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Mobilisation étudiante : quand la solidarité avec les exilé·e·s passe par les facs parisiennes

26 juin 2018

Alors que l’Université de Paris 8 a été évacuée au petit matin du 26 juin 2018, La Cimade publie un reportage sur l’engagement des étudiants et des étudiantes en faveur de personnes exilées.

Paris 8, Tolbiac, Jussieu… autant d’universités dont les noms ont défrayé la chronique ces dernières semaines au nom de la lutte contre la réforme universitaire. Pourtant, la mobilisation de la plupart de ces étudiant·e·s était indissociable de la lutte contre une autre loi jugée tout aussi injuste et sélective : la loi Asile et Immigration. Le Sénat vient d’adopter un texte encore plus répressif que celui voté en avril par l’Assemblée nationale et le jour où les exilé·e·s qui occupent de Paris 8-Saint-Denis ont vécu une évacuation, retour sur ces quelques mois de mobilisation.

Il est 13 heures, à Jussieu, Paris 6. Plusieurs étudiant·e·s profitent de leur pause-déjeuner pour assister aux réunions qui se tiennent dans deux salles voisines de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC). Dans la première réunion, l’on discute de la nécessité d’un blocage pour sensibiliser les autres étudiant·e·s aux enjeux de la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE), tandis que dans la seconde, on s’occupe du planning des prochaines maraudes à organiser pour les exilé·e·s. Et beaucoup vont et viennent entre les deux.

Luttes similaires ? Pour beaucoup, le point commun est évident : « Nous nous soulevons contre un même principe injuste de sélection, que ce soit à l’entrée des facs ou au niveau des frontières ». Dans ce contexte, l’association RESOME (Réseau études supérieures et orientation des migrant·e·s et éxilé·e·s) milite pour l’accès des personnes exilées à l’université, à travers la mise en place de programmes de reprise d’études, alliant cours de FLE (français langue étrangère) et des cours plus spécialisés, notamment pour les filières scientifiques. « Notre but est également de porter une parole politique commune pour l’ouverture des universités aux exilé·e·s, affirme Éloïse, membre de l’association Ouvrir P6 qui fait partie de RESOME. Beaucoup d’exilé·e·s pensent que ce n’est pas possible de reprendre des études à cause de leur statut de sans-papiers ou de demandeurs d’asile, mais c’est faux. Tout le monde a le droit de s’inscrire à l’université, indépendamment de son statut administratif. Nous aspirons à la création de programmes spécifiques de reprise d’études, en parallèle des permanences d’information. »

 

Créer un rapport de force

Mais le projet était loin d’être du goût de l’administration de l’université, qui n’a même pas accordé de salles aux bénévoles du RESOME. Devant le refus de toute discussion opposée aux étudiant·e·s, un certain nombre d’entre eux, qui avaient déjà participé à l’occupation de Paris 8-Saint-Denis, décident le 28 février d’occuper la faculté, au moment où la température a atteint -7°C à Paris et dans un lieu qui leur semblait tout indiqué : « À la fac, il y a un bâtiment vide parce qu’il est voué à être détruit, mais il correspond toujours aux normes, et en plus il était chauffé alors qu’il y avait des gens qui dormaient dehors ! »

 

L’opération n’aura finalement pas duré 24 heures : la carte CRS est brandie par l’administration. Faute de pouvoir mener leur projet jusqu’au bout, plus d’une centaine d’étudiant·e·s et de professeur·e·s en colère se réunissent alors au pied de la tour Zamanzsky et une assemblée générale est organisée dans la foulée, pour donner lieu à Sorbonne sans frontières (SSF), un autre collectif qui vient prêter main forte aux militants mobilisés. Kevin, un des membres de SSF, explique : « Le but premier de SSF était de faire avancer les revendications d’Ouvrir P6 et d’obtenir des choses en plus, comme l’inscription des étudiant·e·s sans-papiers en vue d’une régularisation, ou l’accès au CROUS [restaurant universitaire] au même prix que les étudiants inscrits. On voulait d’une part que les administrations des universités se portent garantes des étudiant·e·s sans-papiers auprès des préfectures, mais également centraliser tout ce qui se faisait autour de cette mobilisation dans les facs. »

 

De la loi Travail à l’accueil des exilé·e·s

Kevin n’est pourtant affilié à aucune organisation, mais ses débuts de militant remontent à 2016, avec la mobilisation contre la loi Travail. Comme pour nombre de ses camarades, il ne conçoit pas de séparation entre ces différents combats : « Je connaissais un noyau dur de militants qui s’est formé à l’époque [2016] à Jussieu. Le réflexe a été de nous retrouver, en début d’année, d’abord contre la loi ORE, mais la question des exilé·e·s s’est rapidement imposée. »

