Appel à mobilisation: Journée internationale des Migrantes et Migrants
Le 18 décembre – Journée internationale des Migrantes et Migrants – Plus de 230 ...
En Méditerranée centrale, l’accélération de l’externalisation des contrôles à la frontière maritime Sud et Est de l’Europe et le durcissement des politiques de dissuasion menée par l’Italie ont des conséquences directes et dramatiques : une diminution drastique du nombre de départs depuis les côtes libyennes, une augmentation des risques d’interception, de refoulement et de violations des droits fondamentaux en mer ainsi que du taux de mortalité en Méditerranée.
Dans un communiqué de presse publié le 15 octobre 2018, Frontex (l’agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières) faisait état d’une chute exceptionnelle du nombre d’entrées « irrégulières » sur le territoire de l’Union européenne (UE), principalement liée à une forte diminution des arrivées par la Méditerranée centrale (21 000 passages comptabilisés par l’agence depuis début 2018, soit une diminution de 80% par rapport à 2017). En parallèle, l’Espagne est (re)devenue un point d’arrivée important dans l’UE avec 50 000 personnes arrivées sur les côtes andalouses depuis le début de l’année en provenance du Maroc. Dans un précédent article, La Cimade soulignait en quoi cette chute spectaculaire des arrivées par la mer résultait d’actions menées par l’UE, ses États membres et les Etats non européens coopérant, afin d’empêcher les départs, notamment depuis les côtes libyennes et que, loin de protéger les personnes migrantes, ces actions menaient à éloigner les regards les violations qu’elles subissent. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil aux données publiées par le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) dans son dernier rapport « Voyage du désespoir » (Septembre 2018), qui met en perspective les chiffres et données relatives aux parcours d’exil à destination de l’UE. Celui-ci souligne notamment l’augmentation du taux de décès parmi celles et ceux qui tentent de rejoindre l’UE par la mer, précisant ainsi qu’en Méditerranée centrale « pour chaque groupe de 18 personnes ayant entrepris la traversée entre janvier et juillet 2018, une personne est décédée ou a disparu, contre une sur 42 au cours de la même période en 2017 ». Selon les travaux de Matteo Villa, chercheur pour l’Italian Institute for International Political Studies, ce ratio a encore augmenté au mois de septembre 2018 avec une personne disparue en mer pour chaque groupe de cinq personnes tentant la traversée entre la Libye et l’Europe. Ce taux de mortalité, 21%, plus élevé qu’il y a un an, n’avait jamais été atteint depuis des années ! Les causes sont multiples, du durcissement des politiques de dissuasion italiennes en passant par le renforcement de la coopération avec la Libye pour contenir les départs jusqu’à la criminalisation des ONG de secours et de sauvetage.
Selon Matteo Villa, l’augmentation du taux de décès en Méditerranée doit être reliée au durcissement de la politique migratoire menée par le gouvernement italien et l’arrivée au pouvoir du ministre de l’intérieur italien d’extrême droite Matteo Salvini au discours ouvertement xénophobe et anti-immigration.
Le 18 juin 2018, celui-ci annonçait la décision de l’Italie de fermer ses ports aux bateaux ramenant les personnes exilées qu’ils ont secourues en mer, contraignant plusieurs navires à errer de longs jours en mer avant d’obtenir l’autorisation de débarquer les personnes à leur bord dans un port sûr lorsqu’ils n’ont pas été contraints de débarquer en Libye ou en Tunisie, en violation du droit international (voir notre précédent article à ce sujet : Eté 2018 : La démission européenne).
Au-delà de la fermeture des ports, le gouvernement italien a également renforcé ses efforts afin de précariser davantage la situation des exilé∙e∙s ayant réussi à atteindre son territoire. Entré en vigueur le 5 octobre et prochainement soumis à l’adoption du parlement le 22 novembre, le nouveau décret-loi en matière de sécurité et d’immigration prévoit notamment de supprimer les autorisations de séjour accordées pour motifs humanitaires (qui représentent un quart des demandes !) ; d’enfermer pendant trente jours les personnes en demande d’asile, jusqu’alors libres de leurs mouvements une fois identifié∙e∙s et enregistré∙e∙s ; d’allonger la durée d’enfermement en vue d’une expulsion du territoire de 3 à 6 mois et enfin, d’expulser immédiatement toute personne étrangère qui aurait été condamnée pour délit mineur.
