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Non, héberger un « clandestin » n’est pas illégal en soi

19 octobre 2017

Par un jugement rendu le 31 mai 2017, le tribunal de grande instance de Mamoudzou s’est prononcé sur un cas de « délit de solidarité » à Mayotte, à savoir l’hébergement par un mahorais de personnes délogées, en situation irrégulière. La décision – relaxe de la personne prévenue – n’a pourtant pas ébranlé la stratégie mis en place par les collectifs locaux à l’origine des « décasages » de l’année 2016, qui persistent dans une logique de dissuasion vis-à-vis de l’aide apportée à des Comorien.e.s en situation irrégulière.

Manifestation du Codim devant le TGI de Mamoudzou, avril 2017© Leny Stora


Les particularités mahoraises du droit des personnes étrangères et la sévérité institutionnelle observable à l’égard de ces dernières laissaient poindre une certaine appréhension dans l’attente du jugement du tribunal correctionnel de Mamoudzou. Le tribunal était alors  amené à se prononcer sur l’interprétation du « délit de solidarité » à Mayotte. Les faits reprochés au prévenu  étaient d’avoir hébergé cinq femmes en situation irrégulière -et une enceinte- dans «  des conditions incompatibles avec la dignité humaine ». Dans cette affaire, faut-il y voir un énième marchand de sommeil peu scrupuleux ? Hé ho! Pas si vite!

Pour saisir l’absurdité de cette affaire et de celles qui s’en suivront, il est nécessaire de rappeler le contexte dans lequel elle est intervenue. De janvier à juin 2016, des collectifs informels de mahorais.e.s se sont organisés afin de déloger des habitant.e.s étranger.e.s – comprendre Comorien.e.s – de leurs villages. L’absence de réponse et le silence assourdissant des pouvoirs publics  a contraint des centaines de personnes à s’installer à même le sol de “La Place de la République” à Mamoudzou. Ces « décasages » –  ou  appelons-les expulsions sauvages d’hommes  de femmes et d’enfants en situation régulière ou non – traduisait une violation indéniable de leurs droits les plus fondamentaux dans des conditions assurément incompatibles avec la dignité humaine. Un pas de plus sereinement franchi dans le cynisme et l’hypocrisie institutionnelle.

Face à cette tragédie moderne d’humiliation en place publique et l’action quasi-inexistante de protection de l’État, la solidarité – qui reste un réflexe avant d’être un délit – s’est organisée sur l’île, principalement par l’hébergement et la mise à l’abri de personnes en état de nécessité. C’est ainsi que le prévenu, un mahorais, s’est vu déféré devant la justice suite à une dénonciation par un.e voisin.e. Suite aux témoignages de représentant de La Cimade et Médecins du Monde ainsi que la plaidoirie de Me Gheam, il sera finalement relaxé, les éléments du dossier étant jugés insuffisants pour retenir contre lui une intention malveillante. Si elle peut être saluée, la décision rendue aurait toutefois difficilement pu être autre. En effet, le « délit de solidarité » –  appellation purement partiale de l’ « aide à l’entrée ou au séjour irréguliers d’étrangers en France ou dans l’espace Schengen ayant pour effet de le soumettre à des conditions incompatibles avec la dignité humaine », est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Il reste néanmoins atténué par diverses exceptions : ainsi ne peut être condamné l’hébergement des membres de famille, mais également de « toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger » (art. L622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). C’est en l’espèce l’élément retenu par le tribunal, qui vient de ce fait lever le doute sur la légalité d’une pratique rendue indispensable par le désengagement de l’État français sur la question : 36 places d’hébergement d’urgence et une poignée de logements sociaux réservés aux bénéficiaires de cartes de résident (octroyées après de longues années de séjour régulier et d’une situation professionnelle stable).

L’hébergement, condition nécessaire à l’obtention d’une carte de séjour [accueil du service étrangers de la Préfecture de Mayotte/mars 2017] © Leny Stora

 

Partant, cette affaire somme toute anodine et symptomatique d’un « business » de l’hébergement parfois conduit pas un simple objectif de profit pour la personne hébergeante, apporte un éclaircissement bienvenu quant aux risques encourus en cas d’aide matérielle à des personnes étrangères en situation irrégulière. Car plane sur Mayotte un climat de méfiance envers des gestes simples de solidarité, alimenté par des collectifs ouvertement xénophobes et leurs relais politico-médiatiques particulièrement influents. A l’origine des premiers « décasages », le CODIM (comité de défense des intérêts de Mayotte) mène une lutte sans relâche visant à décourager l’hébergement de migrant.e.s, en faisant croire que tout individu qui hébergerait des personnes en situation irrégulière pourrait être condamné à 5 ans d’emprisonnement et 30 000e d’amende.

Ainsi, nombreux sont les mahorais ou les étrangers en situation régulière qui hésitent dorénavant à délivrer des attestations d’hébergement à des personnes en instance de régularisation. Pourtant, l’attestation d’hébergement constitue le sacré graal indispensable à l’accomplissement de la moindre démarche sociale et administrative. Ce saint graal se négocie, se monnaye parfois, car constitue la première étape dans l’espoir de faire valoir ses droits : inscription à l’école, ouverture de prestations sociales, demande d’un titre de séjour. La lecture de la loi doit se faire au regard du contexte mahorais. Sur l’île, la possession d’un hébergement « réel » – à la différence d’une domiciliation postale – est un préalable indispensable à la moindre démarche administrative.

Pourtant, toute la stratégie dissuasive des groupes militants mahorais en faveur des  « décasages » était fondée sur une peine maximale encourue, sans préciser que lorsqu’un hébergement d’une personne en situation irrégulière se fait sans profits et dans une visée d’entre-aide, la personne peut ne pas être poursuivie. La Mairie de la commune de Chirongui avait également relayé cette information en réalisant des mises en demeure.

Ce jugement du 31 mai 2017 vient ainsi battre en brèche l’argumentation du CODIM et de toutes les personnes qui cherchent à empêcher l’accès aux cartes de séjour pour des milliers de comoriens.

La presse locale n’en avait malheureusement quasiment pas fait écho. Un groupe de presse privé radio-télé-journal, présent à l’audience, avait même considéré ce sujet comme «non-prioritaire ». Nous espérons par ce texte que les données juridiques de cette problématique seront maintenant prises en compte sur le 101ème département français.

Pour aller plus loin, voir l’article du GISTI : http://www.gisti.org/spip.php?article5690

Auteur: Région Outre-Mer

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