèle, la jurisprudence vient encadrer en partie les pratiques administratives : saisi par La Cimade, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicats des Avocats de France, le Conseil d’Etat confirme le 27 novembre 2019 que la dématérialisation des procédures ne peut être imposée, et que des modalités alternatives d’accès au service public doivent toujours être proposées. Le 18 février 2021, le tribunal administratif de Rouen est même allé plus loin en jugeant que, obligatoire ou non, la dématérialisation des démarches liées au droit au séjour était tout simplement illégale, puisque les textes excluent ces démarches du champ des procédures dématérialisables. Mais en pratique, nombre de préfectures continuent de rendre l’usage du numérique obligatoire pour l’accès au séjour, mais sans rendez-vous disponibles. En conséquence, le contentieux explose, les tribunaux administratifs enjoignant au cas par cas aux préfectures de donner un rendez-vous aux requérant·es. En juin 2020, le Conseil d’Etat est amené à se prononcer sur le sujet et considère que les personnes étrangères sont fondées à saisir le juge administratif « lorsque le rendez-vous ne peut être obtenu qu’en se connectant au site internet de la préfecture » et qu’il n’a pas été possible de l’obtenir « malgré plusieurs tentatives n’ayant pas été effectuées la même semaine ».
Malgré de nombreuses limites connues et documentées, la dématérialisation a pris une ampleur inédite sous l’effet de la crise sanitaire. Au sortir du premier confinement qui avait vu la fermeture quasi-complète des préfectures et l’annulation de tous les rendez-vous prévus, la « réouverture » a été annoncée uniquement sur rendez-vous, à prendre via Internet. Les plannings ont bien souvent été saturés immédiatement, et de nombreuses personnes qui se trouvaient dans des situations d’urgence, contraintes par des délais stricts, n’ont pas pu accéder à temps aux guichets. Au-delà des rendez-vous via Internet, les préfectures et le ministère de l’Intérieur ont accéléré, en 2020, le déploiement de la dématérialisation des demandes-mêmes de titre de séjour : depuis le début de l’année 2020, des préfectures (comme le Calvados, les Hauts-de-Seine ou le Pas-de-Calais) proposent ou imposent de déposer certaines demandes en ligne, en saisissant via des formulaires les informations nécessaires et en scannant les pièces correspondantes. Au niveau national, le ministère de l’intérieur a déployé en juin 2020 un téléservice pour certaines « démarches simples » (récépissés, documents de circulation pour étrangers mineurs…) et en octobre 2020, un téléservice pour les demandes de carte de séjour « étudiant ». Ces téléservices, dont l’usage est rendu obligatoire par la plupart des préfectures, demandent une identification personnelle, une maîtrise poussée des outils informatiques, de la lecture et de l’écriture en français… Leur déploiement, et le recours accru à des téléservices préfectoraux similaires, témoigne d’un abandon supplémentaire par les préfectures de leurs missions de service public : ce sont désormais les personnes elles-mêmes, et bien souvent les associations, bénévoles et professionnel·les du travail social qui les accompagnent, qui accomplissent le travail de saisie des informations et des documents nécessaires à l’enregistrement de la demande. Des problèmes nouveaux émergent, notamment l’absence d’obtention d’un récépissé (permettant de séjourner légalement dans l’attente de la décision) lors de la validation du formulaire.
Face à la fermeture croissante des services étrangers des préfectures et au développement effréné et illégal de la dématérialisation comme unique modalité d’accès au service public, La Cimade, en parterariat avec d’autres organisations, a massivement assigné les préfectures en justice au début de l’année 2021, dans la continuité des décisions du Conseil d’Etat et du tribunal administratif de Rouen . Au mois de février, une première requête était déposée contre la préfecture de la Vienne. En mars, cinq nouvelles requêtes étaient déposées en Ile-de-France et dans d’autres départements métropolitains, et en juin, dix-sept nouvelles requêtes étaient déposées contre des préfectures en métropole en dans les outre-mer. A chaque fois, il est demandé au juge d’enjoindre aux préfectures de ne pas imposer la dématérialisation et de prévoir également des voies non dématérialisées d’accès au droit au séjour pour les personnes étrangères, en application de la loi et de la jurisprudence du Conseil d’Etat. A ce jour, c’est au total vingt-trois préfectures qui ont été assignées en justice par La Cimade et ses partenaires. . Le 28 octobre 2021, la première victoire a été obtenue devant le tribunal administratif de Cayenne, qui a annulé l’ensemble des décisions de la préfecture de Guyane imposant les démarches dématérialisées pour les demandes de titre de séjour.
La Cimade porte de longue date des demandes auprès des pouvoirs publics concernant la dématérialisation. Notamment :
Auteur: Service communication
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