Cette nouvelle législation vise clairement à décourager l’arrivée et le maintien des personnes exilées sur le territoire italien tandis qu’en parallèle, d’autres mesures sont prises pour empêcher les départs en coopération avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée, au premier rang desquels la Libye.
Il y a un an, le 14 novembre 2017, la chaîne américaine CNN diffusait les images glaçantes d’une scène de vente aux enchères de migrant·e·s comme esclaves dans une localité près de Tripoli, révélant au grand jour le calvaire des personnes exilées prises au piège en Libye. Face à ce scandale international, les responsables africains et européens s’étaient engagés à mettre en place une force opérationnelle pour démanteler les réseaux de passeurs ainsi qu’un programme d’évacuation en urgence des personnes migrantes victimes de traitements inhumains et dégradants via le Niger. Avec l’appui du HCR et de l’OIM, celles-ci devraient être rapatriées dans leurs pays d’origine ou, dans une moindre mesure, réinstallées dans des pays tiers si elles accèdent à la protection internationale. Un an plus tard, les efforts se sont essentiellement concentrés sur le développement d’une coopération douteuse avec les autorités libyennes au mépris des personnes sans cesse refoulées vers les prisons de leurs exils. Rappelons également qu’au-delà de la situation des personnes exilées bloquées en Libye, des centaines de milliers de ressortissant·e·s libyen·e·s sont victimes de la détérioration de la situation sécuritaire en Libye, en raison du conflit qui dévaste le pays depuis 2011.
Au mois d’octobre 2018, le directeur du HCR appelait les Etats à accélérer les procédures de réinstallation et à proposer davantage de places afin de permettre la poursuite des évacuations depuis la Libye vers d’autres pays africains. Il décrivait une situation complexe : des capacités d’accueil saturées au Niger face à des procédures de réinstallations vers les Etats européens très lentes ayant conduit à la suspension pendant plusieurs mois des opérations d’évacuation des personnes détenues en Libye. Bilan : moins de 2000 personnes ont pu être effectivement évacuées depuis décembre 2017.
Si la coopération de l’Italie avec la Libye ne date pas d’hier, celle-ci s’est largement renforcée depuis 2017 avec un soutien accru de l’Italie pour contenir les personnes migrantes afin de limiter les départs vers l’Europe. Une nouvelle étape importante est franchie le 28 juin 2018, date à laquelle la Libye a créé sa propre « zone de recherche et de secours » (zone SAR) ainsi que son propre « centre de coordination » (MRCC) où ses gardes côtes sont désormais responsables de la coordination des sauvetages dans cette zone qui s’étend au-delà des eaux territoriales libyennes. Jusqu’alors, les gardes côtes italiens assuraient de fait la coordination des opérations de sauvetage au large des côtes libyennes, la Libye n’ayant jusqu’alors jamais déclaré de zone SAR et ne disposant ni d’une flotte suffisante, ni d’un centre de coordination en mesure d’organiser les secours. Selon une enquête menée par Médiapart, l’Italie et l’UE ont joué un rôle clé dans ce dossier, en encourageant depuis plusieurs mois la Libye à « prendre ses responsabilités ». L’enquête pointe notamment le vaste programme européen de soutien à la Libye datant de 2017, qui inclue un budget de 6 millions d’euros dédié à aider Tripoli à créer sa propre zone SAR et son MRCC, auxquels se sont ajouté 1,8 million via la Fonds pour la sécurité intérieure de l’UE.