L’administration d’UPMC finit par céder : « Ils refuseront toujours d’admettre le lien, dit Éloïse, mais après le rassemblement, ils ont enfin accepté de nous donner une salle ». Kevin renchérit : « Nous avons créé un rapport de force », mais aussi un lieu pour centraliser les maraudes et recueillir les dons de nourriture, de vêtements et d’argent pour Paris 8, qui demeure l’expérience la plus aboutie parmi les universités franciliennes. Et même ailleurs.

Antoine est en première année au Conservatoire à rayonnement régional (CRR) de Paris et membre du collectif Les Étudiant·e·s des conservatoires de Paris s’organisent. Lui aussi avait fait ses premières classes de militant lors de la mobilisation contre la loi Travail, mais c’est surtout la situation dans le camp de la Chapelle qui l’avait « dégoûté ». « Avec la vague de froid de février surtout, je ne voulais plus rester les bras croisés ». L’idée d’un texte puis d’un collectif au sein du conservatoire, dont la mission serait de faire la collecte pour les exilés installés à Paris 8, ne tarde pas à émerger. Mais dans son établissement où l’on entre sur concours, la perspective d’une cause aussi politique inquiétait : « La direction voulait que ce soit juste de l’humanitaire, sans revendications politiques. Alors on a respecté les règles, pour organiser les collectes, mais sur les réseaux sociaux, on a été plus clair, car la question est évidemment politique ». Car, comme pour Les Étudiants d’art en lutte, le soutien aux exilé·e·s ne s’est pas arrêté aux portes des établissements d’art, réputés élitistes, bien qu’un travail de sensibilisation ait été nécessaire auprès des autres élèves qu’Antoine juge « trop dépolitisés. Chacun est dans sa bulle. Ils pensent juste à leurs études et ont peur de consacrer du temps à autre chose ». Ses camarades du conservatoire et lui aussi pensent également à leur statut de jeunes musiciens, mais à leur façon, et décident de le mettre au profit de leur cause, notamment en organisant des concerts de soutien à Paris 8 : « Certains de nos profs étaient fiers de nous, de nous voir mobilisés, alors qu’ils n’avaient pas osé ».

 

Un îlot de résistance à Saint-Denis

Au bout de la ligne 13 du métro, le bâtiment A de l’université Paris 8-Saint Denis qui est en effet devenu le lieu de pèlerinage des militant·e·s solidaires des exilé·e·s. « Des papiers et du logement pour tous, bienvenue aux réfugiés ! », lit-on, en arabe, sur l’une des banderoles qui ornent l’édifice. Les murs sont décorés de slogans et de dessins, laissant exploser la créativité des exilé·e·s accueilli·e·s et de leurs camarades étudiant·e·s. Si leur avenir est encore incertain, à la veille de la fermeture estivale de l’université, l’accomplissement ne peut que forcer le respect : depuis cinq mois, près de 150 exilé·e·s qui se trouvaient dans les camps du nord de la capitale bénéficient d’un toit, de nourriture et de conditions de vie décentes. Non seulement ils ont pu échapper à la vague de froid, mais ils ont également pu se réunir, s’organiser et porter leurs revendications. Car ce n’est pas seulement l’efficacité de l’accueil que les étudiant·e·s des autres établissements saluent à Paris 8, mais également la démarche : ici, les étudiants « n’aident pas » les exilés : « On lutte ensemble contre un État raciste ! ». Ces derniers sont en effet présents aux réunions qui ont lieu plusieurs fois par semaine, et la traduction – en cinq langues – est à chaque fois assurée. De même, lors de la conférence de presse organisée le 12 juin en prévision d’une évacuation éventuelle, où des représentants des étudiant·e·s mobilisé·e·s de Paris 8 ont fait le bilan de la situation avant de céder la parole et la place exclusivement aux représentants des exilé·e·s, qui ont rappelé leurs revendications et répondu aux questions des journalistes.

