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Surpopulation carcérale et droit des personnes étrangères

L’encellulement individuel existe depuis 1875. De déclarations d’intention en consécrations législatives, ce principe n’a pourtant jamais été respecté. Souvent présentée comme le mal premier et chronique dont souffrent les prisons, la surpopulation carcérale relève aujourd’hui de l’extrême urgence. En effet, mois après mois, le nombre de personnes détenues ne cesse de battre des records : en 2025, la densité carcérale moyenne est estimée à 135%, et près de 85 000 personnes étaient détenues dans les quelques 62 500 places de prisons de France.

Qu’est-ce que la surpopulation carcérale ?

La surpopulation carcérale désigne le fait qu’il y ait plus de personnes incarcérées que de places disponibles. Au 1er juin 2025 par exemple et selon le ministère de la Justice, 84 447 personnes étaient détenues, et l’administration pénitentiaire disposait de 62 556 places opérationnelles, ce qui porte la densité carcérale globale à 135% (165% dans les seules maisons d’arrêt et quartiers maison d’arrêt). Près de 24 000 personnes étaient donc en surnombre, et plus de la moitié de la population détenue était incarcérée dans un établissement pénitentiaire avec une densité d’occupation supérieure à 150%. Matériellement, cela signifie que deux ou trois personnes, parfois plus, partagent une même cellule, et que plus de 5 700 matelas sont posés au sol. Autant de chiffres en augmentation constante depuis plusieurs années maintenant.

La surpopulation carcérale concerne quasi exclusivement les maisons d’arrêt (lesquelles enferment les personnes prévenues, c’est-à-dire celles qui sont en attente de jugement, et les personnes condamnées à des peines inférieures à 2 ans). En effet, les établissements pour peines (centre de détention, centre pénitentiaire, maison centrale), eux, bénéficient de la règle dite du numerus clausus : quand la prison est au maximum de sa capacité, le ou la cheffe d’établissement peut refuser de nouvelles entrées.

Or, ce sont bien les maisons d’arrêt qui enferment la majorité des personnes détenues en France.

Pourquoi les prisons sont-elles surpeuplées ?

Il n’y a pas de corrélation entre surpopulation carcérale et augmentation de la délinquance.

Au contraire, la surpopulation s’explique principalement par les orientations prises par la politique pénale, c’est-à-dire par la frénésie sécuritaire à l’œuvre depuis de nombreuses années maintenant.

Au premier bout de la chaine pénale, le législateur ne cesse d’ériger de nouveaux comportements infractions, par un mouvement de pénalisation constant. A l’autre bout, les conditions de sortie de prison (aménagements de peines, mécanismes de sorties anticipées), ont été progressivement durcies au fil des réformes, et la fin des grâces présidentielles, qui permettaient à plusieurs milliers de personnes de sortir de détention, a ajouté au phénomène.

Entre les deux, l’augmentation du nombre de personnes prévenues indique un recours plus fréquent à la détention provisoire, alors que celle-ci est pensée pour être l’exception. Du reste, les procédures rapides de jugement, au premier rang desquelles la comparution immédiate, permettent un taux plus important de condamnation à de la prison ferme, pour des durées du reste toujours plus longues, la durée moyenne d’incarcération se situant à 10 mois.

Ces différents facteurs ne sont pourtant pas une fatalité : pendant la crise sanitaire en effet, plusieurs mécanismes déjà présents dans notre corpus législatifs avaient été mis en œuvre afin de décider de sorties anticipées, ce qui avait permis de réduire la surpopulation carcérale, la France étant alors arrivée à 58 000 personnes détenues environ.

Dans quels cas les personnes sont-elles incarcérées ?

Un tiers environ des personnes incarcérées sont prévenues, c’est-à-dire qu’il s’agit de personnes présumées innocentes, qui sont donc emprisonnées dans l’attente de leur jugement. Dans sa décision, le ou la magistrate doit indiquer les décisions qui rendent, à ses yeux, la détention provisoire nécessaire : conservation des preuves, absence de pression sur les témoins, sur la ou les victimes ainsi que sur ses proches, éviter le risque de fuite, mettre fin à l’infraction, etc.

Par ailleurs, une part conséquente des personnes détenues le sont du fait de courtes peines de prison ; les personnes condamnées pour les infractions les plus graves, comme les crimes, restent minoritaires. En effet, en avril 2025 par exemple et selon le ministère de la Justice, la plupart des personnes détenues sont condamnées pour les six catégories d’infraction principale suivantes : homicide volontaire, viol ou agression sexuelle, violence, vol, infraction à la santé publique et celles liées à la circulation et au transport.

Parmi les personnes détenues, 12 000 personnes environ étaient condamnées criminelles, 47 000 condamnées correctionnelles, et le nombre de personnes condamnées à une peine égale ou inférieure à deux ans de prison se situait à 26 000 environ ; 2 500 personnes environ étaient condamnées à une peine supérieure à 20 ans de prison.

