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Les États membres de l’Union européenne se félicitent depuis quelques mois de la baisse des arrivées sur les côtes européennes et de celle du nombre de personnes migrantes mortes ou disparues en Méditerranée. Mais que cache cette chute spectaculaire ?
Durant les six premiers mois de l’année 2017, les arrivées sur les côtes italiennes étaient environ 20 % supérieures à celles de l’année 2016. Puis, elles ont soudainement chuté en juillet, entraînant sur le deuxième semestre 2017 une baisse des arrivées de près de 70 %.
Cette baisse n’est pas le fruit du hasard mais bien le résultat des actions menées par l’Union européenne (UE) et ses États membres visant à empêcher les départs depuis les côtes libyennes. Loin de protéger les personnes migrantes, l’Europe a seulement éloigné des regards les violations qu’elles subissent. Les États membres ne peuvent en effet plus faire semblant d’ignorer le calvaire des personnes migrantes en Libye, dénoncé depuis des années par les organisations de défense des droits humains et révélé à l’opinion publique par les images chocs de CNN courant 2017.
En 2015, à la suite des nombreuses arrivées sur les côtes européennes et un nombre sans précédent de personnes mortes et disparues en Méditerranée, l’UE et ses États membres ont multiplié les mesures de contrôle, invoquant la nécessité de stopper les drames en mer. Un alibi pour justifier le renforcement des contrôles aux frontières ? Selon Charles Heller et Antoine Pecoud, « cette justification humanitaire du contrôle des frontières est devenue particulièrement visible après le naufrage du 3 octobre 2013, lorsque 366 migrants sont morts » tout près des côtes de Lampedusa. Le Président de la Commission européenne avait alors déclaré : « l’Union européenne ne peut accepter que des milliers de personnes meurent à ses frontières », avant d’annoncer l’augmentation du budget de Frontex et diverses initiatives de renforcement de la surveillance des frontières. Alors que les associations ont commencé à compter les personnes mortes aux frontières pour dénoncer les conséquences des politiques migratoires, ce décompte est aujourd’hui utilisé par les États pour justifier ces mêmes politiques répressives.
Parmi les mesures annoncées en 2015 pour « sauver des vies » : l’augmentation des moyens de Frontex, qui n’a pourtant pas pour mandat le sauvetage en mer, mais bien la surveillance des frontières, ainsi que des mesures de la lutte contre les « passeurs », coupables tout désignés de ces drames. L’opération EUNAVFOR Med (également appelée Sophia) visait ainsi l’identification, la saisie et la destruction des embarcations utilisées par les passeurs. Pourtant, loin de protéger les personnes, cette opération aurait contribué à un changement de pratique des « passeurs » : le remplacement des gros bateaux en bois par des bateaux pneumatiques peu sûrs et moins fiables, mettant encore plus en danger les personnes et compliquant les interventions de sauvetage. Le résultat des mesures adoptées en 2015 est bien loin de l’objectif annoncé de sauver des vies : le nombre de personnes mortes ou disparues en Méditerranée a très nettement augmenté en 2016 atteignant 5 022 personnes (soit 33 % de plus qu’en 2015), alors même que le nombre d’arrivées chutait de 64 %.
Les États européens, Italie en tête, ont aussi entrepris de s’appuyer sur la Libye pour limiter les départs vers l’Europe. La chute des arrivées par la Méditerranée centrale mi-2017 correspond ainsi à une série de mesures consacrant cette collaboration. Sans complexe malgré le sort connu des personnes migrantes en Libye, le ministère de l’Intérieur italien se félicitait fin 2017 d’avoir « pu maitriser ce flux parce [qu’ils avaient] été les premiers à croire qu’un accord avec la Libye serait un tournant ».
Dès juin 2016, l’UE a élargi le mandat de l’opération EUNAVFOR Med afin d’y intégrer la formation des garde-côtes libyens. En janvier 2017, la Commission européenne annonçait en vue d’éviter que la « tragédie humaine » en Méditerranée « ne se reproduise en 2017 » diverses mesures dont le soutien aux autorités libyennes en matière de gestion des frontières et le financement de projets de formation et d’équipement des garde-côtes libyens. Selon la Commission, il est nécessaire que « les garde-côtes libyens soient capables de mieux gérer les frontières et d’assurer des débarquements sûrs sur la côte libyenne ». En février 2017, l’Italie a signé un accord avec la Libye prévoyant un soutien « technique et technologique aux institutions libyennes en charge de la lutte contre l’immigration clandestine », de la formation ainsi que le financement des « centres d’hébergement » des migrants. En avril 2017, elle déclarait aussi avoir signé un accord de coopération avec des tribus libyennes visant à sécuriser la frontière sud de ce pays. Selon le ministère italien de l’intérieur « sécuriser cette frontière sud de la Libye, c’est sécuriser la frontière sud de l’Europe ». Une offensive italienne largement soutenue par l’Union européenne.
Mais ce qui aurait définitivement entraîné la baisse des départs depuis les côtes libyennes, sont des négociations secrètes entre le gouvernement italien et les trafiquants libyens eux-mêmes, révélés par la presse en septembre 2017. Cinq millions d’euros auraient ainsi été versés par les services secrets italiens à deux milices libyennes pour qu’elles cessent d’organiser et empêchent les départs.
Selon MSF, avec ce soutien européen, « la Libye mène des opérations d’interception en haute mer et de retour sur le territoire libyen jusqu’à 70 milles nautiques de ses côtes, soit bien au-delà de la zone d’intervention des 24 milles nautiques, cela revient à sous-traiter à la Libye les eaux internationales au mépris total du droit au secours en mer ». En 2017, environ 20 000 personnes auraient été interceptées par les garde-côtes libyens et reconduites en Libye, selon Amnesty international qui dénonce la « complicité de l’Europe dans les violences en Libye » subies par les personnes migrantes.
Les programmes de retours volontaires ou d’évacuation depuis la Libye vers le Niger et certains pays d’origine mis en avant par les États européens relèvent plus de l’alibi que d’une réelle réponse aux conséquences du renforcement des moyens de la Libye pour contenir les migrants.
Pour parvenir à la baisse des arrivées par la Méditerranée, l’Union européenne et ses États membres marchandent la vie des personnes, bafouent leurs droits, les invisibilisent et les utilisent comptablement pour justifier une politique migratoire répressive et vanter ses effets. Derrière ces chiffres, il y a pourtant des vies.
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Pour en savoir plus
La Cimade, Loujna-Tounkaranké, Migreurop, Coopération UE – Afrique sur les migrations, Chronique d’un chantage, novembre 2017
Charles Heller, Antoine Pecoud, Counting migrants’ deaths at the border: From civil society counter-statistics to (inter)governmental recuperation, janvier 2018.
Amnesty International, Libye, un obscur réseau de complicités. Violence contre les réfugiés et les migrants qui cherchent à se rendre en Europe, 2017
Photographie : Sauvetage par SOS Méditerranée dans les eaux internationales au large de la Libye, octobre 2017. © Anthony Jean
Auteur: Pôle Europe et International
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