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Migrations et co-développement : quels enjeux et réalités ?

Développement ? Co développement ? Aide publique au développement ? De quoi parle-t-on ? Le terme « co développement » se réfère à des politiques menées par la France entre les années 1980 et la fin des années 2000. Les pouvoirs publics ne l’emploient plus aujourd’hui. Ils utilisent plutôt celui de « développement » via l’outil financier de l’aide publique au développement (APD). Selon l’OCDE, l’APD est « l’aide fournie par les États dans le but de promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement ». Cette aide, à travers le temps, se traduit par la mise en place de projets incluant les diasporas, les ONG, des investissements financiers sur le terrain, etc.  Ces objectifs d’aide à des pays extérieurs ont été critiqués par de nombreux acteurs de la société civile ainsi que par le Sénat à la fin des années 2000 pour leur approche, qui mettait, en fin de compte,  l’accent sur la maîtrise de l’immigration et le retour de personnes étrangères dans leur pays d’origine, plutôt que sur des objectifs d’amélioration des conditions de vies basés sur les besoins premiers des pays concernés par l’aide.

Les enjeux qui lient les migrations et les questions relatives au développement des États sont nombreux. Dans le débat public et sur la scène politique notamment, des voix s’élèvent régulièrement en Europe et en France, pour soutenir que l’immigration appauvrirait les pays de départ, et créerait des tensions dans les pays d’accueil. Ou bien encore que l’aide au développement constituerait un levier pour réduire l’immigration vers le continent européen. Ces positions semblent réduire les rapports qui existent entre développement, économie et migration à des liens de cause à effet mécaniques.

Mais qu’en est-il ? Quels sont les effets des migrations sur le développement et l’économie des États ? Est-ce que l’émigration affecte négativement ou non le développement du pays de départ ? Dans le même sens, est-ce que l’immigration a un impact dommageable ou positif sur l’économie du pays d’arrivée ? Est-ce que, par ailleurs, l’aide au développement d’un pays a un effet sur le nombre de personnes souhaitant émigrer ?

Est-ce que le niveau de développement d’un pays a un effet sur les migrations ?

Dans les débats publics et les discours politiques, principalement en Europe, les motivations économiques sont souvent évoquées comme l’une des principales causes des migrations, notamment en ce qui concerne les personnes entrant irrégulièrement sur le territoire européen ressortissantes de « pays pauvres » (c’est-à-dire, avec un faible produit intérieur brut – PIB – par habitant) qui chercheraient une vie meilleure dans les « pays riches » (avec un fort PIB par habitant).

Si la pauvreté ou le manque d’opportunités économiques peuvent être des motivations à l’émigration, les départs des personnes sont souvent réduits à tort à une seule cause, alors qu’ils sont souvent le fruit d’une conjonction de facteurs, dans lesquels les relations sociales et familiales jouent un rôle déterminant.

De plus, cela réduit les parcours migratoires* à un modèle où les personnes partiraient de « pays pauvres » vers l’Europe ou plus généralement vers des pays considérés comme riches. Pourtant, la majorité des personnes se déplacent d’abord au sein de leur pays ou migrent d’abord vers des pays voisins ou situés sur le même continent.

Enfin, expliquer les départs uniquement par le prisme économique peut amener à l’idée que réduire la pauvreté dans les pays d’origine permettrait de faire baisser l’immigration en Europe. Ainsi l’Union européenne (UE) et de nombreux pays européens ont attribué de nouveaux objectifs à l’aide publique au développement (APD) et à leur coopération internationale, parmi lesquels la prévention des départs.

Cette approche pose plusieurs problèmes.

D’un point de vue statistique tout d’abord. Plusieurs études soulignent que plus le niveau de développement d’un pays est élevé, plus ses ressortissant·e·s disposent de ressources leur permettant de financer leur voyage (voir rapport de l’OIM 2024). Ainsi, les pays de plus faible niveau de développement ont moins de ressortissant·e·s à l’étranger, en pourcentage de leur population totale. Le développement n’empêche donc pas les départs, au contraire, il rend les conditions pour les entreprendre plus favorables.

