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Première décision de justice suite aux « décasages » : Un procès pour faire avancer Mayotte

3 juin 2017

Le mercredi 26 avril, a eu lieu à Mayotte le rendu du 1er procès d’une personne délogée durant la période dite des « décasages » de l’an passé, où plus de 1 500 personnes de nationalité comorienne avaient été expulsées de leur lieu de vie. Le procès s’est tenu le 15 mars dernier et avait mis en évidence le douloureux souvenir d’une expulsion violente et illégale d’une famille en situation régulière.

Manifestation de soutien du CODIM lors du rendu du procès / © Lény Stora / Docpix

La Cimade , – Comité inter mouvements auprès des évacué-e-s – , est une association loi 1901 reconnue d’utilité publique. Elle a pour but de manifester une solidarité active avec les opprimé-e-s, les exploité-e-s. Elle œuvre à la défense de la dignité et des droits des personnes réfugiées et migrantes quelles que soient leurs origines, leurs opinions politiques ou leurs convictions. Elle lutte contre toute forme de discrimination et, en particulier, contre la xénophobie et le racisme.

Le mercredi 26 avril, a eu lieu à Mayotte le rendu du 1er procès d’une personne délogée durant la période dite des « décasages » de l’an passé, où plus de 1 500 personnes de nationalité comorienne avaient été expulsées de leur lieu de vie. La propriétaire, ayant réalisé l’expulsion, a été condamnée a 6 mois de prison avec sursis et 13 000€ de dommages et intérêts. Le procès s’était tenu le 15 mars dernier et avait mis en évidence le douloureux souvenir d’une expulsion violente et illégale d’une famille en situation régulière.

Suite à l’audience, une association regroupant des personnes issues des collectifs ayant réalisés lesdits « décasages » a lancé plusieurs appels à la mobilisation, dénonçant une justice qui serait en faveur des étranger-e-s, qui ne prendrait pas en compte la réalité de l’île, soumise à une forte pression migratoire. Cette actualité réveille des blessures profondes non cicatrisées de l’année 2016 et laisse entrevoir un risque de regain des tensions entre communautés de l’île. Certains s’inquiètent ainsi des probables retombées de ce procès.

La Cimade pense qu’il est plus que temps de voir en ce procès une véritable opportunité pour l’avenir de Mayotte : celle de tirer un trait définitif sur l’épisode des « décasages » et d’avancer sur de réelles pistes de réflexion pour améliorer la situation des habitant-e-s de l’île. Mayotte, 101e département français vit sous le régime « d’infra-droit » social et économique. Elle souffre d’inégalités criantes dans tous les domaines vis-à-vis de la métropole et des autres départements d’Outre mer. La violence sociale souvent dénoncée par la population est bien réelle mais ne nous trompons pas de cible en rendant les personnes étrangères des boucs-émissaires d’une situation économique et sociale désastreuse résultant d’une politique discriminatoire à l’égard de tous les habitant-e-s de l’île.

affiche bouéni

affiche appelant à l’expulsion des étrangers

Avant tout, il importe de revenir sur certains faits du cas d’espèce. Mme M. a été expulsée le dimanche 15 mai 2016 de chez elle, par sa propriétaire et une foule d’une centaine d’habitants de Bouéni. Cette expulsion d’une grande violence (portes arrachées au marteau, fenêtre volant en éclat à côté des enfants réfugiés dans leurs chambres) était tout à fait illégale. Mme M. était détentrice d’une carte de résident et disposait d’un contrat de bail.

Après avoir inventé de soi-disant dégradations de la maison, des soutiens de la propriétaire ont cherché à justifier ces violences par le fait que Mme M. hébergeait des personnes en situation irrégulière et un violeur. Outre le fait que l’acte d’héberger des membres de sa famille en situation irrégulière ne soit pas en soi un acte illégal, les membres de la Cimade présents au moment des faits ont constaté la présence de personnes la famille de Mme M. en situation régulière et déplorent ces insultes qui s’ajoutent à la violence des faits. Suite à ce triste épisode, Mme M. a dû envoyer ses enfants et son mari en métropole pour les protéger.

