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Défendre ses droits au centre de rétention de Mayotte : Actualités et conseils pratiques

3 juin 2017

Entre fin 2016 et 2017, Mayotte s’est vue infliger une nouvelle disposition législative dérogatoire concernant l’accès aux droits des personnes étrangères, celle du retour du juge des libertés et de la détention après 5 jours de rétention. Alors que la loi du 7 mars 2016 devait permettre un renforcement des droits des personnes retenues, la logique d’expulsion « quasi industrielle » (CGLPL) du 101ème département français a pris à nouveau le pas sur le droit. Demeurent néanmoins des moyens de se défendre juridiquement et de saisir le juge pour envisager des libérations. Explications.

(Centre de rétention de Mayotte    / © Lény Stora / Docpix)

Entre fin 2016 et 2017, Mayotte s’est vue infliger une nouvelle disposition législative dérogatoire concernant l’accès aux droits des personnes étrangères, celle du retour du juge des libertés et de la détention après 5 jours de rétention. Alors que la loi du 7 mars 2016 devait permettre un renforcement des droits des personnes retenues, la logique d’expulsion  « quasi industrielle » du 101ème département français a pris à nouveau le pas sur le droit. Demeurent néanmoins des moyens de se défendre juridiquement et de saisir le juge pour envisager des libérations. Explications.

Les 20 000 expulsions de moyenne qui se produisent tous les ans à Mayotte ont encore de beaux jours devant elles. Globalement répressive, la loi relative aux droits des étrangers du précédent quinquennat, promulguée le 7 mars 2016, prévoyait tout de même quelques avancées sur le plan des droits des personnes étrangères placées en rétention ou faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. Certaines réactions à ces avancées concernant Mayotte avaient laissé entendre qu’il serait plus difficile pour l’État français d’expulser les personnes en situation irrégulière, ce qui poussa un quotidien local à parler « d’apocalypse » au 1er novembre 2016, date d’entrée en vigueur du nouveau dispositif.

En réalité, les deux mesures concernées n’ont pas changé la donne, les spécificités mahoraises, juridiques et administratives, ayant toujours le dernier mot comme nous allons le voir.

 

Centre de rétention de Mayotte © Lény Stora / Docpix

 

Création d’un référé liberté suspensif.
L’une des spécificités du droit des étrangers à Mayotte est le fait qu’il n’y a pas de recours suspensif sur l’île (L.514-1 et L.514-2 du CESEDA) contre une mesure d’éloignement. Ainsi, lorsqu’une personne se voit notifier un arrêté portant obligation de quitter le territoire français et qu’elle dépose un recours pour contester cette décision devant le juge administratif, elle pourra tout de même être expulsée du territoire avant que celui-ci ne prenne sa décision, contrairement au droit commun.
La France a été condamnée à cet égard par la Cour européenne des droits de l’Homme mais n’a pas pour autant mis fin à cette exception juridique. La loi introduit malgré tout cet aspect « suspensif » pour un recours en particulier, le référé liberté. En substance, toute personne étrangère qui dépose un recours en urgence au sein du CRA (centre de rétention) ne pourra pas être expulsée avant une décision du tribunal administratif (avec ou sans audience).
Mais dans les faits, cette mesure ne vient que confirmer une pratique de la Préfecture qui depuis deux ans, attendait le plus souvent que le juge administratif prenne sa décision avant d’éloigner la personne du territoire, le cas échéant, pour une double raison : d’une part suite à la décision de la CEDH précédemment citée et d’autre part pour la simple et bonne raison que…presque personne n’est en mesure de déposer un recours ! Les personnes sont expulsées en moins de 24h en moyenne, à peine 10% rencontrent Solidarité Mayotte, l’association en charge de l’accès aux droits au sein du CRA, et la majorité ne connait pas les moyens de se défendre juridiquement. Ainsi, cette nouvelle mesure ne change pas grand-chose tant qu’on ne donnera pas les moyens aux personnes enfermées de se défendre juridiquement.