©OIM, 2024

De plus, vouloir réguler les « flux migratoires* » et réduire les départs à travers l’APD détourne cette aide de son objectif premier, que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) définit comme « améliorer les conditions de vie dans les pays en développement ». Prioriser la prévention des départs et utiliser l’APD pour financer les outils de mises en œuvre des politiques migratoires européennes en dehors de l’UE, incite à choisir les pays bénéficiaires en fonction de leur position sur les parcours migratoires, sans prendre en compte les besoins socioéconomiques des pays. Une telle approche négligerait les pays qui émettent peu d’émigration à destination de l’Europe, comme la Centrafrique ou le Cambodge.

Par ailleurs, l’efficacité des programmes de lutte contre l’immigration dite irrégulière, financés parfois par l’APD, est loin d’être démontrée. Au Sénégal, considéré par l’UE comme pays de départ et de transit, près de 300 millions d’euros ont été investi entre 2005 et 2019 par des bailleurs internationaux (Union européenne ou pays membres, agences des Nations Unies, OIM, etc.) afin de lutter contre la migration dite « irrégulière ». Cet argent correspond beaucoup plus à un agenda politique des pays du Nord qu’aux intérêts économiques et sociaux du Sénégal. L’émigration depuis le Sénégal a augmenté sur la période, en même temps que les opportunités économiques se sont dégradées dans le pays, selon une étude de 2020 sur les projets et programmes migratoires au Sénégal.

Est-ce que les migrants* sont des acteurs du développement de leur pays d’origine ?

Les personnes, qui se sont installées dans un pays étranger à plus fort niveau de développement que leur pays d’origine soutiennent, dans la plupart des cas, leurs familles restées au pays à travers des transferts de fonds. Ces envois d’argent représentent des sommes importantes : en 2023, les transferts effectués via le système bancaire officiel à destination de pays à revenus faibles ou intermédiaires s’élevaient  à 656 milliards de dollars américains, selon la Banque mondiale. Pour certains pays, ces envois représentent une part importante du produit intérieur brut (PIB) (41% aux Tonga, 39% au Tadjikistan, 31% au Liban en 2023) et sont parfois supérieurs à l’aide internationale reçue.

Ces transferts de fonds bénéficient avant tout aux familles et aux proches des personnes migrantes. Ils participent à l’amélioration de leur niveau de vie, à travers des dépenses de santé ou d’éducation supplémentaires, et soutiennent l’économie du pays à travers la consommation. Ces envois sont moins volatiles que les échanges financiers entre États et contribuent à réduire la pauvreté. La Banque mondiale estime qu’ainsi, au Népal, le niveau de pauvreté a plus baissé entre 2001 et 2011 (voir hyperlien page 130) dans les villages ayant des taux élevés d’émigration vers des « pays riches ».

Certains États ayant une diaspora importante dans le monde essaient de tirer avantage de ces communautés, en incitant leurs ressortissant·e·s à diriger une partie des transferts de fonds vers des programmes d’investissements permettant, par exemple, de financer des infrastructures locales. Néanmoins, les résultats de ces initiatives sont souvent assez contrastés. Ils posent aussi la question de la mobilisation des ressortissant·e·s de ces pays vivant à l’étranger à des fins utilitaristes.

À un autre niveau, le départ de personnes qualifiées et diplômées vers des « pays riches » (souvent nommée « fuite des cerveaux ») est un enjeu régulièrement mis en avant par les médias, les personnalités politiques et étudié par le monde de la recherche, tant dans les pays dits du « Nord global » que ceux du « Sud global ». Cette « fuite » a-t-elle des effets concrets sur l’économie et le développement des pays ?

