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Le Conseil d’État réécrit la procédure d’asile en retention

28 août 2014

Dans une décision du 30 juillet 2014, le Conseil d’État a annulé sur recours de La Cimade, la note du 5 décembre 2013 du ministre de l’intérieur sur l’asile en rétention, non seulement parce que le ministre de l’intérieur crée une nouvelle règle qui n’était pas prévu par la réglementation mais également que cette dernière n’était pas conforme au droit européen.

Dans une décision du 30 juillet 2014, le Conseil d’État a annulé sur recours de La Cimade, la note du 5 décembre 2013 du ministre de l’intérieur sur l’asile en rétention, non seulement parce que le ministre de l’intérieur crée une nouvelle règle qui n’était pas prévue par la réglementation mais également que cette dernière n’était pas conforme au droit européen. En conséquence, le Conseil d’État enjoint le ministre de demander à ses services de cesser de l’appliquer et d’agir selon un nouveau modus operandi transitoire avant l’adoption de la loi qui prévoit un recours suspensif contre le maintien en rétention mais après le rejet de l’OFPRA.

Pour rappel, cette note qui prétendait mettre en conformité cette procédure avec la jurisprudence de la CEDH (arrêt I.M c France du 2 février 2012) et de la CJUE (arrêt Arslan du 30 mai 2013), demandait aux préfets et aux chefs de centre d’adresser la demande d’asile déposée par une personne retenue en centre de rétention selon la procédure prévue par les articles R.553-15 et suivants (dépôt dans un délai de cinq jours, envoi par le chef de centre, examen par l’OFPRA en 96 heures) et prévoyait trois options : soit l’OFPRA accordait une protection et la personne était libérée pour demander un titre de séjour, soit il rejetait la demande et la mesure d’éloignement pouvait être exécutée, soit il considérait qu’il fallait se livrer à un examen plus approfondi et la personne était libérée et convoquée en préfecture pour un examen de l’admission au séjour.

Le Conseil d’État a d’abord écarté la fin de non-recevoir du ministre qui considérait que la Cimade n’a pas intérêt pour agir dès lors que la note était favorable aux étrangers. Le Conseil d’État considère que l’intérêt à agir « s’apprécie au regard de l’objet des dispositions qu’il attaque et non du contenu de ces dispositions » et la note portant sur l’asile en rétention, « la CIMADE, qui intervient dans le domaine de la défense des droits des étrangers et des demandeurs d’asile, a intérêt, eu égard à son objet social ».(§2)

Après avoir rejeté un moyen sur la consultation du conseil d’administration de l’OFPRA, le Conseil d’État va alors entrer dans le vif du sujet en mêlant la légalité externe (l’incompétence du ministre) et le fond.

Sur le maintien en rétention d’un demandeur d’asile et l’obligation de statuer sur l’admission au séjour

Le Conseil d’État rappelle les conclusions de l’arrêt Arslan et les dispositions de l’article L. 551-3 du Ceseda (qui porte sur l’information du droit de demander asile en rétention dans un délai de cinq jours) avant d’en déduire que le législateur de 2003 « doit être regardé comme ayant nécessairement prévu la possibilité que cette dernière soit maintenue en rétention durant l’examen de cette demande ; » rejetant ainsi le moyen de la Cimade qui argumentait sur l’inexistence d’une disposition du droit national permettant ce maintien. Pourtant rien dans les travaux parlementaires (les comptes-rendus des débats sont sommaires sur ce point) ne permettaient de deviner une telle intention. (§5)

En revanche, le Conseil d’État suit le raisonnement du recours qui arguait que la note oubliait une étape essentielle d’une procédure de saisine de l’Ofpra, à savoir l’examen préalable du préfet sur l’admission au séjour (la note demandait aux chefs de centre d’informer le préfet et non de les saisir) et que seule une décision de refus de séjour sur le fondement de l’article L.741-4 induisait une procédure prioritaire, contrairement à l’affirmation du ministre qui prétendait que l’article L.551-3 prévoyait également cette procédure. Le Conseil d’État rappelle que le fait d’être l’objet de mesures d’éloignement et de rétention n’est pas à lui seul, un motif pour considérer la demande comme un recours abusif et que le préfet devait examiner au cas par cas s’il admettait au séjour ou non. (§6)

C’est un rappel salutaire du principe dégagé par l’arrêt Dakoury mais en pratique certaines questions restent en suspens : Quel préfet doit statuer sur la demande d’admission au séjour ? Le préfet qui a pris les mesures d’éloignement et de rétention (qui n’est pas toujours compétent pour le faire) ? Le préfet où se trouve le centre de rétention administrative (la même question de compétence se pose pour les centres de Calais, Hendaye, Nîmes et Perpignan) ? Sur quels éléments ? La date d’arrivée en France, les motifs allégués pour ne pas avoir déposé une demande d’asile auparavant, une nationalité particulièrement sensible alors que le préfet n’a pas le droit de connaître les éléments d’information d’une demande d’asile ?

