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Saisie par l’Anafé, l’ADDE, le GISTI, La Cimade, le SAF et le SM (membres de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers – OEE), la Cour de cassation s’est prononcée le 11 juillet 2018 sur la validité des audiences tenues dans l’annexe du tribunal de grande instance de Bobigny, ouverte depuis le 26 octobre 2017 au bord des pistes de l’aéroport de Roissy et imbriquée dans la zone d’attente où sont enfermées les personnes étrangères auxquelles l’entrée en France est refusée : la haute juridiction entérine la délocalisation des audiences.
La Cour de cassation refuse de sanctionner la délocalisation des audiences en zone d’attente de Roissy.
L’OEE dénonce de longue date une justice dégradée pour les personnes étrangères qui comparaissent au sein même du lieu d’enfermement où siège le juge des libertés et de la détention (JLD), chargé d’autoriser leur maintien en zone d’attente.
L’observation des audiences qui s’y tiennent a confirmé que les atteintes au droit à un procès équitable sont nombreuses : elles compromettent notamment les droits de la défense, la publicité des débats ainsi que le droit à une juridiction indépendante et impartiale. Pour soustraire à tout prix aux regards de la société civile les personnes étrangères considérées comme indésirables, c’est une véritable justice d’exception qui a été ainsi organisée.
Pour dénoncer ces dérives indignes des standards européens et internationaux de qualité de la justice, l’Anafé, l’ADDE, le GISTI, La Cimade, le SAF et le SM, sont intervenus volontairement à la première audience qui s’est tenue, le 26 octobre 2017, dans cette annexe du tribunal. Ni le JLD ni la Cour d’appel n’ayant sanctionné ces audiences délocalisées et les violations des droits des étrangers qui en découlent, les six organisations ont formé un pourvoi en cassation défendu par Maître Isabelle Zribi. A l’audience qui s’est tenue le 3 juillet 2018, le Défenseur des droits est également intervenu devant la Cour pour présenter des observations critiquant sévèrement cette justice dérogatoire.
Depuis les ors de l’île de la cité, la Cour de cassation refuse d’examiner les conditions concrètes de jugement au pied des pistes, restant en surface, dans une analyse immatérielle et désincarnée des audiences. Ainsi, elle se contente de quelques mètres de couloir grillagé et d’une pancarte portant l’inscription « tribunal » pour conclure qu’il ne s’agit pas d’une « installation (de la salle d’audience) dans l’enceinte de la zone d’attente ». Elle nie une évidence architecturale qui saute aux yeux des personnes qui se rendent sur les lieux : l’encastrement de la zone d’attente et de la salle d’audience, qui ne forment qu’un seul et même bâtiment.
La Cour de cassation se satisfait aussi de ce que la salle d’audience est sous l’autorité de la justice pour ignorer la confusion à laquelle peut légitimement conduire, pour les personnes jugées, la continuité policière entre la zone d’attente et la sécurité de la salle d’audience opérée par les compagnies républicaines de sécurité.
Elle affirme, tant pour les justiciables étrangers que pour les avocats, que les conditions d’exercice de leurs droits et de leurs prérogatives sont assurées par les murs, sans détailler plus avant ces garanties, se limitant à constater que « la clarté, la sécurité, la sincérité et la publicité des débats » sont protégées, conformément à la loi qui prévoit le principe de ces délocalisations. Ainsi, le palais de justice est définitivement relégué au statut de lieu de justice subsidiaire pour les étrangers, la Cour exigeant, dans une insoutenable inversion des principes, des parties qu’elles prouvent que les « conditions [seraient] meilleures au siège du tribunal ».
Enfin, péremptoire, la Cour refuse de soumettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation des dispositions relatives à l’exercice d’une justice indépendante et impartiale.
Une bataille vient donc d’être perdue devant la Cour de cassation mais le combat continue. Pour l’OEE et les organisations qui ont porté l’affaire devant les juridictions, il ne fait aucun doute que ce dispositif reste contraire aux principes les plus essentiels qui gouvernent le fonctionnement des juridictions.
L’Anafé publie aujourd’hui une note intitulée Délocalisation des audiences à Roissy – Une justice d’exception en zone d’attente, réalisée à partir de plus de 8 mois d’observations d’audiences. Il s’agit d’une illustration concrète des dysfonctionnements de ladite annexe située dans l’enceinte de la zone d’attente de Roissy. Et les constats d’atteintes quotidiennes aux droits et à la dignité des personnes viennent contredire les conclusions hors sol de la Cour de cassation.
Rappel des faits :
La délocalisation des audiences au sein d’un lieu privatif de liberté existe depuis longtemps pour les CRA, dès 2005 à Coquelles, à Cornebarrieu et au Canet dès 2006 par exemple.