Scène quotidienne des expulsions à Mayotte via un bateau en partance pour Anjouan © Lény Stora / Docpix

 

Intervention du juge des libertés et de la détention (JLD)

La deuxième « avancée » de cette loi concernait un juge judiciaire, le JLD. On ne parlait alors presque jamais de lui à Mayotte car son intervention ne se réalisait, avant le 1er novembre 2016, que dans le cas où une personne était enfermée plus de 5 jours d’affilés au CRA. Ainsi, presque personne à Mayotte n’était présenté devant ce juge car les expulsions sont réalisées en moyenne dès la première journée de rétention.

Son intervention est pourtant déterminante : consacré garant des libertés individuelles par la Constitution, son aval est nécessaire pour prolonger la rétention. Il contrôle ainsi de nombreuses atteintes potentielles aux droits des personnes qui seraient intervenues tout au long de la procédure et ce, depuis l’interpellation de la personne jusqu’à sa présentation devant le juge. L’intervention du JLD engendre à lui seul 20 % de libération dans les centres de rétention de métropole (5000 sur 25000 personnes en 2015).

La loi du 7 mars 2016 et son décret d’application amenait, dès le 1er novembre 2016, une intervention de juge automatique après 48h de rétention au lieu de 5 jours. Ainsi, les personnes qui étaient maintenue au CRA de petite terre durant plus de 48H allaient enfin pouvoir bénéficier de son intervention à Mayotte.

Durant les dernières semaines de 2016 et les premières de 2017, plusieurs personnes enfermées au CRA ont ainsi pu être libérées. L’intervention de ce juge mettait en évidence une triste réalité : la grande majorité des procédures de l’interpellation au placement en rétention se sont avérées irrégulières et donc les personnes étaient libérées lorsqu’une audience avait lieu et….qu’un.e avocat.e était présent.e. Seul soucis, dans la majeure partie des audiences, aucun.e avocat.e ne se déplaçait pour défendre la personne retenue et cette dernière voyait alors sa rétention prolongée la plupart du temps.

Cette mesure du JLD avait donc un réel potentiel pour renforcer l’effectivité des droits des personnes placées au CRA en vue d’un éloignement du territoire. Elle n’en était pas pour autant une marque d’un changement important compte tenu de l’absence marquée d’avocats et des difficultés pour saisir le juge depuis le CRA.

44 nouveaux agents de la police aux frontières : ok. 2 nouveaux juges : refus.

En dépit de la faible portée de ces mesures, les parlementaires mahorais, soutenus par le gouvernement, ont estimé que l’intervention du JLD à 48h était une menace pour Mayotte compte tenu de la « pression migratoire exceptionnelle » et qu’un retour en arrière s’imposait. Ils ont ainsi fait voter une mesure, inscrite dans la loi sur l’égalité réelle en outre-mer, faisant revenir l’intervention du JLD de 48h à 5 jours. Un sénateur mahorais a justifié ce retour en arrière en expliquant devant la représentation nationale qu’une telle mesure impliquait la nomination de deux nouveaux magistrats et de prévoir une autre salle d’audience. Cet argument budgétaire semble osé lorsque l’on sait qu’en 2015, 44 nouveaux agents de la police aux frontières (PAF) avaient été recrutés à Mayotte.

En dépit de la mobilisation inter associative pour empêcher cette nouvelle exception juridique au droit des étrangers à Mayotte, cette mesure a été facilement validée par le parlement.

Guide des « bons réflexes » en cas d’interpellation/régularisation de la Cimade / 

Réflexes pratiques et saisine des juges depuis le Centre de Rétention depuis Petite Terre

Face à ces tentatives de restreindre encore et toujours l’accès au droit au CRA de Petite terre, il nous semblait ainsi important de revenir sur les éléments pratiques et juridiques minimum à connaître pour agir en cas d’interpellation par la police.

Une association présente pour défendre ses droits : Les personnes enfermées au CRA peuvent demander à voir l’association en charge de la mission d’accompagnement juridique au sein du centre, Solidarité Mayotte. Leurs salariés sont présents au sein du CRA du lundi au samedi de 7h30 à 16h30. Ils peuvent aider les personnes à faire valoir leurs droits auprès de la Préfecture, à déposer des recours pour saisir le juge administratif et/ou le juge des libertés et de la détention, à se voir communiquer des éléments de dossier utiles à leur défense.
Il est possible que l’association soit difficilement joignable depuis l’intérieur du CRA, ainsi, il ne faut pas hésiter à demain le soutien extérieur d’un proche, que ce soit par voie téléphonique ou par une présence physique à l’entrée du CRA.

