Ecoutez-moi, j’ai quelque chose à dire.
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Si la solidarité devait être considérée comme un délit, c’est toute la cohésion de notre société qui s’effondrerait. Avec tous les risques de fracture sociale que l’on voit déjà poindre.
Atterrant, stupéfiant, révoltant : les qualificatifs ne manquent pas pour exprimer nos réactions face à la multiplication des mesures de harcèlement, d’intimidation ou d’assignation devant les tribunaux de citoyennes et de citoyens accusés, ou soupçonnés, d’être un peu trop humains, un peu trop généreux, un peu trop solidaires de personnes étrangères en désarroi !
Esprit de l’état d’urgence, es-tu là ?
Comment interpréter autrement cette contamination répressive qui a saisi les responsables politiques au point de les aveugler en se trompant de cible ?
Comment comprendre et accepter un tel déploiement de militaires et de policiers pour empêcher des hommes et des femmes d’agir simplement comme des êtres humains qui tendent la main à d’autres êtres humains en détresse ?
Il faut probablement aller aussi plus loin pour chercher des réponses. Dans le triste bilan des politiques publiques européennes et françaises qui se laissent entraîner dans une surenchère sécuritaire, aveuglées par l’obsession de « l’appel d’air ». Des murs « anti-migrants » sont érigés des pays des Balkans jusqu’à Calais, des obstacles de toutes sortes se multiplient aux frontières et dans les pays mêmes pour bloquer, rejeter, décourager ou rendre invisibles des milliers de personnes migrantes à la recherche d’un lieu pour vivre dignement.
En dépit de cette réalité, l’obsession sécuritaire, renforcée par l’état d’urgence en France, conduit au raisonnement simpliste selon lequel moins le pays se montrera hospitalier, plus les candidats à l’asile ou à la simple survie se passeront le mot et iront chercher ailleurs.
L’hospitalité, voilà l’ennemi ! En conséquence, les acteurs de cette hospitalité sur le terrain, qui ne se préoccupent pas de savoir si les gens en souffrance ou en danger qu’ils rencontrent ont les bons papiers, deviennent donc des gêneurs objectifs, et même des « délinquants ».
La loi a prévu le délit : l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) punit d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France ».
Bien que cette disposition soit destinée à ceux qui font commerce du trafic ou de l’exploitation des personnes étrangères, elle a été progressivement utilisée contre des citoyens solidaires qui leur apportaient un soutien désintéressé. Dès 2009, le mouvement associatif s’est mobilisé contre cette forme de criminalisation de la solidarité en dénonçant ce qui a été désigné comme le « délit de solidarité ».
Ils ont été partiellement entendus par la majorité issue des élections de 2012, mais partiellement seulement. En effet, la loi du 31 décembre 2012 prévoit des « exemptions humanitaires » (L. 622-4) excluant de poursuites pénales « toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci. »
On a crié trop vite à la fin du « délit de solidarité ». On est loin du compte ! D’abord parce que les exemptions excluent l’aide à l’entrée et à la circulation en France des personnes étrangères en situation irrégulière. On peut donc être poursuivi et condamné si on aide gratuitement une personne étrangère à passer la frontière ou même à se déplacer d’un point à un autre du territoire national. Dans les Alpes maritimes, de nombreuses personnes ont été interpelées et traduites en justice pour avoir pris à bord de leur véhicule des personnes migrantes en détresse, entrées illégalement en France. Ensuite, parce que deux conditions cumulatives doivent être remplies pour échapper à toute poursuite : ne recevoir aucune contrepartie « directe ou indirecte » (comme le texte ne précise pas quelle peut être la nature de ces contreparties, on a pu constater des interprétations absurdes ou tendancieuses) ; limiter son aide aux domaines prescrits par la loi, toute autre initiative de solidarité reste donc possiblement condamnable. Donner des cours de langue française ou recharger un téléphone portable, par exemple ?