Enfin, la prison apparait comme le résultat d’un processus de désocialisation. En effet, la majorité des personnes incarcérées ont un niveau inférieur au baccalauréat ou n’ont aucun diplôme, et un nombre important d’entre elles sont en situation d’illettrisme. Par-delà les raisons de l’incarcération ou les infractions pour lesquelles la personne va être emprisonnée, c’est un fait que la prison incarcère majoritairement les personnes les plus précaires, dont les personnes étrangères, qui sont proportionnellement plus nombreuses dans les prisons françaises qu’elles ne le sont dans la population.

Pourquoi il y a-t-il plus de détenu∙e∙s étranger∙e∙s dans les prisons ?

[extrait de l’édito, Surveiller, punir et expulser, Inna Chokri, Marc Duranton et Julien Fischmeister, Etrangers sous écrou, Plein Droit, n°138, Gisti, octobre 2023].

Le fantasme de la personne étrangère plus délinquante que les autres a la vie dure : « C’est un fait que les vols à la tire sont à 70% le fait d’étrangers. Ils seront expulsés automatiquement », affirmait déjà, sans prendre la peine de sourcer son affirmation, le ministre de l’intérieur Michel Poniatowski en 1976[1]. « Il y un taux de délinquance parmi la population étrangère qui est entre deux et trois fois supérieur à la moyenne », lui répondait 35 ans plus tard son successeur Claude Guéant, en 2012, sans plus de précaution[2]. Jusqu’au président de la République actuel, qui assénait en 2022 qu’« à Paris, on ne peut pas ne pas voir que la moitié au moins des faits de délinquance qu’on observe viennent de personnes qui sont des étrangers[3] ».

Cette focalisation constante sur la délinquance des personnes étrangères prend sa source dans une réalité statistique tout aussi invariable depuis des décennies : leur surreprésentation, tant parmi les auteurs et autrices d’infractions que des effectifs emprisonnés. À titre d’exemple en 2021, les étrangères et étrangers constituaient 15,5% des personnes condamnées[4] et 24,5% des personnes détenues[5] – soit respectivement le double et le triple de leur part dans la population totale, équivalente à 7,7%[6].

À mesure que le sujet devenait central politiquement, la recherche en sciences sociales s’est employée à expliquer les causes multifactorielles de la délinquance des personnes étrangères, évidemment bien éloignées des lectures simplistes. Depuis plus de 30 ans, de nombreux travaux décryptent ainsi les sources de la « sur-délinquance » des personnes étrangères, convoquant des approches sociologiques (les personnes étrangères sont fortement représentées parmi les couches les plus pauvres de la population, davantage exposées à la délinquance), économiques (l’éloignement du marché de l’emploi favorise la quête de moyens de subsistance parallèles), juridiques (certaines infractions les visent exclusivement, et d’autres sont induites par des considérations purement administratives), statistiques (les infractions concernées sont souvent des délits visibles, davantage poursuivis et plus lourdement sanctionnés), ou encore propres au fonctionnement des institutions, notamment policières[7]. En 2001, Plein Droit, dans un dossier consacré à « L’enfermement des étrangers », reprenait déjà ces analyses en imputant « l’incarcération massive des étrangers » tant à l’impossible accès à des sources légales de revenus qu’à un système police/justice ciblant plus facilement les personnes étrangères[8].

Mais rien n’y fait : encore démentie par une étude récente[9], la « sur-délinquance » des personnes étrangères continue inlassablement d’alimenter la machine répressive dans une alliance des forces administratives et judiciaires.

Le premier écart, tenant à la part excédentaire des non-nationaux dans les condamnations, est certainement celui qui, à lui seul, tient lieu de justification politique quant à l’âpreté du droit et des pratiques préfectorales. C’est ainsi que le législateur a progressivement accordé une place toujours plus importante à la notion de « menace pour l’ordre public », permettant alternativement de priver un ou une étrangère de son droit au séjour en France et d’organiser son expulsion du territoire. Ce contexte délétère semble avoir atteint un point d’orgue ces dernières années : depuis 2017, cinq circulaires successives sont en effet venues rappeler le caractère impératif de l’éloignement des étrangers en fin de peine ; leur condamnation suffit à présumer l’existence d’une « menace pour l’ordre public ».

Le second écart met en évidence une économie de la peine purement discriminatoire. Pour autant, si la rhétorique gouvernementale, couplée à l’accumulation de directives dédiées, ne laisse guère de doute quant à la visée excluante du projet politique, il est plus difficile de taxer l’institution judiciaire – par nature indépendante du pouvoir exécutif – d’être empreinte d’une même idéologie. Il n’en reste pas moins que les statistiques officielles dévoilent de profondes inégalités, selon que les personnes sont françaises ou étrangères, dans l’application de la loi, et ce, à toutes les étapes de la chaîne pénale.