Le Conseil d’État renforce ces exigences en considérant que même dans le cas où une demande d’asile s’avère un recours abusif aux procédures d’asile, le préfet doit examiner au cas par cas, la possibilité de maintenir en rétention administrative le demandeur en vérifiant si ce placement est proportionné et nécessaire au regard des risque de voir l’intéressé prendre la fuite pour s’opposer à la mesure de retour. Ainsi le Conseil d’État incite fortement les préfets à privilégier l’assignation à résidence de ces personnes et de ne réserver le maintien en rétention aux cas où le demandeur va vraisemblablement disparaître. (§7)

Prenons un exemple concret avec les « évacués » du Calaisis. Le 3 juillet, le terrain occupé par les exilés a été évacué et plusieurs centaines de personnes ont fait l’objet de mesure d’obligation de quitter le territoire et de placement en rétention dans plusieurs CRA. Une partie d’entre eux a formulé une demande d’asile en CRA et le préfet du Pas de Calais a considéré que leur demande serait examinée en rétention. D’une part, ce préfet n’est pas compétent pour statuer sur la demande d’admission au séjour (du fait de la régionalisation) mais il n’a pas tenu compte que ces demandeurs d’asile étaient érythréens, soudanais ou afghans, pays qui ne sont pas connus pour leur quiétude et leur respect des droits humains. S’il avait appliqué les indications du Conseil d’État, le préfet compétent aurait logiquement dû reconnaître que leur demande d’asile n’était pas un recours abusif et les admettre au séjour et les inviter à renvoyer leur demande d’asile à l’OFPRA. Si parmi ces demandeurs, se trouvait une personne qui séjourne en France depuis plusieurs années sans faire de démarches, cette circonstance pourrait le conduire à faire un refus de séjour mais il lui appartenait quand même de vérifier si la personne n’avait pas un domicile ou si un centre d’hébergement était prêt à l’accueillir, pour l’y assigner pendant l’examen de la procédure prioritaire « en liberté ».

Dans un considérant de principe, le Conseil d’État indique que « lorsqu’il est clair que les dispositions nationales existantes n’assurent pas pleinement la mise en œuvre des dispositions du droit de l’Union européenne, et dans l’attente de l’édiction des dispositions législatives ou règlementaires qu’appelle, selon les cas ; le plein respect des exigences qui en découlent, il appartient aux ministres, d’une part, de prescrire aux services placés sous leur autorité de ne pas appliquer ces dispositions et, d’autre part, le cas échéant, de prendre, sous le contrôle du juge, les mesures qui sont strictement nécessaires au bon fonctionnement de ces services dans des conditions conformes avec les exigences découlant du respect du droit de l’Union européenne et dans le respect des règles de compétence de droit national ; »

La logique du Conseil d’État est donc de rappeler les compétences du préfet dans ce type de demande et l’obligation pour lui de procéder à un examen.

Ce que n’a pas fait la note du 5 décembre 2013 qui a préféré appliquer systématiquement la procédure prioritaire en rétention et en ouvrant la possibilité pour l’OFPRA « établissement public qui n’est [..] pas au nombre des services placés sous l’autorité du ministre de l’intérieur, l’examen individuel de la situation des personnes ayant formé une demande d’asile en rétention, alors qu’en vertu des textes qui le régissent, il n’appartient pas à cet établissement public de contribuer à la détermination de la procédure selon laquelle les demandes d’asile doivent être instruites. »

Or d’une part, le ministre pas compétent pour édicter un tel dispositif (qui relève de la législation ou de la réglementation) et d’autre part, le dispositif imaginé n’assure d’ailleurs pas la conformité […] avec les exigences découlant du droit de l’Union européenne. Il annule donc la note pour incompétence (ce qui est classique pour les circulaires) mais également pour non-conformité avec le droit européen et précise que cette annulation a « pour conséquence que les services placés sous l’autorité du ministre de l’intérieur sont tenus, le cas échéant sur instruction de ce dernier, dans l’attente de l’édiction des dispositions législatives et réglementaires nécessaires au plein respect des exigences découlant du droit de l’Union Européenne, de procéder au cas par cas à un examen préalable des demandes d’asile présentées par des personnes placées en rétention administrative afin de déterminer la procédure d’instruction qu’elles appellent ainsi que la nécessité du maintien en rétention de ces personnes.» (§20).

