Sénégal : entretien avec Nicolas Mendy du Comité international de la Croix-Rouge
Au Sénégal, des milliers de familles de personnes disparues sur leur parcours ...
Les fragments d’une lettre d’amour et quelques photos intactes… Un sweat à capuche, un pantalon, une ceinture… C’est tout ce qui reste du « Numéro 387 », près d’un an et demi après le naufrage du 18 avril 2015 au large des côtes libyennes où périrent plus de 1 000 personnes. L’équipe investie dans la première opération d’envergure d’identification de personnes migrantes mortes en mer, parviendra-t-elle à lui rendre son nom ?
Réalisé par Madeleine Leroyer, co-écrit par Cécilde Debarge et produit par Valérie Montmartin, Numéro 387 disparu en Méditerranée a été présenté en compétition dans les plus grands festivals de films documentaires internationaux*. Il est aussi le point de départ d’une campagne intitulée #numbersintonames dont La Cimade est partenaire. Son but ? Promouvoir le droit à l’identité et à la dignité des personnes mortes ou disparues à nos frontières, ainsi que le droit de leurs familles à savoir. Ce projet, qui fait l’objet d’une campagne de financement participatif, se déploiera notamment via un cinéma mobile auprès des populations concernées.
Comment en êtes-vous venue à faire ce film ?
Il faut remonter à 2015, au summum de ce que les médias appellent la crise migratoire au lieu de reconnaitre qu’il s’agit d’une crise de l’accueil. L’arrivée de Syriennes et Syriens par la Méditerranée fait alors l’objet d’une énorme couverture médiatique. Parmi ces images, celles de sacs mortuaires dont on ne disait rien m’ont profondément marquée. Que se passe-t-il avec ces corps ? Comment ces personnes sont-elles enterrées ? Existe-t-il des démarches auprès des familles ? J’ai eu l’intuition qu’avec ces corps sans sépulture, il y avait une rupture anthropologique, un gouffre que nos sociétés ne voyaient pas. Le cinéma permet cela : rendre visible l’invisible, dire l’indicible. Pour reprendre les mots de Charles Péguy. « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Avec Cécile Debarge, la co-autrice du film, nous avons d’abord recensé plusieurs personnes qui s’efforçaient de lutter contre l’anonymat des personnes mortes en mer : des pêcheurs en Sicile, un gardien de cimetière en Tunisie, un médecin légiste en Grèce. Mais il s’agissait d’initiatives individuelles éparses. Difficile d’en faire un film, un récit… En janvier 2016, nous rencontrons Cristina Cattaneo, l’anthropologue légiste italienne que l’on voit dans le film, qui confirme que le gouvernement Renzi tiendra sa promesse de renflouer l’épave du naufrage du 18 avril 2015 pour tenter d’identifier les corps immergés et qu’elle dirigera les recherches. Avec cette entreprise, s’ouvrait la possibilité de mener un récit.
Mener un récit ?
Nous voulions être dans l’action, comme tentative de remède à cette réalité accablante. Avec l’action, il s’agissait pour nous de redonner de l’humanité aux personnes, mortes et vivantes. Le film s’est longtemps appelé Les veilleurs, un terme qui évoque à la fois la veillée mortuaire et des personnes aux avant-postes, des vigies, têtues, tenaces qui tentent de redonner un nom, une dignité, une mémoire à ces personnes oubliées. Les veilleurs du film, ce sont Cristina Cattaneo, responsable de l’opération, mais aussi José Pablo Baraybar du CICR (Comité international de la Croix Rouge) qui aux confins de la Mauritanie, du Mali puis du Sénégal, recherche les familles des personnes disparues pour recueillir leurs témoignages et ADN afin de permettre aux équipes de Cristina Cattaneo de croiser les résultats. Ou encore Abraham Tesfai, réfugié érythréen qui part à la recherche d’informations auprès de compatriotes rescapés du naufrage et Georgia Mirto qui abrite derrière ses travaux scientifiques une blessure familiale.
Pourquoi, ce parti pris de s’attacher à l’identification d’un corps en particulier ?
La plupart des images produites sur les migrations sont des images de flux assorties de chiffres. Or les chiffres nous mettent à distance, les flux déshumanisent et les personnes migrantes se perdent dans l’anonymat de la masse. Par ailleurs, les chiffres ne veulent plus rien dire. Selon l’ONG UNITED, depuis l’an 2000, plus de 35 000 personnes migrantes ont péri en tentant de rejoindre l’Europe. L’ampleur réelle du drame résiste pourtant à tout décompte. Combien ont disparu en mer sans que nous n’en sachions rien ? « Numéro 387 », c’est le soldat inconnu d’une guerre qui ne dit pas son nom. C’est bien commode. Sans nom, pas de crime. Pas de responsabilité.  Pour autant, nous ne voulions pas produire quelque chose de moralisateur. Notre intention était de retisser le lien entre les morts et les vivants en invitant spectatrices et spectateurs à faire leur propre chemin. Quand après une projection, une spectatrice dit « Numéro 387, je pars avec lui, il chemine avec moi » ; alors on a peut-être réussi.
L’autre ambition de Numéro 387 disparu en Méditerranée et de la campagne #numbersintonames est de faire progresser le travail d’identification des corps et de promouvoir le droit des familles à savoir.
Oui, ce travail d’identification des corps est dédié aux vivants, et en premier lieu aux familles dans l’impossibilité de faire leur deuil. C’est pourquoi, nous voulons créer des outils de diffusion au plus près des populations concernées. Pour ce faire, nous avons lancé une campagne de crowdfunding avec un premier objectif de 10 000 euros, pour financer le doublage du film en bambara, en soninké, et en wolof, et organiser avec de jeunes cinéastes et journalistes africains des projections au Sénégal, au Mali et en Mauritanie. A l’issue de ces projections, l’équipe du cinéma mobile recueillera la parole des personnes qui souhaitent faire le portrait de leurs disparu∙e∙s. Elles auront aussi la possibilité d’exprimer leurs doléances. Nous monterons ensuite ces doléances sous forme de « clips d’impact » qui formeront un outil de plaidoyer auprès des institutions et décideurs européens, africains et internationaux. Le but est de répliquer ce dispositif de cinéma mobile, en Afrique, au Moyen-Orient, et en Europe, pour construire le plaidoyer ensemble. L’objectif étant qu’à terme, la question des personnes migrantes disparues s’impose pleinement à l’agenda des décideurs, et que, de part et d’autre des frontières, ils prennent leurs responsabilités, à l’égard des morts comme des vivants.
Pour soutenir la campagne, c’est ici !
Et pour le teaser du film, c’est ci-dessous :
* Le film est notamment sélectionné en compétition internationale au Festival International de Films de Femmes de Créteil les samedi 14 et mardi 17 mars 2020 à 19h.
Il sera également diffusé sur Arte le 8 septembre 2020.
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Photographies : © Numéro 387 disparu en Méditerranée
Auteur: Coordination Sensibilisation
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