Ces clauses restrictives ouvrent donc encore la porte à des poursuites contre des « aidants solidaires », et, en tous cas, en font planer la menace. Certes, le tribunal saisi des poursuites pourra, le cas échéant, prononcer une décision de relaxe contre l’avis du procureur. Mais même en cas de relaxe ou d’abandon des poursuites, les personnes inquiétées auront néanmoins subi durement toutes les conséquences, directes et indirectes, d’une enquête pénale et, éventuellement, d’une comparution devant un tribunal correctionnel.
Comme si ces dispositions répressives et menaçantes contenues dans le Ceseda ne suffisaient pas pour dissuader les citoyens de venir en aide aux personnes étrangères les plus vulnérables ou les plus menacées, d’autres chefs d’inculpation se rapportant à divers délits sont invoqués pour entraver les actions de solidarité citoyenne et inquiéter les personnes qui s’engagent : délit d’outrage ou de rébellion à agent de la force publique, délit d’entrave à la circulation d’aéronef, etc.
« Je me suis mis dans l’illégalité parce que l’État ne respecte pas la légalité » a déclaré Cédric Herrou en marge de son procès.
Les faits lui donnent raison : à la frontière italienne, à Calais ou dans de nombreuses autres situations, c’est bien l’État qui est en défaut par rapport à la loi – par action ou par omission. Quelques exemples :
– Lorsqu’il n’assume pas ses obligations légales de protection et de prise en charge de mineurs non accompagnés, quand ils ne sont pas directement refoulés à la frontière comme c’est le cas vers l’Italie actuellement. L’association « Roya citoyenne » a d’ailleurs déposé une plainte pour « délaissement de personnes hors d’état de se protéger » visant les autorités françaises qui n’assument pas leur devoir d’assistance des mineurs.
– Lorsqu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour que les personnes arrêtées à la frontière italienne puissent déposer une demande d’asile en France, conformément à la Convention de Genève sur les réfugiés et au droit de l’Union européenne.
– Lorsque les policiers procèdent à des arrestations arbitraire « au faciès », dans la zone frontalière avec l’Italie où les personnes interpellées sont refoulées sans leur notifier par écrit et dans une langue qu’elles comprennent la décision de refus d’entrer, ou dans la région de Calais où les personnes migrantes sont harcelées, menacées, arrêtées pour le seul délit d’être là où on ne veut plus les voir.
– Lorsqu’il ne règle pas les dysfonctionnements du dispositif d’asile qui condamne des candidats à l’asile à attendre des semaines ou des mois dans la plus grande précarité et sans aucun droit avant de pouvoir déposer leur demande.
– Lorsqu’il procède à des expulsions de campements de populations de culture rom, sans proposer d’alternatives.
C’est d’abord pour palier à ces manquements ou à ces détournements du droit par l’État et ses services que se mobilisent les « aidants solidaires ». Et les pouvoirs publics se mettent en contravention avec la loi citée plus haut quand ils s’en prennent aux citoyens ou aux associations qui ne font qu’offrir des aides désintéressées visant à « préserver la dignité ou l’intégrité physique » aux personnes étrangères.
Celles et ceux qui s’engagent à apporter leur soutien aux personnes migrantes laissées au bord du chemin, au bord du droit, expriment avant tout leur humanité.
En conscience, ils manifestent que pour eux la légitimité de leur action s’impose s’il s’agit de protéger la vie, la dignité et les droits fondamentaux d’êtres humains en danger. Même si c’est en contradiction, ou aux marges de la légalité.
S’affirmer « délinquants solidaires » n’est pas qu’un slogan : c’est un acte de résistance citoyenne, au risque de la désobéissance civique. Au nom d’une éthique qui place l’humanité au centre. C’est aussi un cri d’alarme devant les conséquences de la spirale sécuritaire qui peut balayer des principes fondamentaux qui nous permettent de vivre ensemble.
Si la solidarité devait être considérée comme un délit, c’est toute la cohésion de notre société qui s’effondrerait. Avec tous les risques de fracture sociale que l’on voit déjà poindre.
Geneviève Jacques, présidente de La Cimade
Une tribune publiée dans l’édition Les mots en campagne de Mediapart
Auteur: Service communication
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