Délai de cinq jours : une réserve d’interprétation quasi neutralisante

Le recours de La Cimade portait également sur le délai de cinq jours pour déposer la demande d’asile et sa conformité avec le droit européen.

On sent que le Conseil d’État est embarrassé par les dispositions de l’article L.551-3 car elle prévoit une irrecevabilité de la demande d’asile déposée après ce délai, conduisant à l’absence d’examen par l’OFPRA et à l’éloignement du requérant sans qu’il puisse ressaisir l’OFPRA comme c’est le cas pour les refus d’enregistrement hors rétention.

Tout d’abord, il affirme que c’est le directeur général de l’OFPRA doit en principe statuer sur toutes les demandes dont il est saisi et qu’il est compétent pour refuser l’enregistrement de la demande et non le préfet ou le chef de centre qui n’est chargé que de transmettre la demande d’asile. Cela changera singulièrement l’attitude de certaines préfectures. D’autres part, il considère que dans certaines circonstances comme l’intervention d’un événement susceptible de justifier une demande d’asile après ce délai (on pense à un coup d’État par exemple) ou si le demandeur n’a pu bénéficier de l’aide juridique et linguistique, l’OFPRA ne doit pas tenir compte du délai. Or l’une des grandes difficultés des demandeurs d’asile en rétention est de ne pouvoir être assisté d’un interprète pour rédiger leur demande et surtout d’être pendant les cinq premiers jours, emmenés au tribunal administratif et devant le juge des libertés et de la détention. Cela veut dire que le délai de cinq jours est pratiquement réécrit et neutralisé.

Sur la transmission du formulaire par le chef de centre

La Cimade arguait que les dispositions de l’article R.553-16 qui prévoient que le chef de centre transmet par télécopie le formulaire (avant de l’envoyer par courrier) étaient contraires à la Constitution et la confidentialité des éléments d’information de la demande. Tout en rappelant ce principe, le Conseil d’État réécrit le décret en affirmant que ces dispositions « qui permettent à l’autorité dépositaire d’une demande d’asile présentée par une personne placée en rétention de signaler par tout moyen à l’OFPRA le dépôt d’une telle demande, n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d’autoriser des conditions de transmission à l’OFPRA du contenu de cette demande en violation de l’exigence de confidentialité » et rejette le moyen. En conséquence, les pratiques plus ou moins répandues de copier le formulaire OFPRA devraient cesser.

Pour finir, malgré un argumentaire détaillé, le Conseil d’État rejette le moyen sur l’absence d’un recours suspensif car l’étranger en dispose d’un contre l’OQTF (qui pourtant intervient avant sa demande d’asile).

De nouvelles dispositions dans le projet de loi

Le projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile contient des dispositions spéciales pour les demandes d’asile déposées à partir d’un centre de rétention. L’article 9 prévoit de créer un article L.556-1 du Ceseda qui indique que le préfet peut par une décision écrite et motivée, maintenir le demandeur en rétention si, en se fondant sur des critères objectifs, il estime qu’elle n’a pas pour seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement. Il n’est pas question de la proportionnalité et de la nécessité du maintien en rétention.

La demande d’asile est alors examinée en procédure accélérée. Si l’OFPRA reconnaît une protection ou s’il considère qu’il ne peut statuer dans le délai (prévu par le futur décret), la personne est libérée.

Si la demande est rejetée, il est créé un recours de plein droit suspensif (sauf s’il s’agit d’une demande de réexamen après OQTF ou deuxième réexamen) contre la décision de maintien en rétention qui doit être exercé dans un délai de quarante huit heures après la notification de la décision de rejet de l’OFPRA et un juge unique statue dans un délai de 72 heures sur ce recours pour savoir si l’intéressé est autorisé à se maintenir jusqu’à la décision de la CNDA (dans un délai de cinq semaines puisque la procédure accélérée est appliquée). Si le juge annule, le demandeur est admis à se maintenir avec l’attestation délivrée aux demandeurs d’asile.

C’est une solution un peu compliquée alors qu’il aurait peut être été plus simple de prévoir une procédure d’extrême urgence à la CNDA sur la décision de rejet. Autre bizarrerie, la décision de maintien en rétention ne se conteste pas dès sa notification mais seulement dans le délai de 48h après la notification de la  décision de rejet de l’OFPRA.

Comme d’habitude et sans explication réelle, ce recours suspensif n’est pas applicable dans les départements d’outre-mer où le recours contre l’OQTF n’est pas de plein droit suspensif.

Auteur: Service communication

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