Mme M. a par la suite déposé plainte de son propre chef. Contrairement à ce qui a été dit, cette plainte a pu déboucher sur un procès uniquement grâce au nombre de preuves et au travail de l’avocate. Les personnes délogées qui ont voulu saisir la justice n’ont pas eu de traitement de faveur, loin de là. Ainsi, de nombreuses plaintes de personnes délogées n’ont pas pu être déposées, suite à des refus d’enregistrement dans les locaux de la gendarmerie. De plus, certaines plaintes qui ont pu être déposées auprès du procureur dès mars 2016 ne se sont toujours pas traduites par des audiences. L’argument d’une justice à deux vitesses ne tient donc pas.

Relevons, par ailleurs, qu’en droit français, quand bien même la locatrice n’aurait eu ni contrat de bail ni de titre de séjour, aucun particulier, ou groupement de particuliers n’aurait eu le droit de violer un lieu établi comme son domicile, à plus forte raison par la violence. Seule une personne dépositaire de l’autorité publique le peut, sous certaines conditions.

Maison d’une famille comorienne brûlée après leur expulsion. Février 2016.

 

Ensuite, il convient de s’arrêter sur ce qu’ont engendré ces expulsions. Ces actes violents, illégaux, ont mis sur la route des centaines de familles du jour au lendemain. La plupart de ces personnes étaient mineures ou en situation régulière mais aucune véritable solution de relogement ne leur a été proposée. L’aide matérielle a principalement été fournie par les proches et les associations comoriennes. Ces personnes ont ainsi vu la précarité de leur situation s’accroître et ce sont des dizaines d’enfants qui ont été déscolarisés. La majorité des personnes sont maintenant revenues dans le sud de l’île, après que de nombreux habitants leur aient dit de revenir. Néanmoins, la vigilance est de mise : dans cette partie de l’île persistent de vives tensions, entraînant avec elles le risque de nouvelles exactions.

Enfin, il importe, de manière urgente, de se lancer dans une véritable politique de long terme pour Mayotte et ses habitants et d’arrêter les logiques de court-termisme. Les difficultés de l’île sont connues et multiples : problème du foncier, saturation des services publics, chômage, pauvreté, délinquance en col blanc ou de jeunes désœuvrés, manque de formation et de personnes compétentes… C’est l’ensemble des habitants de l’île, qu’ils soient originaires d’ici ou d’ailleurs, qui sont victimes de cette situation, dans laquelle chacun espère avoir une vie meilleure. Aujourd’hui, la politique migratoire menée par l’Etat français, axée principalement sur la répression, est dans une impasse. Cela fait 10 ans que 20 000 expulsions annuelles sont réalisées, que des parents sont renvoyés en laissant des enfants isolés derrière eux, que la majeure partie revient malgré les dangers de la traversée. Cette politique demeurera vaine tant que le déséquilibre économique dans la région perdurera.

Pour sortir de l’impasse migratoire dans laquelle elle est en train de s’enfermer, nous croyons que Mayotte devrait, dans un premier temps, commencer par diminuer la pression démographique, en permettant aux milliers de personnes détentrices d’une carte de séjour de voyager sur l’ensemble du territoire français.

Dans un second temps, nous croyons que Mayotte devrait également s’inscrire dans une politique de co-développement régional qui pourrait, à terme, être bénéfique pour toutes et tous, par la réduction des inégalités.
Parce qu’une coopération suppose au minimum qu’on soit deux, la solution ne relève pas uniquement des politiques publiques menées à Mayotte mais également à celles qui le sont dans l’Union des Comores. Trop nombreuses sont les personnes qui quittent cette partie de l’archipel en raison de la misère et des trop nombreuses défaillances étatiques.

A la CIMADE, nous reconnaissons que la situation est d’une grande complexité et que les frustrations sont profondes et multiples, mais nous refusons tant la résignation que la violence. Les injustices sont criantes de toutes part. Nous voulons sincèrement que les choses changent, durablement, mais sans haine, et dans le respect de la dignité de tous.

Note : un appel a été déposé suite à ce rendu. La date de la nouvelle audience n’est pas encore connue.

Auteur: Région Outre-Mer

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