Mais au fil des mois, des nuits passées sur place et des négociations avec la présidence et la préfecture, la fatigue commence à se lire sur les visages des étudiant·e·s qui vivent désormais la mobilisation au jour le jour, tandis que les exilé·e·s affirment ne pas avoir l’intention de partir : « Faites ce que vous voulez, nous, on reste là ! ». Il y a d’abord eu les trois premiers mois, la solidarité de certain·e·s enseignant·e·s qui ont même accueilli des exilé·e·s dans leurs cours, le bras de fer avec la présidence qui mettait en avant le risque encouru à cause de la vétusté des lieux. La mobilisation avait alors maintenu le cap, portée par un printemps qui a vu fleurir différentes luttes sociales, et la présidente a fini par entamer une négociation avec les ministères de tutelle pour porter la revendication des personnes en lutte : une régularisation pour tous. Mais la joie a été de courte durée : aujourd’hui, les négociations « ont échoué », et à part quelques dizaines d’étudiants qui ont obtenu une inscription à l’université, aucun espoir de régularisation n’est désormais permis.

 

Étudiant·e·s et sans-papiers

Obtenir une carte d’étudiant ne garantit en effet en rien l’obtention d’un titre de séjour : « C’est même plus sournois que cela : les étudiants sans-papiers payent la totalité des frais d’inscription, y compris la cotisation à la sécurité sociale étudiante, alors qu’ils ne peuvent pas bénéficier de cette couverture santé ! », s’insurge Camille, du Réseau universités sans frontières (RUSF). Le but de cette association, dont l’activité dépasse largement la région Île-de-France, est de faire de l’accompagnement juridique et administratif auprès des étudiants sans-papiers, afin qu’ils obtiennent une régularisation de leur situation. Leurs activités vont des permanences d’information aux conseils de recours en cas d’OQTF (Obligation de quitter le territoire français), en passant par l’aide aux inscriptions dans les universités et les lettres de soutien auprès des préfectures. « Beaucoup ne savent pas qu’une procédure de régularisation existe, explique Camille, car on le nie souvent à la préfecture ». Autre obstacle auquel ils doivent faire face : la dématérialisation de la procédure de prise de rendez-vous. C’est le cas notamment à la préfecture de Bobigny (93) où tout passe par un site internet… rarement opérationnel.

RUSF ambitionne d’imposer une règle : une carte d’étudiant doit donner systématiquement droit à un titre de séjour. Mais la réalité est toute autre : « Il y a quelques années, on a réussi à avoir une sorte d’accord informel avec la préfecture qui acceptait de regarder les dossiers que nous lui présentions. Même si cela ne débouchait pas forcément sur des régularisations, on pouvait au moins avoir une idée sur les chances des uns et des autres, sans risquer une OQTF », une épée de Damoclès qui dissuade souvent les étudiants d’aller jusqu’au bout de la démarche. L’année dernière, sur une centaine de dossiers présentés, près de 75 ont débouché sur l’obtention d’un titre de séjour. Un taux qui a chuté à zéro depuis la rentrée 2017.

 

Entre essoufflement et espoirs

« Avant, des étudiants en deuxième année de licence pouvaient espérer une régularisation. Aujourd’hui, même avec un parcours sans redoublement jusqu’en master, ils n’obtiennent rien ». Car depuis septembre, le changement est radical. La préfecture oppose désormais un silence radio aux dossiers présentés par RUSF, qui s’est vu également privé de sa permanence à Paris I, avec l’occupation du site de Tolbiac par les CRS. « Ils ne veulent même plus donner un récépissé, ni un quelconque document qui prouverait qu’il y a une procédure en cours. C’est un refus implicite ». Les étudiant·e·s qui doivent valider un stage de fin d’études pour avoir leur diplôme voient ainsi leurs espoirs s’évaporer, faute d’un titre de séjour. Ainsi, il ne s’agit même plus de les empêcher d’accéder aux universités, mais juste de faire la sourde oreille.

« Aujourd’hui, on n’a plus aucune raison d’espérer une amélioration, regrette Camille. On continuera toutefois à tenir les permanences. En attendant, on organise un grand rassemblement le 28 juin devant la Cité Universitaire [où se trouve une antenne de la préfecture de police], dans l’espoir d’attirer à nouveau l’attention sur cette situation ». La même ambition, non dénuée de lucidité, est présente chez les autres militant·e·s : « Nous sommes présents sur plusieurs tableaux, constate Éloïse. Et même s’il s’agit d’un même combat, en pratique, il ne s’agit pas des mêmes manifs et ça finit par être épuisant ». Pourtant, elle sait que le travail de sensibilisation continuera à Paris 6, notamment en faisant appel aux associations professionnelles pour toucher le plus grand nombre d’étudiant·e·s. Kevin, pour sa part, ne perd pas espoir : « On a décidé de prendre part à la marche des solidarités cet été. Notre but désormais est de nous ancrer au maximum dans les activités de soutien aux exilés, quelles qu’elles soient ». Il faut dire qu’Ouvrir P6 peut se targuer au moins d’une victoire : les enseignant·e·s et les étudiant·e·s tuteur·e·s seront désormais rémunéré·e·s par l’université dans le cadre des programmes d’aide à la reprise d’études destinés aux exilé·e·s. Antoine constate également l’essoufflement du mouvement avec la fin de l’année et la tenue des examens, mais il mise sur une reprise à la rentrée. Il espère alors ne pas se contenter de participer aux collectes, mais de développer davantage de liens avec les exilé·e·s.

