Les Charter Awards 2024 en Guyane !
En novembre 2024, quarante ans après l'ouverture des premiers centres de rétention ...
M. L., ressortissant Guyanien, placé au centre de rétention administrative de Matoury immédiatement après sa sortie de prison, est entré en France en 1998 et a 6 enfants sur le territoire. Incarcéré dans l’Hexagone et expulsé vers le Guyana en 2019, il est de nouveau menacé d’expulsion.
Quelles sont les conditions de vie au CRA ?
Au niveau de la nourriture, hier soir j’ai demandé un repas en plus et le policier m’a sorti un plat totalement rassis. Mais je ne suis pas un chien moi ! En prison j’avais une baguette de pain entière tous les jours, je pouvais cuisiner, j’avais tout, mais ici tu ne peux rien faire.
Ici c’est comme la prison mais en pire.
Ici il n’y a même pas de produit qui sent bon pour nettoyer. J’ai peur d’attraper des maladies.
Par la fenêtre il n‘y a pas de moustiquaire et à la tombée de la nuit, il y a plein de moustiques et de papillons qui rentrent et ça gratte la peau toute la nuit. Ce matin il y avait comme des larves de moustiques partout dans les toilettes.
A chaque fois qu’on veut aller aux toilettes on doit faire la démarche d’aller demander aux policiers des morceaux de papiers toilettes car on ne nous donne pas de rouleau de papier en entier. C’est humiliant.
On ne dort pas dans les chambres car il y fait beaucoup trop chaud. Et les ventilateurs sont tellement saturés de poussière qu’ils ne ventilent plus rien du tout. Je n’ai pas dormi dans la chambre une seule fois depuis mon arrivée au CRA. On préfère dormir sur les matelas par terre dans la salle TV avec les autres retenus.
Il n’y a rien comme activité au centre de rétention, il n’y a même pas de dictionnaire dans la bibliothèque alors que j’adore lire les mots en français. Il n’y a pas non plus de table pour jouer aux dominos donc il faut mettre une serviette par terre pour jouer car si on y joue sur la table en verre du babyfoot les policiers nous engueulent.
Pourquoi avez-vous décidé de commencer une grève de la faim ?
J’ai commencé une grève de la faim hier soir le 3 aout 2022 par désespoir. C’est injuste, je suis arrivé en Guyane en 1998, j’ai toute ma vie en France, j’ai déjà eu les papiers et je ne comprends pas ce que je fais là. J’ai besoin de mes papiers, j’en ai marre. Je ne peux même pas aller voir où ma mère est enterré et ça m’a rendu fou.
Tout à l’heure, j’étais allongé en regardant la TV et je me demandais ce que je faisais là. Que dois-je faire pour attirer l’attention des autorités pour leur dire de ne pas jouer comme ça avec la vie des gens ? Que je me mette une corde autour du cou ?!
Au CRA, je vois passer des personnes qui ont fait des choses pires que moi et qui sortent de là. Je vois des personnes qui ne font que rentrer et sortir. Pendant que moi je reste là. Depuis que je suis là j’ai vu 5 haïtiens libérés et j’ai vu un brésilien qui m’a dit moi, l’expulsion, ça m’arrange, on me paie le taxi.
Hier j’ai dit au juge de la Cour d’appel de ne pas faire venir l’interprète car je lis et je parle parfaitement le français donc qu’il ne fallait pas qu’il dépense son argent pour rien. Ce que je me demande c’est : comment ils pensent les juges ? J’ai l’impression qu’il n’y a pas de cohérence, chacun prend sa décision de son côté.
Pourquoi ce juge a-t-il prolongé mon enfermement de 28 jours ? ça me rend fou ici, ce n’est pas ma place ici. Je ne dors pas de la nuit : je pense, je pense et je stresse. Je souhaiterais voir le médecin pour qu’il m’administre des somnifères. Ici, il y a des personnes qui parlent toute seule la nuit, d’autres qui ne se lavent pas.
Comment en êtes-vous arrivé là ?
Je me suis fait tirer dessus en Guyane il y a une dizaine d’années et on m’a alors envoyé me faire soigner dans un hôpital en métropole. Je suis alors resté 4 mois à l’hôpital. Je vis désormais avec deux balles logées dans mon corps. De là, je suis resté en métropole, j’ai trouvé une femme, du travail dans le champagne et j’ai eu des enfants.
Je n’ai rien besoin de plus que mes papiers pour continuer ma vie. J’ai déjà tout fait, j’ai mes enfants en métropole. J’ai juste besoin de mes papiers. J’ai l’impression d’être un nul, d’être handicapé. Je souhaite plus que tout participer à l’entretien de mes enfants. Mon fils est militaire à Charles de Gaulle, il sert la France et moi je ne peux pas avoir de papiers ?
J’adore mes enfants. Moi mon père, il m’a abandonné à l’âge de deux ans donc je donne beaucoup d’amour à mes enfants. Je ne suis pas un sauvage, je rêve juste de me lever le matin et de faire un câlin à ma fille puis de préparer le petit-déjeuner à ma femme. C’est moi l’homme au foyer à la maison car je suis sans-papiers : comme je ne peux pas travailler, c’est moi qui m’occupe de toutes les tâches ménagères.
Ma femme ? Je n’ai pas envie de lui téléphoner, c’est trop destructeur. Ce qui m’attriste, c’est que mon beau-père pense que comme je suis sans-papiers, je vais détruire la vie de sa fille.
A l’extérieur, j’aide les personnes immigrées à faire leurs papiers. C’est ça le comble ! Mais je garde la foi.
On est des humains mais on ne nous traite pas comme tel. C’est trop, c’est abusé. Je veux travailler. Je veux saisir ma chance. Ce n’est pas ma place ici. La loi française dit qu’on peut obtenir les papiers au bout de dix ans sur le territoire français. Alors pourquoi la loi elle ne s’applique pas à moi ?
Ma vie maintenant elle appartient à l’Etat.
La Cimade publie les témoignages des personnes qu’elle accompagne, en particulier dans les centres de rétention. Une parole libre d’une personne enfermée. Une parole qui permet de saisir les conséquences des politiques à l’égard des personnes en migration. Des textes, des extraits sonores ou des vidéos recueillis par les intervenant·e·s de La Cimade.
Auteur: Région Outre-Mer
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