En parallèle, dans le centre de formation navale de la Maddalana (Italie), les agents européens entament leur seconde session de formation à l’attention de la garde côtière libyenne dans le cadre de l’opération maritime militaire européenne EUNAVFOR Med (lancée en 2015 pour lutter contre les réseaux de passeurs et le trafic d’êtres humains). Selon les informations publiées sur le site de l’opération, d’ici le 30 novembre 2018, plus de 300 gardes côtes libyens auront été formés afin d’assurer la sécurité maritime dans leurs eaux territoriales « avec une attention particulière pour le respect des droits humains […] et la gestion respectueuse des personnes migrantes dans le cadre des activités de recherches et de sauvetage en mer ». Mais les ONG actives en Méditerranée témoignent d’une situation toute autre. L’association Pilotes volontaires – qui survole la Méditerranée à la recherche d’embarcations en détresse – explique ainsi qu’en l’absence de navires humanitaires dans la zone depuis plusieurs semaines, elle a « de plus en plus à faire aux autorités libyennes à qui elle fait des signalements […] mais qui ne sont pas toujours réactives » les contraignant à trouver d’autres solutions en sollicitant par exemple d’autres bateaux présents dans la zone qu’ils doivent guider pour mener les opérations de secours (France Inter, 25/10/2018). De son côté, le coordinateur des sauvetages du navire Aquarius (affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières), explique que depuis la création de leur zone SAR, les gardes côtes libyens « se comportent de plus en plus comme s’ils étaient dans leurs eaux territoriales. Ils ordonnent aux ONG de s’éloigner, ils menacent et ont déjà ouvert le feu plusieurs fois » (Mediapart, 11/10/18). Rappelons enfin qu’en septembre 2018, le HCR appelait les Etats à ne renvoyer vers la Libye aucun∙e ressortissant∙e de pays tiers intercepté∙e ou sauvé∙e en mer considérant que celle-ci ne remplissait pas les critères pour être considérée comme un lieu sûr pour un débarquement après un sauvetage en mer.
Outre les difficultés à coordonner les opérations de secours avec les gardes côtes libyens qui n’hésitent pas à mettre en joue les équipages de marins sauveteurs qui refusent d’obéir à leurs ordres, l’action de ces organisations humanitaires est aujourd’hui largement compromise du fait des tentatives répétées des Etats d’empêcher – en pratique – leur liberté de porter secours en mer. A ce titre, l’exemple de l’Aquarius est éloquent : privé de son pavillon que le Panama lui a retiré suite à une plainte des autorités italiennes (Communiqué de l’autorité maritime panaméenne, 21/09/18) il est bloqué au port de Marseille depuis plus d’un mois. Face à ces pressions, les opérations humanitaires en Méditerranée peinent à se poursuivre. Dans ce contexte fortement dégradé, il est plus que jamais nécessaire de soutenir les initiatives solidaires qui continuent de voir le jour et de se battre pour le respect du droit international en termes de sauvetage en mer (Convention du droit de la mer) et le droit à la vie de celles et ceux qui tentent la traversée (cf. ci-dessous).
Dans ce contexte, les personnes exilées sont livrées à leur sort. Certaines, ne voyant plus aucune issue possible, décident de renoncer, à l’instar de ce jeune homme somalien de 28 ans qui s’est immolé par le feu devant le centre de détention de Trik Al Sikka, à Tripoli. Cet acte désespéré intervient après qu’il ait été intercepté par les garde-côtes libyens et ramené en détention à Tripoli où il attendait depuis neuf mois une évacuation inespérée qui, selon le HCR, allait avoir lieu le mois suivant. D’autres tentent de survivre coûte que coûte comme ces personnes enfermées dans le centre de détention d’Al Furhaji qui, après trois jours privées de nourriture, se sont évadées de leurs geôles libyennes, malgré les risques auxquelles elles sont exposées. L’évasion a coûté la vie d’au moins un homme, tué par un garde libyen dans sa fuite. D’autres encore tentent de résister aux refoulements illégaux dont elles sont les cibles tel que ce groupe d’une centaine de personnes, secourues par un navire commercial au large des côtes libyennes le 8 novembre, qui s’oppose catégoriquement à leur débarquement dans le port libyen de Misrata, où leurs vies sont en danger. Le 15 novembre 2018, Médecins sans frontières déplorait sur son compte twitter le débarquement par les gardes côtes libyens et le placement immédiat en détention de 14 personnes de ce groupe, parmi lesquelles une femme et son bébé ainsi que cinq mineurs non accompagnés.