L’association Solidarité Mayotte au CRA est joignable à ce numéro : 06.39.21.64.81 / 02.69.60.80.99

Etre vigilant quand on signe des documents : durant les arrestations et le placement au CRA, les agents de police sont amenés à faire signer des procès-verbaux aux personnes retenues, dans lesquels ils font état des informations propre à la personne ET aux droits dont elle dispose au sein du CRA, comme celui de demander à rencontrer Solidarité Mayotte ou un avocat. Or, il n’est pas rare que ces documents comportent des éléments erronés de l’état civil et qu’il ne soit pas expliqué aux personnes leurs droits (absence de réelle traduction, signature dans la précipitation…). Il est ainsi conseillé aux personnes d’insister pour demander un interprète et de refuser de signer de tels documents tant que le document n’aura pas été clairement expliqué et tant que les droits n’auront pas été notifiés.
Ce conseil peut, légitimement, sembler naïf pour celles et ceux qui connaissent les pratiques au CRA. Car il est courant que les personnes se voient forcées de signer ces documents quand bien même elles n’auraient pas compris le contenu.

Conserver son téléphone ou bien demander à bénéficier d’un crédit d’appel :
Les personnes disposant d’un téléphone qui ne peut pas prendre de photos sont censées pouvoir le conserver durant la période de rétention.
Dans le cas où la personne ne peut pas conserver son téléphone, elle peut demander à bénéficier d’un crédit téléphonique pour appeler depuis les cabines téléphoniques mises à disposition dans les zones de vie. Si les agents de la Paf refusent, il faut demander le soutien des salariés de Solidarité Mayotte et demander à ce que tout impossibilité d’exercer ses droits en pratique soit acté.

Contacter une connaissance au CRA :

Pour contacter une personne placée au CRA, il existe des lignes directes dans chaque « zone de vie » où sont enfermées les personnes :
Zone de vie 1 : 0269 63 68 74
2 : 0269 63 68 73
3 : 0269 63 68 71
4 : 0269 63 68 72
5 : 0269 63 68 75
6 : 0269 63 68 76

Note sur les recours :
Lors d’un placement en rétention, toute personne a le droit de déposer des recours en justice pour contester la violation de ses droits qui est fréquente à Mayotte.

Saisir le juge administratif :

Saisir le tribunal administratif a une triple utilité :
– Il peut permettre la libération de certains catégories de personnes sous conditions de documents suffisants (Parent d’enfant français, mineurs, personne arrivée à Mayotte avant 13 ans, parent d’enfants scolarités…)
– Il permet, avec un recours en référé liberté, de suspendre l’expulsion tant que le juge ne s’est pas prononcé et ainsi de permettre à la personne retenue de se faire apporter des documents qu’elle n’avait pas sur elle
– Cela permet, avec un recours administratif au fond, de chercher à annuler l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) qui peut être prise à l’encontre de la personne et qui la bloque dans toute démarche de régularisation durant 3 ans si elle n’est pas contestée par le biais d’une saisine du tribunal administratif.

Saisir le juge des libertés et de la détention :

Si la saisine du JLD n’est automatique qu’au-delà de 5 jours depuis le retour en arrière décrit ci-dessus, il est toujours possible de saisir ce juge de manière autonome. A noter cependant que ce recours n’est pas suspensif.

ATTENTION : si une libération de la personne est ordonnée par le JLD, celle-ci sera toujours sous la menace d’une obligation de quitter le territoire et d’une interdiction de retour sur le territoire si ces mesures ne sont pas contestées parallèlement devant le juge administratif dans un délais de 48h après leur notification !

Les conseils pour des dépôts de recours feront l’objet d’un développement dans un prochain bulletin mensuel.

Pour aller plus loin :
www.gisti.org
Les singularités mahoraises du droit des personnes étrangères (Gisti, Les cahiers juridiques)
www.migrantsoutremer.org
lacimade.org

Auteur: Région Outre-Mer

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