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Le nouveau mécanisme européen de débarquement et de sauvetage en Méditerranée, discuté à l’occasion du Conseil européen le 8 octobre 2019, s’apparente fortement à l’approche hotspot développée par l’Union européenne (UE) depuis 2015, organisant le tri aux frontières et la mise à l’écart des personnes migrantes qu’elle juge «indésirables».
Après des mois d’impasse, et alors que les ministres de l’Intérieur de l’UE avaient échoué à trouver un accord cet été, seulement quatre nouveaux États (le Luxembourg, l’Irlande, la Lituanie et le Portugal) ont accepté de rallier le mécanisme européen de débarquement et de sauvetage en mer proposé par la France et à l’Allemagne en soutien à l’Italie et Malte. En parallèle, Chypre, la Bulgarie et la Grèce ont approuvé le principe, sans toutefois s’engager dans l’accueil des personnes débarquées. Cette initiative franco-allemande avait déjà fait l’objet d’une déclaration d’intention signée entre l’Italie, Malte, la France et l’Allemagne deux semaines auparavant. Le mécanisme proposé, dont le contenu demeure flou, s’apparente fortement à l’approche hotspot développée par l’Union européenne depuis 2015, organisant le tri aux frontières et la mise à l’écart des personnes migrantes qu’elle juge « indésirables ».
Loin d’apporter une véritable réponse à long terme aux drames en Méditerranée, le mécanisme proposé est caractérisé par sa nature temporaire et incertaine. Ainsi, ce « mécanisme temporaire et prévisible » est défini pour une durée de 6 mois (renouvelable). La participation des États membres signataires de l’accord est susceptible d’être suspendue à tout moment en cas de « pression migratoire disproportionnée » sur leur territoire. Celle-ci serait déterminée à partir de critères très flous tels que la « limite des capacités d’accueil » ou encore « un nombre important de demande d’asile » dans les États concernés. Enfin, le mécanisme entier est susceptible d’être suspendu si le nombre de personnes relocalisées à travers celui-ci « augmente substantiellement ».
Selon les termes du pré-accord, les États signataires s’engagent à assurer le débarquement des personnes secourues en mer « dans un lieu sûr » sans préciser les modalités de choix du port en question. Le texte précise cependant que les États pourront toujours – sur la base du volontariat – proposer des « lieux sûrs » alternatifs.
En parallèle, l’accord prévoit également certaines obligations pour l’ensemble des bateaux qui mènent des opérations de sauvetage au premier rang desquelles celle « de ne pas entraver les opérations de recherche et de sauvetage menées par les navires des garde-côtes, incluant la garde-côte libyenne ». Dans la même logique, les États signataires s’engagent à poursuivre leurs efforts en matière de « renforcement des capacités des garde-côtes des États tiers du sud de la Méditerranée » tout en encourageant « le respect des droits humains dans ces pays ». Ces dispositions sont particulièrement inquiétantes, dans la mesure où elles confirment la coopération accrue avec les autorités libyennes, au service des politiques européennes d’endiguement. Pourtant, les risques pour les personnes migrantes débarquées dans ce pays sont connus, tout comme les insuffisances de l’action — parfois même dangereuse — des garde-côtes libyens (cf. Méditerranée centrale : Une hécatombe sourde et muette, désormais à l’abri de (presque) tous les regards). Rappelons qu’en juillet 2019, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés et le directeur général de l’Organisation internationale de migrations (OIM) avaient conjointement appelé l’Union européenne et l’Union africaine à cesser toute assistance et transfert de responsabilités aux entités libyennes compétentes sans que les garanties relatives aux droits de l’homme ne soient respectées. Dans un document de travail daté de début septembre et révélé par Statewatch, la Présidence finlandaise du Conseil de l’UE alertait sur le fait que « le gouvernement libyen n’avait pas pris de mesures pour améliorer la situation dans ces centres [de détention] » et que la « réticence du gouvernement à traiter ces problèmes posait la question de son propre engagement ». Excepté le renforcement d’une surveillance aérienne européenne de la Méditerranée, l’accord ne mentionne aucun équipement européen dédié à la mise en œuvre des opérations de secours et au sauvetage, pas plus qu’il n’évoque le rôle essentiel des ONG qui mènent ces opérations en mer.
A la suite du débarquement, l’accord prévoit un processus de répartition automatique entre les États, sous le pilotage de la Commission européenne, afin d’assurer la « prompte relocalisation » des personnes éligibles à la protection internationale au sein de l’UE dans un délai n’excédant pas 4 semaines. Pour toutes les autres, qui n’auront pas été considérées éligibles à la protection internationale, l’accord enjoint les États à assurer leur retour effectif et rapide, grâce à l’appui opérationnel de Frontex et de l’OIM ainsi qu’une coopération efficace avec les pays d’origine. Le retour devrait être mis en œuvre « immédiatement après le débarquement », grâce à un « mécanisme de procédure accélérée » se basant notamment « les pré-déclarations avant le débarquement », ce qui laisse supposer un premier tri des personnes secourues avant même le débarquement du bateau.
Ce mécanisme s’apparente fortement à l’approche hotspots matérialisée par l’installation de centres d’identification et de tri en Grèce et en Italie. Cette approche – qui a largement fait la preuve de son échec (cf. L’approche hotspot : l’Europe en faillite sur les îles grecques) – est venue renforcer l’idée que la mise à l’écart des personnes étrangères et notamment de celles arrivant en Europe pour y trouver protection, pouvait être un « mode de gestion » acceptable de la migration. Pourtant, dans ces lieux ainsi que dans d’autres camps et centres fermés partout en Europe, les conditions de vie sont indignes et les droits des personnes bafoués quotidiennement. L’Europe doit rompre avec cette logique de systématisation du tri aux frontières et permettre un accès inconditionnel au territoire européen pour les personnes bloquées à ses frontières extérieures afin d’examiner avec attention et impartialité leurs situations et d’assurer le respect effectif de leurs droits. Rappelons enfin, que les États membres de l’UE doivent respecter leurs obligations internationales en matière de secours et de sauvetage en mer[1] de manière à ce qu’aucune zone maritime ne soit ignorée ou laissée sans moyen de recherche.
[1] La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982) établit l’obligation de prêter assistance, obligation renforcée par la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (1974) et la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritime (1979). Celle-ci définit le régime Search and Rescue (SAR) qui implique une responsabilité particulière des États côtiers hors de leurs eaux territoriales. Ainsi, aucune zone maritime ne devrait être ignorée ou laissée sans moyen de recherche.
Auteur: Pôle Europe et International
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