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Durant tout l’été, des opérations d’arrestation et de déplacements forcés de personnes noires non marocaines ont été menées dans plusieurs villes du nord du Maroc, non loin des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Si des opérations de ce type ont déjà été observées et dénoncées par le passé, celles-ci se distinguent non seulement part leur envergure – avec plus de 6500 personnes arrêtées et déplacées de force entre juillet et début septembre 2018 – mais également par leur caractère extrêmement violent vis-à-vis des personnes ciblées.
Le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers migrants (GADEM) a recueilli les témoignages de plusieurs victimes de ces arrestations et déplacements massifs (11 femmes, 19 hommes et 15 mineurs) et livre une analyse glaçante de cette séquence répressive dans son rapport « Coûts et blessures » publié le 29 septembre 2018.
L’objectif de ces opérations est clair : repousser le plus loin possible de la frontière européenne toutes celles et ceux que le Maroc et les Etats européens, au premier rang desquels l’Espagne, jugent indésirables. Si les autorités tentent de justifier ces interventions par la nécessité de « lutter contre les réseaux de traite des êtres humains », les méthodes utilisées et la population ciblée démontrent que celles-ci visent avant tout à mettre à distance, décourager et punir les personnes migrantes noires présentes dans les villes du Nord du royaume chérifien, indépendamment de leurs statuts (titulaire d’un droit au séjour ou en situation irrégulière) et de leurs situations particulières (hommes, femmes, enfants, personnes malades, etc.).
Les témoignages recueillis révèlent un mode opératoire expéditif et violent sans qu’aucune explication concernant les motifs de l’arrestation et du déplacement forcé ne soit jamais communiquée, en violation des droits des personnes. En dehors de tout cadre juridique, les personnes sont arrêtées très tôt dans le matin ou dans la nuit, souvent à la suite d’une intrusion des forces de l’ordre dans leur domicile. Parmi les personnes interrogées, certaines témoignent avoir été arrêtées chez elle, surprises dans leur sommeil, embarquées parfois en sous-vêtements. Elles sont ensuite emmenées au commissariat où elles sont identifiées et fichées avant d’être placées dans des bus qui partent en fin de journée. Enfin, elles sont déplacées de force vers le Sud du pays, soit le plus loin possible de la frontière avec l’Espagne. Tout au long des opérations, les personnes rapportent à maintes reprises s’être vues confisquées voire détruire leurs effets personnels (téléphone, document d’identité ou de séjour tel que la preuve d’enregistrement en tant que demandeurs d’asile ou leur carte de réfugié, etc.) et avoir subi des violences verbales et physiques de la part des forces de l’ordre.
Si elles ne connaissent pas les motifs de leurs arrestations, les personnes ne connaissent pas non plus leurs destinations avant le dernier moment. Elles sont abandonnées « à la sortie d’une autoroute, au niveau d’un péage […] seules, souvent désorientées, ne sachant pas du tout où elles se trouvent » et dans des conditions parfois très difficiles : sans eau, sans nourriture, sans argent, sans hébergement et exposées à des risques de violences.
Au-delà des déplacements forcés au Sud du pays, certaines personnes ont été refoulées jusque dans le « no man’s land » de la frontière entre le Maroc et l’Algérie.
Discriminatoires, ces opérations visent « tou∙te∙s les noir∙e∙s sans distinction » et personne n’est épargné. Des enfants – parmi lesquels de nombreux mineurs non accompagnés – mais aussi des bébés, des femmes, des personnes malades, des personnes ayant obtenu le statut de réfugié, des personnes ayant un droit au séjour au Maroc, etc. comptent parmi les victimes de ces déplacement forcés à répétition. Ces arrestations sont faites au faciès, et très peu sur la base des documents de séjour, sans aucun fondement juridique, portant atteinte aux droits et à la dignité des personnes.
Si ces actes sont toujours traumatisants et impactent fortement la santé physique et mentale des personnes, certains voyages tournent au cauchemar. Ce fut notamment le cas pour deux hommes qui, dans une tentative de fuite pour éviter le déplacement forcé, ont sauté du bus menottés l’un à l’autre et n’ont pas survécu à leurs blessures. Parmi eux, un jeune malien âgé d’à peine 16 ans.
Pour en comprendre les enjeux politiques et diplomatiques, il est nécessaire de situer ces opérations dans le cadre plus global de la coopération extérieure de l’UE avec ses Etats voisins. Comme le souligne le GADEM, « le Maroc a toujours su jouer de sa position géographique et de la présence sur son territoire de personnes en migration, originaires notamment d’Afrique de l’Ouest et centrale, pour mener à bien ses négociations avec l’Union européenne et ses États membres, notamment l’Espagne. Cette position a été encore renforcée depuis que l’Espagne a été déclarée principale porte d’entrée des personnes migrantes sur le territoire européen. Le Maroc mène ainsi un jeu, alternant coopération et résistance, afin d’obtenir un plus grand soutien financier de ces partenaires européens, que ce soit dans le domaine des migrations, et plus largement, pour le développement économique et sociale du Royaume. ». Or, suite au passage réussi des barrières de Ceuta de 602 personnes le 26 juillet 2018, l’Espagne a accusé les autorités espagnoles de laxisme. Face à ces critiques, le Maroc a rétorqué fournir des efforts exceptionnels en matière de lutte contre l’immigration irrégulière mais manquer de soutien de la part de l’Union européenne. Stratégie payante puisque Madrid a décidé de renforcer les moyens humains et matériels dans les villes de Ceuta et Melilla grâce à un nouveau soutien financier de l’Union européenne d’environ 30 millions d’euros. Le 6 septembre 2018, le porte-parole du gouvernement marocain a encore davantage durci le ton en déclarant que le Maroc « refuse de jouer au gendarme dans la région […] posant ainsi les jalons de sa coopération, en redéfinissant les rôles de chacun, et en insistant sur le fait qu’il était indispensable dans la lutte contre les migrations irrégulières. Cette marque de bonne volonté était un message pour l’Espagne, mais également pour l’Union européenne qui s’est engagée à renforcer et augmenter son appui financier. Malheureusement, toutes ces considérations sont loin de prendre en compte le sort et les droits humains des premier∙e∙s concerné∙e∙s que sont les personnes migrantes et qui deviennent les pions d’une stratégie qui les dépassent ».
Pour aller plus loin, télécharger le rapport du GADEM :
» Télécharger le document
Auteur: Pôle Europe et International
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