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Malgré la jurisprudence de la CEDH et de la CNDA et les décisions quotidiennes des juridictions guadeloupéennes, actant d’une situation de violence généralisée en Haïti et des risques encourus en cas de retour, dimanche dernier, la préfecture de Guadeloupe y a expulsé une personne, par surprise.
Pierre [1] est arrivé en France en 1993 pour ses études, installé en Guadeloupe depuis 1995, il a deux enfants français, aujourd’hui majeurs. Titulaire d’un titre de séjour il n’a pas pu en obtenir le renouvellement en raison du nombre de justificatifs toujours plus importants demandés par la préfecture.
En novembre 2023, la préfecture lui notifie une obligation de quitter le territoire français assortie d’une interdiction de retour d’un an et fixe Haïti comme pays de destination. Elle le place dans la foulée au centre de rétention administrative (CRA) des Abymes pour organiser son expulsion du territoire.
Après 48h d’enfermement, Pierre est présenté devant le juge des libertés et de la détention (JLD) qui considère que l’enfermement en rétention n’est pas justifié. Pierre est assigné à résidence [2]. Entre temps, il a déposé une demande d’asile, craignant pour sa vie en cas de retour en Haïti en raison de l’insécurité grandissante du pays.
En mai 2024, l’OFPRA [3] rejette sa demande d’asile mais Pierre conteste cette décision devant la CNDA [4]. Son recours est enregistré par la juridiction d’appel le 27 juin 2024.
Il semblerait que durant ces longs mois, Pierre ait continué à respecter une assignation à résidence en se présentant régulièrement au service de la police aux frontières (PAF).
Le 21 juillet, alors qu’il se rend au CRA pour signer le registre d’assignation, la PAF lui indique qu’un vol est réservé pour lui le soir même, pour être expulsé en Haïti.
Selon ses dires, il est immédiatement amené à l’aéroport. La PAF refuse de le laisser récupérer des effets personnels. Il ne peut prévenir personne. Quelques heures plus tard, il se retrouve dans l’avion avec pour seules affaires, les vêtements qu’il porte sur lui.
Le lendemain, il arrive à Port-au-Prince, ville qu’il ne connait plus et qui est gangrénée par la violence des gangs et l’insécurité.
Sa demande d’asile est toujours pendante et ses craintes en cas de retour n’ont pas été étudiées par la CNDA.
Depuis de nombreux mois, les organisations internationales appellent régulièrement à stopper les renvois vers Haïti tel le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. La CEDH lorsqu’elle est saisie, suspend systématiquement les expulsions en raison de la situation de violence généralisée et la CNDA octroie fréquemment une protection aux ressortissant.e.s haïtien.ne.s victimes de ce conflit qu’elle a qualifié de « conflit armé interne d’intensité exceptionnelle ». Depuis quelques semaines, les juridictions guadeloupéennes se sont enfin saisies de cette question et rendent systématiquement des décisions favorables aux personnes haïtiennes, permettant d’éviter leur expulsion.
La préfecture ne saurait ignorer ces alertes et ces différentes décisions en faveur des ressortissant.e.s haïtien.ne.s. Malgré cela, elle continue d’enfermer quotidiennement au CRA des personnes haïtiennes en vue de leur expulsion. Sans succès en raison de la position actuelle des tribunaux, elle use de méthodes discutables ne laissant aucune opportunité aux personnes d’éviter une expulsion.
[1] Le prénom a été modifié.
[2] Le juge judiciaire peut décider d’assigner à résidence une personne, dans l’attente de son expulsion, si celle-ci dispose d’un hébergement et d’un passeport. La durée d’assignation est calquée sur la durée légale de rétention.
[3] Office français de protection des réfugiés et des apatrides, en charge d’examiner les demandes d’asile.
[4] Cour nationale du droit d’asile, juridiction d’appel en cas de rejet de la demande d’asile par l’OFPRA.
Auteur: Région Outre-Mer
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