La Banque mondiale estime dans son rapport Migrants, Réfugiés et Sociétés de 2023 que plus le niveau de revenus d’un pays est bas, plus la part de personnes qualifiées et diplômées dans le nombre total d’émigrant·e·s est importante. Par exemple, les ressortissant·e·s des pays d’Afrique subsaharienne ayant un diplôme de l’enseignement supérieur émigrent 30 fois plus que les personnes ayant un niveau d’enseignement secondaire ou primaire. Cependant, ce départ de personnel qualifié n’entraîne pas nécessairement une réduction significative des indicateurs socio-économiques dans le pays de départ. À titre d’exemple, une étude de 2014, menée sur plusieurs années dans des pays d’Afrique subsaharienne, a montré que le départ de médecins vers des pays dits développés n’a pas d’incidence directe sur la mortalité infantile ou le taux de vaccination dans leur pays d’origine. Cela s’explique par le fait que, si les personnes diplômées sont plus susceptibles de partir, toutes ne le font pas et il reste suffisamment de personnel sur place. Par ailleurs, les personnes parties vivre, étudier ou travailler à l’étranger participent à la circulation de savoir-faire, de connaissances et de compétences qui peuvent être mises à profit dans le pays d’origine par échanges avec les personnes y vivant, ou si elles décident d’y retourner.

Est-ce que les migrants sont des acteurs du développement de leur pays d’accueil ?

Plusieurs études ont souligné des effets positifs sur l’économie de la présence de personnes migrantes dans les pays d’accueil. Contrairement aux discours martelant les « coûts » importants de l’immigration, les chiffres démontrent que la présence de migrant·e·s étranger·e·s contribue positivement à l’économie. Les personnes consomment, paient des impôts et des cotisations sociales, ce qui alimente la croissance économique du pays et les recettes de l’État concerné. Ainsi, dans les périodes d’augmentation du nombre de migrant·e·s internationaux·ales dans les pays d’Europe de l’Ouest, le PIB croît de façon significative dans les années qui suivent ces arrivées. En ce qui concerne l’arrivée de demandeur·euse·s d’asile dans un pays, les restrictions dont ils font l’objet sur le marché de l’emploi le temps d’obtenir un statut limitent cet effet positif sur l’économie dans un premier temps, mais leur présence ne la dégrade pas et n’affecte pas négativement les finances publiques.

De manière générale, plus les personnes bénéficient d’une situation administrative stable, plus elles peuvent travailler de façon déclarée et payer les prélèvements réalisés par les États. On peut donc questionner les fondements « économiques » des arguments qui sous-tendent le non-accueil des personnes migrantes, ou la non-régularisation des travailleurs et travailleuses sans papiers, et se demander s’ils ne relèvent pas plutôt d’une volonté politique et xénophobe de rejet.

Ainsi, la présence de personnes migrantes dans un pays donné peut avoir des répercussions positives sur son économie et son développement – ainsi que sur ceux des pays d’origine. Cependant, les enjeux relatifs à ce développement sont avant tout portés par les États, qui peuvent être tentés d’envisager les personnes migrantes uniquement comme un levier utile, pour répondre à des besoins d’ordre politique, en occultant leurs besoins et aspirations individuelles. Poser la question du rapport entre migrations et développement, ne doit donc pas enfermer les personnes migrantes dans un prisme utilitariste.

Pour aller plus loin :

Sur le dévoiement de l’aide publique au développement à des fins de régulation des migrations :

Outil pour déconstruire les idées-reçues sur le rapport entre migration et développement :

*La Cimade préfère employer les termes de « personnes en migration », « personnes migrantes » ou de « personnes » plutôt que de parler de « migrants ». Cette appellation souvent connotée négativement efface une multitude d’individualités et de diversité de vécus. Elle colle une identité indélébile liée au mouvement, qui ne reflète pas la réalité ou la volonté des personnes sur l’ensemble de leur parcours de vie. La Cimade utilise une écriture inclusive, afin de prendre en considération la personne quelle que soit son identité de genre (masculine, féminine et autres). De même, elle utilise le terme de « parcours migratoires », plutôt que de « flux migratoires », qui est souvent associé à une arrivée jugée massive de personnes vers la France et l’Europe, sans prendre en compte les particularités des chemins et des histoires de chacun·e.

 

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