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Psychiatrie en prison : la fabrique de la souffrance

21 décembre 2022

Monsieur Z. a passé près de deux ans incarcéré à la prison de Fresnes. Il est de nationalité tunisienne, sans papiers, et venait de passer trois mois en hôpital psychiatrique avant son arrestation et sa mise sous écrou. Il présente d’importants troubles psychiatriques mais comme beaucoup d’autres détenus dans son cas, Monsieur Z. a purgé sa peine dans un lieu de détention « classique ».

Bénévole en prison pour La Cimade, je me rends plusieurs fois par mois en détention rencontrer les personnes étrangères détenues. Nous sommes au début du mois de novembre à la prison de Fresnes, un mercredi. Après les sollicitations de son frère vivant à l’étranger, paniqué face aux appels répétés du détenu, je vais rendre visite à Monsieur Z. en détention. Je ne l’ai jamais rencontré auparavant, cela fait environ deux ans qu’il est détenu et sera libéré deux semaines plus tard. Au téléphone, l’homme explique à son frère être maltraité en prison. Il aurait été, plusieurs fois, roué de coups par des surveillants, n’a pas accès au service médical et se dit abandonné par l’administration pénitentiaire.

« Même si on n’est pas fou en arrivant en prison, comment ne pas le devenir ensuite ? » Monsieur Z.

Il est 17h, j’ai effectué quatre des cinq entretiens prévus cet après-midi quand un surveillant me présente Monsieur Z. Il a le regard méfiant, apeuré par cette visite d’un inconnu qu’il n’avait pas prévu. Nous entrons dans le parloir avocat, une ancienne cellule transformée en deux espaces de 4m2 chacun. Lorsque je lui explique qui je suis, que je viens à la demande de son frère et que je suis simplement là pour l’aider son visage s’illumine. Il est rassuré.

Très volubile, ses propos partent dans tous les sens, ses gestes aussi. Malgré son agitation, Monsieur Z. ne fait preuve d’aucune agressivité durant nos quarante minutes d’entretien. Il me confirme sans mal son suivi psychiatrique en dehors des murs de la prison et la prise d’un traitement médicamenteux à l’extérieur. L’homme affirme que malgré ses demandes répétées, il n’a jamais été reçu par le psychiatre de la prison. La détention ne lui délivre plus, non plus, ses médicaments antipsychotiques. « Certaines personnes ont honte d’avoir besoin de médicaments, moi je n’ai plus honte, je sais que je ne maitrise pas tout » confie-t-il. Puis au milieu d’un long monologue confus, il s’arrête quelques secondes puis reprend avec lucidité : « Même si on n’est pas fou en arrivant en prison, comment ne pas le devenir ensuite ? »

Il souhaite revoir une infirmière pour ses hématomes, sa douleur au pied et les boutons qui apparaissent sur ses bras et son torse. Plus que tout, il veut un rendez-vous avec le psychiatre. Je lui promets de mon côté d’alerter par mail l’unité médicale de la prison ainsi que son conseiller d’insertion et de probation. « Merci d’avoir pris le temps de m’écouter » me lance-t-il en retournant à pas comptés vers sa cellule.

« Une société se juge à l’état de ses prisons. » Albert Camus

En prison, chaque détenu est suivi par un conseiller d’insertion et de probation (CPIP). Ils s’occupent – entre autres – du suivi des peines et sont des intermédiaires avec le monde extérieur. Seulement, à Fresnes, un CPIP prend en charge en moyenne une cinquantaine de détenus et n’est pas formé pour faire face à des détenus aux troubles psychiatriques prononcés. Le CPIP en charge de Monsieur Z. m’affirme qu’il s’est montré, à plusieurs reprises, insultant envers son service. « Plusieurs fois il nous répétait qu’il s’en foutait quand on lui posait des questions et finalement il nous a envoyé une lettre d’insulte. Dans ces cas-ci, la procédure c’est qu’on ne va plus voir le détenu en détention mais que l’on répond uniquement aux courriers s’il nous sollicite à nouveau. »

Sur huit personnes du SMPR, l’unité médicale de la détention, en copie du mail adressée pour une nouvelle demande de soin, il n’y aura qu’une seule réponse : « Bonjour, ce monsieur a été reçu le 8 décembre, le 2 mars et le 8 juillet par la psychiatre. »

Trois consultations en deux années pour une personne qui était suivie au jour le jour avant son incarcération et une absence de réponse pour une consultation avant sa sortie.