La Cour de cassation avait déjà sanctionné dès 2008 des délocalisations d’audiences dans l’enceinte de CRA car illégales et irrégulières et avait considéré au contraire que des audiences tenues dans des locaux autonomes et séparés étaient conformes aux exigences procédurales. Comme ce fût le cas pour l’annexe du TGI de Meaux pour les personnes retenues au CRA du Mesnil-Amelot. Et pourtant, depuis la mise en place de cette annexe, les constats des associations sont alarmants : atteinte à la publicité des débats du fait de l’isolement de cette juridiction (porte d’accès fermée et cadenassée, pas de parking, contrôles à l’entrée du bâtiment…), confusion entretenue entre lieu d’enfermement et lieu de justice (sécurité de l’annexe assurée par la PAF, escortes policières des personnes retenues vers l’annexe par l’intérieur du CRA…), et coupure entre ce tribunal et sa juridiction-mère.
Pour ce qui est spécifiquement de la zone d’attente, l’idée d’un tribunal qui jugerait les personnes « au pied des pistes » n’est pas nouvelle non plus : une première salle d’audience délocalisée a été construite en 2006 directement au rez-de-chaussée à l’intérieur du bâtiment d’hébergement de la zone d’attente de Roissy (ZAPI), et face à l’opposition des avocats, magistrats et organisations, elle n’avait pas vu le jour. En octobre 2010, un appel d’offre a été lancé pour l’extension des locaux préexistants avec une seconde salle d’audience et un accueil du public.
Les délocalisations du TGI de Meaux pour le CRA du Mesnil-Amelot et du TGI de Bobigny pour la zone d’attente de Roissy avaient été annoncées pour 2013. Les associations et syndicats, notamment membres de l’OEE avaient alors appelé à une grande mobilisation. Si la salle d’audience a finalement été inaugurée le 14 octobre 2013 au Mesnil-Amelot, l’annexe en zone d’attente de Roissy a fait l’objet d’une mission d’évaluation commandée par le ministère de la justice. Cette mission a donné lieu à un rapport en date du 17 décembre 2013 dont les conséquences ont été la réalisation de nouveaux travaux (qui ne sont que des aménagements cosmétiques) et un projet d’ouverture laissé de côté.
Fin 2016, le projet est remis à l’ordre du jour et est présenté cette fois non plus comme une priorité unique du ministère de l’intérieur mais comme une priorité conjointe des ministères de l’intérieur et de la justice. Et ce malgré les critiques et réserves émises par les organisations de défense des droits de l’homme, parlementaires et associations. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) indique par exemple dans son communiqué du 18 septembre 2013 que « la pratique des audiences délocalisées ne permet pas un respect effectif de la publicité des débats (…) les audiences délocalisées sont une menace pour le droit au procès équitable (…) ». Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a lui-même fait part à Madame Taubira, alors Garde des Sceaux, par un courrier du 2 octobre 2013, des graves difficultés que les audiences du TGI de Meaux et de Bobigny, délocalisées au CRA du Mesnil-Amelot et en zone d’attente de Roissy, pourraient poser au regard du respect des droits de l’Homme, considérant qu’elles risquaient « d’accréditer l’idée que les étrangers ne sont pas des justiciables ordinaires ». Le Défenseur des droits dans sa décision n°2017-211 du 6 octobre 2017 demande de « surseoir à l’ouverture de l’annexe » car il estime « que le droit à une juridiction indépendante et impartiale, la publicité des débats judiciaires et les droits de la défense sont susceptibles d’être gravement compromis ».
D’abord annoncée pour janvier 2017, les reports de l’ouverture de l’annexe au TGI de Bobigny se sont multipliés et des audiences test ont été réalisées.
Une conférence de presse est alors organisée par l’OEE le 18 octobre sur le parking de la ZAPI – jour de la dernière audience test avant l’ouverture officielle – avec des interventions de l’Anafé, du GISTI, de la Ligue des droits de l’homme (LDH), de la Cimade, du Syndicat de la magistrature (SM), du Syndicat des avocats de France (SAF) et du Barreau de Seine Saint-Denis.
Ladite annexe du tribunal ouvre finalement le 26 octobre 2017.
Lors de cette première audience, des interventions volontaires sont déposées par l’Anafé, l’ADDE, le GISTI, La Cimade, le SAF et le SM. Les arguments soulevés pour contester cette délocalisation concernaient notamment l’atteinte au droit à une justice d’apparence indépendante et impartiale, l’atteinte à la publicité des débats, l’atteinte aux droits de la défense, au principe du procès équitable et de l’égalité des armes, l’atteinte à la dignité des personnes, et l’instauration d’une justice d’exception. Il a été demandé au JLD de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle concernant la conformité de la tenue d’audiences délocalisées sur une emprise aéroportuaire à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial). Le JLD a considéré qu’il n’y avait pas lieu à question préjudicielle, a rejeté les arguments soulevés et a autorisé le maintien en zone d’attente pour une durée de 8 jours. Un appel a été déposé le lendemain. Par une ordonnance rendue le 30 octobre 2017, le premier président de la cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du JLD. Un pourvoi en cassation a été déposé contre cette ordonnance. Le DDD a déposé des observations. L’audience s’est tenue le 3 juillet 2018.
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Auteur: Service communication
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