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Droit au séjour pour raisons médicales : la suspicion toujours au détriment de la protection

1 septembre 2022

Année après année, les rapports annuels au Parlement rédigés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur le droit au séjour pour raisons médicales témoignent de la dégradation du dispositif de protection des personnes étrangères gravement malades. Il s’est affaibli depuis qu’une loi a transféré la compétence d’évaluation médicale à l’agence du ministère de l’intérieur.

Le droit au séjour pour raisons médicales est peu connu du grand public. Créé en 1998, il permet aux personnes gravement malades qui vivent en France et ne peuvent être soignées dans leur pays d’origine d’obtenir ou renouveler une carte de séjour pendant leur prise en charge médicale. Jusqu’à la fin de l’année 2016, l’évaluation de ce besoin de prise en charge médicale en France était confiée aux médecins des agences régionales de santé (ARS), professionnel·le·s de santé publique rattaché·es au ministère de la santé. Il y a cinq ans, cette mission a été confiée au service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), agence du ministère de l’intérieur. C’est le fantasme d’une fraude massive vis-à-vis du dispositif qui a justifié ce transfert de tutelle. Il n’existe pourtant aucun indicateur en ce sens, pour un droit qui ne concerne qu’une toute petite minorité des personnes admises à séjourner en France (moins de 2 %).

La Cimade avait documenté les effets de ce transfert de responsabilités dans un rapport d’observation, un an après la réforme : Personnes malades étrangères : soigner ou suspecter ? Depuis, nos observations de terrain et les rapports de l’Ofii ont confirmé nos craintes.

Une dégradation durable de l’accès au droit au séjour pour soins

La réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2017a durablement dégradé l’accès au droit au séjour pour raisons médicales, et le quatrième rapport au Parlement de l’Ofii publié début 2022 est encore venu le rappeler. L’un des effets notables de cette réforme a été la forte diminution du nombre d’avis médicaux favorables à la délivrance d’une carte de séjour et, en conséquence, du nombre de titres de séjour accordés. D’environ 75% du temps des médecins des ARS, le pourcentage d’avis favorables aux personnes est descendu jusqu’à 52% avec l’Ofii. Bien qu’il ait remonté en 2020 à 64,5%, cela reste bien inférieur au niveau précédent le transfert de compétences… En outre, cette augmentation en pourcentage masque une baisse continue du nombre d’avis favorables délivrés. On dénombre en valeur absolue 15 762 avis favorables en 2020, contre 16 974 en 2019 (soit – 7,7%) et contre 32 634 en 2013 (soit – 52,3%). Les différents indicateurs montrent bien qu’une personne étrangère gravement malade a moins de probabilité depuis 2017 d’obtenir un avis médical favorable à son admission au séjour.

Des demandes de titre de séjour pour soins en baisse continue

Le droit au séjour pour raisons médicales, qui n’a jamais concerné un grand nombre de personnes étrangères, fait l’objet de moins de demandes depuis le transfert de compétences en 2017. Pour l’année 2020, le dernier rapport de l’Ofii souligne les difficultés d’accès aux droits lors de la fermeture des administrations pendant le confinement du printemps.  Le nombre de demandes de titre de séjour enregistrées a chuté de 11,6 % par rapport à 2019. Etonnamment, l’Ofii relie cette baisse à celle des déplacements internationaux… tout en rappelant que les personnes qui demandent un titre de séjour pour raison médicale sont en moyenne présentes en France depuis 3,2 ans. La condition de résidence en France est d’ailleurs une condition d’accès au dispositif.  L’Ofii oublie ici de préciser que cette baisse de la demande est observée de façon continue depuis le 1er janvier 2017, en particulier en 2018 (-32% de demandes déposées par rapport à l’année précédente). La complexification de la procédure et le découragement des personnes face au nombre croissant de refus peuvent expliquer cette baisse du nombre de demandes enregistrées.

Les personnes atteintes de pathologie psychiatriques particulièrement peu protégées

La protection accordée aux personnes gravement malades souffrant de pathologies psychiques ne cesse de s’effondrer de façon particulièrement visible depuis le début de l’année 2017. Pour ces pathologies, le pourcentage d’avis favorable à la délivrance d’une carte de séjour est très faible : 35,3% seulement en 2020  ; pour rappel, le pourcentage toutes pathologies confondues est de 64,5 %. La fréquence  des avis négatifs de l’Ofii, suivis de refus de titre de séjour, produit un important découragement. Ainsi, alors que les pathologies psychiques étaient les premières pathologies dont souffraient les personnes invoquant le dispositif jusqu’en 2017, elles ne sont aujourd’hui plus qu’en quatrième position. On peut y voir la conséquence de l’importante suspicion de fraude envers les personnes souffrant de troubles psychiques et de l’effondrement du taux d’avis favorables les concernant.

Une attaque contre la protection des personnes vivant avec le VIH

Le rapport de l’Ofii sur l’année 2020 a marqué une attaque sans précédent contre la protection accordée aux personnes vivant avec le VIH (PVVIH). L’Ofii y critique l’arrêté du 5 janvier 2017 publié par le ministère de la santé, lequel fixe conformément à la loi des orientations générales pour l’évaluation médicale. Le ministère de la Santé prescrit notamment, concernant les PVVIH, d’estimer que les soins ne sont pas accessibles dans l’ensemble des pays en développement. L’Ofii, dont la mission n’est pourtant pas de déterminer ces orientations ministérielles, les déprécie en les qualifiant d’ « obsolètes et peu précises ». L’office plaide pour une approche « par pays » qui pourrait en fait ouvrir la porte à la fin de la protection de certaines personnes étrangères séropositives, originaires de pays aux systèmes de santé peu efficaces (lire, par exemple, le témoignage de « Denzel et Clara » dans notre rapport Soigner ou suspecter, page 28).

Remarque : contrairement aux idées reçues, de nombreuses personnes migrantes originaires d’Afrique sur sub-saharienne qui vivent avec le VIH en France n’ont pas contracté cette pathologie dans leur pays d’origine, mais après leur arrivée sur le territoire. L’enquête « Parcours », conduite en 2012-2013 par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’IRD,  et de Santé publique France a ainsi montré que près de la moitié d’entre elles ont été contaminées durant les premières années de leur vie en France, en raison de la précarité administrative, sociale et financière de leurs conditions de vie. Ces résultats ont été confirmées plus récemment par une étude du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) publiée en 2021.

En analysant le dispositif légal de protection des personnes malades étrangères et en formulant des préconisations pour le voir évoluer, l’Ofii outrepasse les missions qui lui sont confiées par la loi dans le cadre d’un rapport annuel au Parlement : établir un rapport sur « l’activité réalisée » au titre de l’évaluation médicale et sur les « données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre ». Ce faisant, l’agence du ministère de l’intérieur empiète sur les compétences du ministère de la santé.   Une preuve de plus, si besoin était, que le transfert de mission des agences régionales de santé à l’Ofii s’est traduit par une mise au premier plan des enjeux de gestion des flux migratoire, au détriment de ceux de la santé publique. La Cimade demande que le pilotage de l’évaluation médicale pour les personnes étrangères revienne exclusivement au ministère de la santé, sans ingérence des services du ministère de l’intérieur.

Pour aller plus loin :

Auteur: Responsable national Droit au Séjour

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