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[Communiqué de Migreurop] La chambre des députés italienne et la Cour suprême albanaise ont approuvé le protocole d’accord sur les migrations conclu en novembre 2023, respectivement les 24 et 29 janvier 2024. Le réseau Migreurop dénonce des manœuvres qui s’inscrivent dans la continuité des politiques de l’Union européenne (UE) et de ses États membres pour externaliser le traitement de la demande de protection internationale.
Le 6 novembre 2023, l’Italie a conclu un « accord » avec l’Albanie en vue de délocaliser le traitement de la demande d’asile de certain·e·s ressortissant·e·s étranger·ère·s de l’autre côté de ses frontières [1]. Ce protocole, rendu public le 7 novembre, s’appliquerait aux personnes interceptées ou secourues en mer par les autorités italiennes, qui pourraient être débarquées dans les villes côtières albanaises de Shëngjin et de Gjader. Les personnes reconnues « vulnérables » ne seraient pas concernées par cet accord.
Celui-ci prévoit, d’ici le printemps 2024, la construction de deux camps [2] financés par l’Italie : l’un destiné à l’évaluation de la demande d’asile, l’autre aux « éventuels rapatriements » [3] (autrement dit, aux expulsions). Alors que le Parlement italien n’a pas été sollicité au moment de la conclusion de l’accord [4], ces structures relèveraient pourtant exclusivement de la juridiction italienne. Contre une compensation financière et une avancée dans le processus d’adhésion à l’UE, l’Albanie aurait donné son accord pour « accueillir » 3 000 personnes par mois sur son territoire et assurer une part active dans les activités de sécurité et de surveillance via ses forces de police [5]. Fortement inspiré par le concept australien de « Pacific solution » [6], ce mécanisme placerait les deux camps sous autorité italienne, avec du personnel italien, en vertu d’un statut d’extraterritorialité.
Certaines institutions européennes se sont dans un premier temps contentées d’appeler au respect du droit national et international. La Commissaire européenne en charge des affaires intérieures a déclaré, une semaine après que l’accord a été rendu public : « L’évaluation préliminaire de notre service juridique est qu’il ne s’agit pas d’une violation de la législation de l’UE, mais que cela est hors de la législation de l’UE » [7]. Une formulation particulièrement ambiguë, qui n’a pas été éclaircie quand elle a ajouté : « l’Italie se conforme à la législation européenne, ce qui signifie que les règles sont les mêmes. Mais d’un point de vue juridique, il ne s’agit pas de la législation européenne, mais de la législation italienne (qui) suit la législation européenne ».
La Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, a quant à elle rappelé que « la possibilité de déposer une demande d’asile et de la faire examiner sur le territoire des États membres reste une composante indispensable d’un système fiable et respectueux des droits humains », ajoutant que « Le protocole d’accord crée un régime d’asile extraterritorial ad hoc, caractérisé par de nombreuses ambiguïtés juridiques » [8].
S’il a l’allure d’un accord bilatéral, cet accord s’inscrit dans la continuité de l’externalisation des politiques d’asile menée par les États européens depuis le début des années 2000, se projetant plus ou moins loin des frontières européennes (du Maroc au Rwanda en passant par la Turquie, notamment). De nombreux pays sont en effet tenus de coopérer avec l’UE et ses États membres dans le domaine de l’immigration et de l’asile en échange d’avantages en matière commerciale, de politique étrangère ou d’aide au développement.
Dans le cas présent, l’Italie, au nom d’un prétendu « partage des responsabilités », pioche dans la mallette à outils à disposition des États pour externaliser le traitement de la demande d’asile. L’Albanie ayant obtenu en 2014 le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne, cette coopération transfrontière représenterait un gage de sa bonne volonté, se donnant ainsi l’image d’être le partenaire-clé des pays européens dans la mise en œuvre de leurs politiques de sélection et de filtrage des personnes étrangères aux frontières extérieures [9]. Cette stratégie utilitariste, mobilisant les personnes en migration comme levier de négociation politique, a déjà été mise en œuvre par le passé à de maintes reprises, et le réseau Migreurop a solidement étayé les effets délétères de tels accords sur les droits des personnes migrantes [10].
Au-delà de l’opacité et du secret qui a entouré sa conclusion, ce protocole d’accord pose de nombreuses questions :
Pour toutes ces raisons, le réseau Migreurop dénonce un protocole d’accord qui n’aurait jamais dû voir le jour. Et à supposer que le gouvernement italien s’obstine dans cette direction, cela ne peut se faire sans que le droit européen et la protection des droits des personnes soient mis en œuvre et respectés. À commencer par celui de demander l’asile dans de bonnes conditions.
Les mécanismes d’externalisation à l’œuvre – qui se généralisent – violent le droit international avec la complicité des autorités nationales et la complaisance de certaines institutions européennes. Il est urgent de refuser ce contournement incessant du droit qui, loin des regards, s’inscrit dans la stratégie mortifère de mise à distance des personnes étrangères.
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Notes :
[1] Fanpage.it, « Migranti, la Corte costituzionale dell’Albania ha dato l’ok all’accordo con l’Italia », 29 janvier 2024
[2] Balkan in sight « In pictures : Sites where refugees will be hosted in Albania« , 22 Novembre 2023
[3] Euractiv, « Accord migratoire Italie-Albanie : l’UE se montre prudente », 7 novembre 2023
[4] Le gouvernement a annoncé le 21 novembre que le Parlement italien serait finalement saisi, et ce dernier a approuvé l’accord le 24 janvier 2024. Observatoire de l’Europe, « La Cour constitutionnelle albanaise déclare que l’accord sur la migration avec l’Italie peut aller de l’avant s’il est approuvé », 24 janvier 2024
[5] Euronews, « L’Italie va délocaliser en Albanie l’accueil de migrants sauvés en mer », 7 novembre 2023
[6] Amnesty, « Australia-Pacific : Offending human dignity – the “Pacific Solution”« , 24 August 2002 ; Migreurop, « Nauru – la Pacific solution », mars 2004
[7] Euronews, « L’accord migratoire entre l’Italie et l’Albanie est hors de la législation de l’UE, estime la commissaire européenne aux Affaires intérieures », 15 novembre 2023 ; Euractiv, « accord migratoire Italie-Albanie : l’UE se montre prudente », 7 novembre 2023
[8] Commissaire au droit de l’Homme, « Déclaration : L’accord entre l’Italie et l’Albanie confirme l’inquiétante tendance européenne à externaliser les procédures d’asile », 13 novembre 2023
[9] Nova News, « Migrants : two structures to manage illegal flows, this is what the Italy-Albania memorandum of understanding provides« , 6 November 2023
[10] Voir la Note de plaidoyer (2019) et la vidéo (2020) de Migreurop sur l’externalisation ;Seen this CBD_77 : Métaliste sur les tentatives de différents pays européens d’externaliser non seulement les contrôles frontaliers, mais aussi la procédure d’asile dans des pays-tiers.
[11] Migreurop, « Chantage dans les Balkans : comment l’UE externalise ses politiques d’asile », juin 2021
[12] Voir la Note de plaidoyer (2019) et la vidéo (2020) de Migreurop sur les hotspots
[13] The Guardian, « Albanian court to rule on migration deal with Italian government« , 18 janvier 2024
Auteur: Service communication
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