Actuellement, à Fresnes, la Maison d’Arrêt des Hommes est en état de forte surpopulation carcérale et compte environ 1800 détenus : seul deux psychiatres étaient en exercice pendant l’été 2022, ils sont à présent trois.

Durant notre entretien, Monsieur Z. m’a affirmé avoir été battu par des surveillants lorsqu’il était au quartier disciplinaire la semaine passée : « Ils étaient dix sur moi à me frapper lorsque j’étais à terre, regardez-moi je fais 50 kilos, comment ils peuvent considérer que je suis un danger ? ». Il retire son tee-shirt et montre les nombreux hématomes qui marquent son dos et le long de ses côtes. Plusieurs jours après les faits, ses poignets sont toujours violacés par le serrage des menottes.

« Ils m’ont frappé parce que je tapais à ma porte. Mais quand vous êtes enfermé dans une pièce vide, sans télé, sans livre, pendant une semaine entière quelqu’un dans mon état de santé, comment vous pensez que ça va se passer ? » 

Le quartier disciplinaire (QD) est une aile à part au sein de la détention. Les détenus sanctionnés d’une durée qui varie entre quelques jours et un mois et demi sont isolés dans des cellules sans aucune activité. « C’est au QD qu’on me frappe, dans ma cellule il n’y a pas de problème, c’est au QD qu’ils frappent, tout le monde sait que c’est ceux du QD qui frappent… »

L’impossible lutte actuelle contre la récidive

Cela fait un an et demi que je sillonne les couloirs de prison, avec le reste de l’équipe nous rencontrons, en règle générale, cinq détenus par semaine. Nous constatons qu’en moyenne, chaque semaine, au moins deux de ces cinq personnes présentent des troubles du comportement ou une attitude dépressive.

Alors qu’avec plus de 72000 détenus, la population carcérale française vient d’atteindre son record absolu, le personnel médical pénitencier en sous-effectif se retrouve incapable de traiter un nombre de détenus présentant des troubles psychiatriques aussi important.

Une part significative des détenus que nous rencontrons ne sait pas où elle dormira le jour de leur sortie de détention. La réinsertion des personnes détenues fait partie des principes fondamentaux du système carcéral français.

Comment aide-t-on à la réinsertion lorsque la prison accentue les troubles psychiatriques des personnes incarcérées ?

Comment ne pas imaginer que cette situation fabrique de la récidive ?

À l’issue de sa détention, Monsieur Z. a été transféré en centre de rétention (CRA) en vue d’une expulsion vers la Tunisie. En effet, le jour de leur libération de prison, les personnes étrangères sous le coup d’une mesure d’éloignement sont régulièrement « prises en charge » par la Police aux frontières pour être conduites directement en CRA. La prison représente dès lors le premier rouage d’une machine à expulsion marquée par le continuum de l’enfermement.

Monsieur Z. pourrait passer jusqu’à 90 jours enfermé dans la « prison pour sans papiers » comme il l’appelle.

➡ À écouter : https://www.lacimade.org/podcast/episode-2-dun-enfermement-a-un-autre/

Que se passera-t-il une fois remis en liberté après deux années sans suivi psychiatrique et des troubles aggravés par les conditions de détention ?

Albert Londres, célèbre figure du journalisme, écrivait dans son enquête « Chez les fous » au sein d’un hôpital psychiatrique à propos d’un patient : « Ce monsieur est-il encore digne de demeurer chez les vivants ? Ou doit-il être rejeté parmi les morts ? »

Ludovic Heinry

Crédit photo : Jean-Christophe Hanche

Auteur: Service communication

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