Ecoutez-moi, j’ai quelque chose à dire.
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Voilà comment, en cinq jours, Mohammed, avec toute la fougue de son adolescence, a traversé l’univers des sans-papiers dans les mains de la justice et de l’administration française. Les Montaigus comme les Capulets doivent encore se retourner dans leur tombe…
Ouaich mâdame c’est ici l’avocat ? Je tourne la tête et mon regard se cogne à une casquette Lacoste élimée, façon contrefaçon. Il est entré sans frapper mais je renonce déjà à le lui faire remarquer. Son cou gesticule, ses épaules ont le hoquet, ses bras semblent échapper à son contrôle. Seul son regard est fixe, comme tendu, comme happé par l’écran de son téléphone portable.
Mohamed a tout juste 22 ans. Entre deux regards appuyés sur son téléphone, qui ne cesse de vibrer, il me questionne, sans détour, sans pudeur : C’est quoi ici ? Pourquoi ils m’ont amenés ici ? J’ai rien fait. Question. Sonnerie. Question. Vibration. Question. Je tente de démêler les fils, pour tricoter quelque chose qui se tienne ; peu à peu le tout prend forme.
Mohamed, tunisien, vit dans la région parisienne, chez son oncle, depuis bientôt deux ans. Entre petits boulots et errance, il surfe sur Internet, Facebook, Twitter… Il y rencontre Juliette, collégienne rongée d’ennui, trop à l’étroit dans les étendues corréziennes. Pendant plusieurs semaines, ils échangent tweets et SMS, puis décident de se voir. Mohamed prend le train ; ils se retrouvent ; ils s’échappent.
Ils vivent quatre jours de passion ardente, incandescente, entre kebabs et nuits à l’hôtel. La grande aventure. Mais Juliette n’a que 16 ans… Finalement, Mohamed décide de ramener Juliette à sa mère, laquelle, trop heureuse de retrouver la jeune adolescente, accueille aussi son jeune prétendant autour d’un café, avant qu’ils ne se rendent ensemble au commissariat, pour lever l’avis de recherche concernant la mineure. Il entre dans le commissariat avec une certaine fierté, main dans la main avec sa fiancée ; mais il n’en ressort pas. Les policiers profitent de sa venue pour l’interpeller pour situation irrégulière.
La mère de Juliette est catastrophée, elle se sent coupable et démunie, ne sait plus que faire. Juliette ne mange plus depuis l’interpellation de son amoureux. Son désespoir est à la mesure de sa passion, elle menace de se tuer. Après contact avec l’oncle de Mohamed, nous décidons de faire un recours contre l’arrêté de placement en rétention.
L’avocat que je contacte comprend qu’il s’agit d’un recours disons, pédagogique. Il s’agit de faire comprendre aux deux jeunes tourtereaux que ce n’est pas leur amour qui est sanctionné mais le hors piste dans lequel il s’inscrit. L’oncle de Mohamed, ainsi que Juliette et sa mère seront présents à l’audience, qui prendra un peu la forme d’une remise à plat, d’un nouveau départ…
C’était sans compter sur les voies de la justice parfois bien impénétrables… Contre toute attente, le juge de la liberté et de la détention convoque Mohammed au deuxième jour de son placement, avant, donc, son passage devant le tribunal administratif. Chose encore plus hallucinante pour qui connait les magistrats toulousains, ce juge décide d’annuler la procédure menée par les policiers, estimant dilatoire cette arrestation pour infraction à la législation sur les étrangers alors même que Mohamed s’était présenté de lui même dans le cadre d’une autre affaire.
Mohammed est donc déclaré libre. Il est tout de même ramené au CRA, et alors qu’il s’apprête à prendre son sac et ressortir, il comprend qu’il doit tout de même rester enfermé jusqu’à la fin des 5 jours du placement initial dont il a fait l’objet ! Absurde. Illogique. Stupide. Le lundi suivant, à 14 heures il est présenté au juge administratif, qui rejette sa requête : Mohamed à l’obligation de quitter le territoire, et peut être expulsé vers la Tunisie. Son univers s’effondre de nouveau. De retour au CRA, alors que ses jambes peinent à le porter tant l’émotion lui coupe le souffle, les policiers lui disent qu’il peut sortir!!!
Voilà comment, en cinq jours, Mohammed, avec toute la fougue de son adolescence, a traversé l’univers des sans-papiers dans les mains de la justice et de l’administration française. Les Montaigus comme les Capulets doivent encore se retourner dans leur tombe…
Amélie, Planète CRA n°34
Auteur: Service communication
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