Que ce soit sur les îles grecques transformées en hotspots à la frontière gréco-turque, au Nord du Maroc à la frontière avec l’Espagne, en haute mer au large des côtes libyennes, le constat demeure le même. Les mesures mises en œuvre par les Etats européens et africains en Méditerranée visent notamment à décourager l’arrivée sur leur territoire de personnes en quête de protection, quel qu’en soient, semble-t-il, les coûts financiers et humains, et cela en violation des conventions internationales de protection des droits humains et au mépris de toute considération humanitaire.
Alors que le projet de « plateformes de débarquement dans des pays tiers » a récemment été abandonné par la Commission européenne, il est urgent que les Etats membres de l’Union européenne changent de cap et construisent de nouvelles politiques ambitieuses et respectueuses du droit international en Méditerranée.
Financé à 93% par des dons privés (particuliers et mécénat), l’Aquarius opère depuis le 20 février 2016 et a mené 241 opérations. Suite au débarquement à Malte le 30 septembre 2018, des 58 personnes secourues les 20 et 23 septembre, l’Aquarius a rejoint le port de Marseille le 4 octobre, après le retrait de son pavillon par le Panama sous la pression du gouvernement italien.
Fondé en 2018 par un collectif international d’activistes, Mare Liberum mènent des patrouilles en mer Egée, principalement au large de l’île de Lesbos afin d’observer et documenter la situation des droits humains à la frontière maritime entre la Grèce et la Turquie.
Acheté et affrété par un groupe d’activistes de la gauche italienne, le Mare-Iono bat pavillon italien et est opérationnel depuis le 3 octobre 2018. Financé par la Banca Etica et des dons privés, le Mare Iono compte sur un financement participatif via la plateforme sociale Meditteraneo. La plateforme Operazione Mediterranea n’est pas une ONG mais une « plateforme ouverte à l’adhésion et la participation de toutes celles et ceux désireux de soutenir l’initiative ». A noter toutefois que plusieurs ONG soutiennent l’initiative : Sea Watch (ONG allemande dédié au sauvetage en mer) est membre de la plateforme tandis qu’Open Arms (ONG catalane dédiée au sauvetage en mer) coordonne ses activités avec celle du Mare-Ionio. L’objectif affiché est d’affirmer, en pratique, « le droit d’un ensemble de sujets non étatiques à intervenir politiquement dans une zone où les « autorités compétentes » violent de manière flagrante le devoir de préserver la vie des gens en transit. ».
Projet MayDayTerraNeo, soutenu par le gouvernement basque régional de centre droit à hauteur de 400 000€ ainsi que de petites communes basques et andalouses. L’Aita Mari, ancien chalutier basque espagnol, bat pavillon espagnol. Il devrait prendre la mer d’ici quelques jours pour mener sa première opération.
Pilotes volontaires est une ONG française qui survole les eaux internationales à bord du Colibri, au large de la Libye, pour repérer les embarcations en détresse afin d’« apporter un soutien d’observation aérienne aux ONG qui mènent des opérations de sauvetage en mer Méditerranée ».
WatchTheMed-Alarm Phone est un réseau créé par des activistes et des acteurs de la société civile en Europe et en Afrique du Nord. Le projet a mis en place une ligne téléphonique alternative pour les exilé.e.s en détresse en Méditerranée qui permet à Alarm Phone de mener une veille de la situation et d’alerte les navires humanitaires et les garde-côtes lorsque des personnes sont en détresse.
Auteur: Pôle Europe et International
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