La pratique montre, tout d’abord, un recours plus fréquent à la détention provisoire : au 30 juin 2023, alors que 32,2% des 18 555 personnes étrangères détenues étaient prévenues, les Français·es ne l’étaient qu’à hauteur de 25,6%[10]. Une différence qui s’explique, non par une plus grande gravité des faits en cause, mais par des garanties de représentation – notion opportunément malléable – plus fréquemment estimées insuffisantes pour les premières. Cet usage massif de la détention provisoire vaut aussi pour la comparution immédiate, comme l’ont confirmé plusieurs études[11]. En effet, les infractions commises par les personnes étrangères étant le plus souvent des délits de flagrance et/ou peu complexes, elles correspondent typiquement à celles que cette procédure se plaît à juger dans des conditions notoirement préjudiciables. À titre d’illustration, l’addition des vols, conduites sans permis et violences légères commis par des personnes étrangères concentre à elle seule 45% des condamnations, contre 26% chez les Français·es. Or, cela est tout sauf anodin tant les « compa » sont pourvoyeuses d’incarcération : près d’une personne détenue avant jugement sur deux y est soumise (dans le cadre de renvois), et l’incarcération reste l’issue principale de cette justice d’abattage[12].

Les disparités de traitement se creusent encore dans le choix de la peine. Toutes procédures et infractions confondues, l’emprisonnement (avec ou sans sursis) représentait, en 2021, 58% de la réponse pénale envers les personnes étrangères contre 46% pour les nationales. De la même manière, les personnes françaises faisaient l’objet d’une peine débouchant sur une incarcération effective (réclusion, prison ferme et sursis partiel) dans 20% des cas, contre 29% pour les autres nationalités. Le biais s’étend jusqu’à la longueur des peines : si celles de moins de six mois touchent dans des proportions équivalentes toutes les personnes condamnées (40,5% et 40%), tel n’est pas le cas de celles allant de six mois à un an (36% contre 32%), et d’un an à trois ans d’emprisonnement (19% contre 21,5%). Dit autrement, les personnes étrangères ne sont pas seulement envoyées davantage en prison, elles le sont aussi pour des durées plus longues.

Et elles en sortent également moins vite. En effet, la perspective d’accéder à un aménagement de peine apparaît très largement entravée par des considérations propres à leur séjour en France. Qu’il s’agisse d’une interdiction stricte, lorsque la personne fait l’objet d’une mesure d’expulsion (malgré certaines exceptions et possibilités sous-investies), ou d’une réticence structurelle des juges à accorder un aménagement en cas de situation administrative irrégulière (alors que rien ne l’interdit légalement), le fait est que les personnes étrangères détenues purgent généralement leur peine dans leur intégralité – quand une libération conditionnelle dite « expulsion », seul dispositif réellement mobilisé, n’est pas prononcée. Là encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes : au 31 mars 2023, la part des personnes étrangères parmi les effectifs écroués non détenus, c’est-à-dire suivis à l’extérieur dans le cadre d’une alternative à la détention, n’était que de 9,5% (contre 25,5% intra-muros).

 

[1] « Les étrangers qui commettront des agressions dans le métro seront “expulsés automatiquement” » déclare M. Poniatowski », Le Monde, 23 juillet 1976.

[2] Cité par Laurent Mucchielli, « Étrangers et délinquance : fausses évidences statistiques, vraies manipulations politiques », in Laurent Mucchielli (dir.), Vous avez dit sécurité ?, Champ social, 2012.

[3] « À Paris, “la moitié au moins des faits de délinquance viennent d’étrangers” : d’où vient ce chiffre cité par Emmanuel Macron ? », Le Monde, 31 octobre 2022.

[4] Ministère de la justice, données 2021.

[5] Direction de l’administration pénitentiaire, statistiques trimestrielles en milieu fermé au 1er janvier 2021.

[6] Insee, 2021.

[7] Voir notamment les travaux fondateurs de Pierre Tournier et Philippe Robert : « Migrations et délinquances : Les étrangers dans les statistiques pénales », Revue européenne des migrations internationales, vol. 5, n° 3, 1989 ; Étrangers et délinquances. Les chiffres du débat, Paris, L’Harmattan, 1991.

[8] Emmanuel Blanchard, « Étrangers incarcérés, étrangers délinquants ? », Plein droit, n° 50, juillet 2001.

[9] Arnaud Philippe, Jérôme Valette, « Immigration et délinquance : réalités et perceptions », La lettre du CEPII, n° 436, avril 2023.

[10] Direction de l’administration pénitentiaire, statistiques trimestrielles en milieu fermé (au 30 juin 2023).

[11] Voir Virginie Gautron, Jean-Noël Retière, « La justice pénale est-elle discriminatoire ? Une étude empirique des pratiques décisionnelles dans cinq tribunaux correctionnels », Colloque Discriminations : état de la recherche, Alliance de recherche sur les discriminations, Université Paris Est Marne-la-Vallée, décembre 2013.

[12] Si les statistiques manquent au niveau national, plusieurs études ont relevé des taux de recours au mandat de dépôt dépassant les 60%. Pour Marseille, voir : Sacha Raoult, Warren Azoulay, Les comparutions immédiates au Tribunal de grande instance de Marseille, Observatoire régional de la délinquance et de contextes sociaux, rapport n° 8, juillet 2016.

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