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Personnes migrantes Mortes et Disparues

Selon les chiffres de l’Organisation internationale des migrations (OIM), plus de 67 000 personnes sont mortes ou disparues sur les routes migratoires entre 2014 et septembre 2024. Un chiffre en constante augmentation : 2023 a été l’année la plus meurtrière avec 8 606 personnes migrantes mortes ou disparues. 

© OIM, Projet migrants disparus, septembre 2024 (chiffres pour 2024 de janvier à août)

Depuis plusieurs années, la mer Méditerranée est la frontière la plus meurtrière au monde. Entre 2014 et 2024, plus de 30 000 personnes y sont décédées ou disparues lors d’une traversée vers l’Europe. L’OIM y dénombrait 3 155 migrantes et migrants morts en 2023. Le nombre de décès sur les routes migratoires est aussi en augmentation à d’autres frontières européennes. Les naufrages dans la Manche sont nombreux : 158 personnes ont perdu la vie à la frontière franco-britannique près de Calais en 2023. De même, depuis 2020, le nombre de décès sur la route des Canaries est alarmant. Entre les côtes des pays de départ (Sénégal, Mauritanie, Maroc, Gambie) et l’archipel espagnol, 959 décès ont été recensés par l’OIM en 2023, mais jusqu’à 7 006 par l’association espagnole Caminando Fronteras pour la même période. 

En effet, ces chiffres demeurent incertains, et ne reflètent qu’une partie de la réalité. Le nombre réel de décès sur les routes migratoires reste inconnu. La grande majorité des corps des personnes décédées en migration, lors d’un naufrage notamment, ne sont jamais retrouvés (70 à 80% selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, plus de 90% dans l’Atlantique vers les Canaries, selon Caminando Fronteras). C’est dans ce cas que le terme de « personnes disparues » est employé. Dans le désert du Sahara, selon l’OIM, qui a recensé depuis 2014 6 302 décès ou disparitions, « de nombreux experts estiment que le nombre est bien plus élevé », et il est probable « que la mort de nombreuses personnes (…) ne soit pas pris en compte dans les données ».

Pourquoi les personnes migrantes meurent et disparaissent sur les routes migratoires ? 

L’Europe est loin d’être la destination principale des personnes en migration dans le monde. Néanmoins, depuis des décennies, les politiques migratoires européennes n’ont cessé de se durcir. Les mesures des États européens prises pour empêcher les personnes migrantes d’arriver sur le continent européen, notamment la militarisation des frontières, l’externalisation contrôles migratoires et la criminalisation des migrations, obligent les personnes exilées à emprunter des itinéraires de plus en plus périlleux. En 2023, le Comité des Nations unies sur les disparitions forcées soulignait, dans son observation générale sur les disparitions forcées dans le cadre des migrations, que les « politiques rigides, sécuritaires et de plus en plus militarisées qu’adoptent les États en matière de migration et de gestion des frontières, (…) contribuent indirectement à la disparition de migrants, qui sont contraints de choisir des itinéraires de plus en plus dangereux, (…). Ce phénomène touche toutes les régions du monde, sans exception. » 

Ainsi, à la frontière franco-britannique, face à la sécurisation croissante du port de Calais et de l’Eurotunnel, la voie maritime est de plus en plus utilisée par les personnes exilées pour rejoindre le Royaume-Uni, dans des conditions de sécurité souvent déplorables (petites embarcations de fortune souvent surchargées et sous alimentées en carburant). Alors que jusqu’en 2016 les décès par noyade ne représentaient qu’une très faible part de l’ensemble des décès à cette frontière (0 à 10%), ils représentent aujourd’hui la majorité des décès lors des tentatives de passage (82% en 2021, 63% en 2023, source chiffres OIM).

La volonté de « protéger » les frontières passe avant la protection des vies humaines. De plus, l’argument de la protection des vies est insidieux, car il sert aussi de prétexte au renforcement des contrôles et aux accords passés avec les pays non européens. Les opérations de Frontex en Méditerranée, dans l’océan Atlantique ou encore dans la Manche ont pour mandat la lutte contre les passeurs et l’immigration irrégulière. Le sauvetage n’intervient qu’au second plan. En Méditerranée centrale, l’UE et ses États membres ont peu à peu transféré la responsabilité des sauvetages à la Libye (formation des garde-côtes, création d’une région de recherche et de sauvetage et d’un centre conjoint de coordination des sauvetages en Libye). Une évolution qui a nettement aggravé la situation des personnes migrantes en mer alors même que les risques pour les personnes interceptées et débarquées en Libye sont connus, tout comme l’insuffisance – voire la dangerosité – de l’action des garde-côtes libyens. 