À l’une des entrées du bâtiment A de Paris 8, une main qui n’en démord pas d’optimisme a quant à elle griffonné : « La situation… est excellente. Kiss ».

 

 

Plume_80 

Sarra Grira

Photographies : © Célia Bonnin

 

Assemblée générale de mobilisation à Paris 6 (Jussieu) suite à la tentative ratée de mise à l'abri d'exilé·e·s dans les locaux de l'université, 7 mars 2018. © Célia Bonnin
Affichages à Paris 6. © Célia Bonnin
Suite à l'AG du 7 mars, le collectif Sorbonne sans frontières est créé. Première réunion, mars 2018. © Célia Bonnin
Réunion d'information à Paris 6, 14 mars 2018. © Célia Bonnin
Métro Saint-Denis-Université. © Célia Bonnin
Manifestation organisée par le Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (BAAM), contre la loi Asile Immigration le 15 avril 2018. Étudiants d'arts en lutte. © Célia Bonnin
Intérieur du bâtiment A de l'université Paris 8, avril 2018. © Célia Bonnin
Depuis plusieurs années le collectif Ouvrir P6 tentait d'obtenir des salles à Jussieu pour faire du soutien scolaire aux étudiants étrangers. Depuis la tentative d'occupation des locaux en février, l'administration semble plus à l'écoute. Les cours vont pouvoir commencer. © Célia Bonnin
Un samedi soir de froid glacial, un groupe d'étudiants à La Villette pour une maraude, mars 2018.  © Célia Bonnin
Un samedi soir de froid glacial en maraude au campement du Millénaire. Toute la collecte a été distribuée. Une partie du groupe attend ceux qui sont partis en quête d'eau chaude pour offrir du thé aux gens qui n'en ont pas eu. © Célia Bonnin
Les étudiants redonnent du sourire aux exilé·e·s du campement de la Villette avec un thé chaud et quelques vêtements. © Célia Bonnin

Préfecture de Bobigny le 23 mars 2018, manifestation pour faire avancer la situation administrative des exilé·e·s du bâtiment A de Paris 8. © Célia Bonnin

Préfecture de Bobigny le 23 mars 2018, manifestation pour faire avancer la situation administrative des exilé·e·s du bâtiment A de Paris 8. © Célia Bonnin
Préfecture de Bobigny le 23 mars 2018, manifestation pour faire avancer la situation administrative des exilé·e·s du bâtiment A de Paris 8. © Célia Bonnin
Soutien des étudiants pour les exilé.e.s de P8 alors que l'évacuation par la police semble imminente, nuit du 18 au 19 juin 2018. Certains essayent de se reposer en attendant l'arrivée des forces de l'ordre. © Célia Bonnin
Murs de l'université Paris 8-Saint-Denis, avril 2018. © Célia Bonnin
Soutien des étudiants pour les exilé·e·s de Paris 8 alors que l'évacuation par la police semble imminente, nuit du 18 au 19 juin 2018. © Célia Bonnin
26 juin 2018. Dès 4h40 du matin, la police expulse exilé·e·s et personnes solidaires qui occupaient l'Université Paris 8 depuis 5 mois pour demander des papiers et des logements. La police embarquent les exilé·e·s dans quatre cars en direction de gymnases. © Célia Bonnin
26 juin 2018. Dès 4h40 du matin, la police expulse exilé·e·s et personnes solidaires qui occupaient l'Université Paris 8 depuis 5 mois pour demander des papiers et des logements. La police embarquent les exilé·e·s dans quatre cars en direction de gymnases. © Célia Bonnin
26 juin 2018, évacuation de Paris 8. Une fois, les exilé·e·s partis, les soutiens sont libérés petit groupe par petit groupe à l'arrière de l'université après une fouille et un listing des identités. Pendant l'évacuation, ils ont été gazés et frappés pour certains d'entre-eux. Soulagement d'être sortis et de retrouver les proches. © Célia Bonnin

 

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Auteur: Service communication

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