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Interview exclusive de Christiane Taubira, garde des sceaux et ministre de la Justice dans le dossier spécial de Causes Communes sur l’Outre-mer.
Entretien avec Christiane Taubira, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, ancienne députée de la Guyane.
Une législation exceptionnelle et des procédures dérogatoires sont appliquées pour les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en Outre-mer. Est-ce toujours justifié?
Il s’agit d’abord de considérer qu’il est possible d’adapter une disposition de droit commun aux réalités particulières de ces territoires. Dans ses articles 73 et 74, la Constitution a reconnu en effet des marges dans l’élaboration de règles générales. Ainsi, pour ce qui concerne le code relatif à l’entrée et au séjour des étrangers, les procédures exceptionnelles votées par les gouvernements depuis 1993 sont des dérogations au droit commun. Sans prendre en compte la réalité locale, à partir d’une législation générale, on a considéré que certaines parties du territoire national devaient échapper au droit commun. Je ne crois pas qu’il y ait d’arguments valables, ni sur le terrain de l’éthique, ni même sur le juridique qui puissent le justifier. Si les citoyens des Outre-mers sont des citoyens au même titre que ceux qui résident dans l’Hexagone, ils doivent bénéficier des mêmes dispositions législatives et réglementaires.
Le droit commun doit donc s’appliquer?
Il faut tenir compte de la réalité : l’État français a fait le choix de ne pas intégrer les territoires d’Outre-mer dans l’espace Schengen. Il dispose donc de marges pour adopter des dispositions particulières qui ne relèvent pas du cadre institutionnel fixé par l’Union européenne. Cela ne justifie pas que les mesures retenues pour l’Hexagone ne valent pas pour l’Outre-mer. Si ces territoires relèvent de l’État de droit, il ne peut y avoir de dérogations qui, sous couvert d’adaptation à la situation locale, sont en réalité des dispositions restrictives de liberté. Il n’est pas concevable de transiger sur les principes démocratiques de la citoyenneté pleine et entière, qu’il s’agisse du respect des niveaux de juridictions, des possibilités de recours…
Certaines de ces dispositions peuvent-elles être rapidement remises en cause?
La plupart des procédures en cours découlent de l’application de la loi. Elles ne sont donc pas illégales, même s’il y a lieu de s’interroger sur l’éthique et la conception du droit commun. Par des circulaires ou des instructions, on peut toujours obtenir une application plus ou moins souple de la loi. Mais la sécurité juridique consiste à modifier les lois qui ont autorisé ces pratiques.
Comment en finir avec les disparitions et les naufrages au large de Mayotte?
Il y a des naufrages parce que des hommes, des femmes, des familles tentent le tout pour le tout: plutôt affronter la mer que la misère. Les gens ne viennent pas à Mayotte ou en Guyane parce qu’ils ne supportent plus leur pays mais parce que ces départements représentent des terres d’espérance. Soit on l’admet et on laisse ces personnes tenter leur chance. Soit on considère que notre responsabilité est de réduire les écarts qui constituent un moteur puissant de migrations.
Quelles pourraient être les bases d’une autre politique ?
Par respect pour les Mahorais, les Guyanais ou les Saint-Martinois, il n’est pas possible d’ignorer la réalité de ces flux migratoires qui pèsent sur le marché du travail, les services publics, les dispositifs de solidarité. Dans une approche géopolitique et géostratégique par bassins, il faut engager avec les pays voisins des politiques de développement économique, d’accompagnement de projets communs, de coopération en matière de santé, d’échanges et de dialogue culturel…
Les associations s’inquiètent du respect du droit d’asile et des conditions d’accueil des réfugiés…
La situation reste tendue, plus pénalisante encore en Outre-mer parce qu’il n’y a pas, sur place, de représentation de l’OFPRA et que les procédures sont longues. Le droit d’asile a besoin d’être réformé et les procédures revues et améliorées.
Propos recueillis le 5 juin 2012 par Michel Delberghe pour Causes Communes.
Retrouver cet entretien ainsi que de nombreux reportages et témoignages dans le numéro 73 de Causes Communes » Outre, mer, loin des yeux, loin des droits ». Numéro à paraître en juillet…
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Auteur: Service communication
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