La priorité donnée au contrôle migratoire plutôt qu’au sauvetage a également des conséquences, et soulève la question de la responsabilité des États face à leur obligation de sauvetage. En avril 2023, l’OIM a déclaré que les retards et les lacunes dans les opérations de recherche et de sauvetage menées par les États en Méditerranée avaient été un facteur déterminant dans au moins six naufrages entre janvier et mars 2023, entraînant la mort d’au moins 127 personnes sur les 441 dénombrées fin mars 2023. Quelques mois plus tard, la responsabilité des garde-côtes grecs était soulevée dans le naufrage du bateau l’Adriana transportant environ 750 passagers et passagères, dont seulement 104 ont survécu. Le bateau avait été signalé et survolé près de 14 heures avant qu’il ne sombre.

Dans la Manche, suite au tragique naufrage ayant entraîné la mort de 31 personnes en novembre 2021, sept militaires du CROSS (centre opérationnel de secours et sauvetage en mer) ont été mis en examen pour non-assistance à personne en danger. La retranscription des nombreux appels de détresse aux services de secours, révélée par Le Monde, montre que malgré ces appels, aucune mesure de sauvetage n’avait été prise.

En parallèle, les ONG de sauvetage en mer voient se multiplier les dénigrements et entraves à leur action de la part des gouvernements italiens et maltais. Bien que des associations et des chercheurs ont démontré que la responsabilité des arrivées sur le territoire européen ne pouvait être attribuée aux ONG menant une mission de sauvetage, ces campagnes de harcèlement se poursuivent.

Quels sont les enjeux au-delà des chiffres des personnes migrantes mortes et disparues ?

Derrière chaque personne morte ou disparue en migration, il y a des parents, des frères et sœurs, un ou une conjointe, des ami·es, enfermé·es dans l’attente, l’angoisse et l’espoir.

Ainsi au-delà des chiffres, la question de l’identité de ces personnes demeurent comme celle du droit de savoir de leur famille. L’absence d’information sur les procédures et pratiques mises en œuvre empêche de nombreuses familles d’identifier leur proche décédé·e ou d’obtenir des informations fiables sur les circonstances de sa disparition. Une majorité des corps de personnes décédées sur leur parcours migratoire ne sont jamais retrouvés. De plus, les dépouilles mortelles retrouvées ne sont pas forcément identifiées. En effet, en l’absence de procédures systématiques d’identification des corps et de collecte d’information sur les personnes disparues, des milliers de migrantes et migrants décédé·e s sont enterré·e s ou disparaissent sans nom et sans que leur famille n’en soit informée. 

L’anonymat des migrantes et migrants disparus aux frontières n’est pourtant pas une fatalité. Lorsqu’une catastrophe touche leurs propres ressortissant·e·s (catastrophe naturelle, attentat, crash etc.), les États européens sont en mesure de déployer des dispositifs sophistiqués pour tenter de récupérer les corps des victimes et les identifier, rechercher les personnes disparues et archiver les données. Des cellules de crises sont mises en place pour l’information des familles des victimes. Rien de tel n’existe pour les personnes en migration.

Si, dans un contexte de migration, la principale difficulté pour les familles à la recherche d’un·e proche demeure l’absence de procédures systématiques et d’informations claires par les pouvoirs publics, d’autres obstacles se présentent. En particulier, la crainte des familles de s’adresser aux autorités pour signaler une disparition du fait du départ « irrégulier » de leur proche et du risque d’être interrogées, voire poursuivies du fait des mesures de lutte contre l’immigration irrégulière mises en place par les États.

Or, comme le souligne le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) : « le fait d’ignorer ce qu’il est advenu d’un parent, d’un conjoint ou d’un enfant constitue un fardeau insupportable ; quand les personnes portées disparues sont décédées, le fait de ne pas pouvoir les inhumer en toute dignité ni pleurer sur leurs tombes alourdit encore la peine des familles ». 

En plus de l’impossibilité d’un deuil digne, les disparitions entrainent d’autres difficultés pour les familles, économiques, mais aussi administratives tant qu’un décès n’est pas officiellement reconnu (par exemple en termes de remariage, d’exercice de l’autorité parentale, d’héritage, etc.). 

Les chiffres croissants de personnes en migration décédées ou disparues soulèvent de nombreux enjeux. Ils mettent en avant la responsabilité des États et de leurs politiques migratoires face à l’augmentation du nombre de mort·e·s et de disparu·e·s sur les routes migratoires. Ils doivent se donner les moyens nécessaires pour remplir leurs obligations en termes de recherche et sauvetage et un accès aux droits effectif dès que ces opérations sont effectuées. Ils doivent se doter de procédures claires et transparentes, en cas de décès ou de disparition, que ce soit en termes de recherche, d’identification, de communication avec les familles et de rapatriement des corps.

Pour aller plus loin :

Si vous êtes à la recherche d’un·e proche disparu·e en migration

Des guides pratiques pour les proches des personnes disparues en migration

 

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